Qui se ressemble s’assemble, dit-on souvent. La visite du dictateur turc Recep Tayyip Erdogan au Togo nous sert d’occasion pour mettre en valeur ce dicton populaire. « Un dictateur en visite un autre », pourrait-on tenté de titrer. Une visite des plus paisibles et des plus tranquilles pour Faure Gnassingbé.
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Un hôte tranquille, gentil et surtout poli avec qui le jeune doyen des chefs d’État de la sous-région ne risque pas qu’une question gênante sur les prisonniers politiques, ou sur les droits de l’homme tout court, lors de leurs entretiens, ne soit posée. La raison est simple: dans ce domaine le président turc n’est pas un agneau innocent. Il figure chaque année en bonne place dans les rapports des organisations des droits de l’homme comme menant la vie dure à ses opposants.
Hommes politiques ou journalistes, taxés d’espions, sont nombreux à se retrouver derrière les barreaux ou en exil pour les plus chanceux. Nous nous sommes amusés à surfer sur internet et nous avons découvert un article écrit par le turco-arménien HAYKO BAḠDAT. Né en 1976 à Istanbul, il est journaliste et écrivain; il avait dû s’exiler à Berlin en Allemagne à la suite de la tentative de coup d’état en Turquie en 2016.
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Son texte, écrit en allemand, date d’après les élections présidentielles et parlementaires turques en 2018, mais est toujours d’actualité. En voici quelques extraits:
«Recep Tayyip Erdogan militait et se battait pour une démocratie civile et pluraliste. Pourquoi devint-il un nationaliste et un dirigeant autoritaire?
Si le métier de journaliste consiste vraiment à poser des questions, alors mettons ensemble un gros point d’interrogation sur la victoire de Erdogan aux élections présidentielles et parlementaires du 24 juin (24 juin 2018). À première vue on parlerait d’un évènement national, mais ces élections intéressent le monde entier. Il a prêté serment lundi dernier comme président avec tous les pouvoirs élargis qui sont désormais les siens; non sans avoir auparavant signé un décret licenciant 18 000 fonctionnaires de l’état.
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Qu’est-ce qui s’est donc passé pour qu’Erdogan, qui promettait nuit et jour de s’engager pour une démocratie civile et plurielle, d’être solidaire avec toutes les couches sociales, soit devenu un autre Erdogan après qu’il soit arrivé au pouvoir? Où est cet Erdogan qui organisait avec les communautés alévites plusieurs manifestations, et qui disait toujours qu’il devrait être mis fin à la persécution par les musulmans sunnites de la culture alévite?
Et pourquoi un homme d’état comme lui, qui jadis s’assit à la table de négociations avec le chef du PKK, Abdullah Öcalan, et qui fonda la chaîne de Télévision kurde, ait pu commettre un massacre sur les Kurdes dans la Ghouta orientale en Syrie? Comment put-il devenir un dirigeant aussi autoritaire pour envoyer en prison le vice-président du parti pro-kurde de gauche(HDP) M. Selahattin Demirtae et plusieurs autres parlementaires de la même formation politique? Qu’est-ce qui nous vaut sa mutation en tyran qui fit détruire dix (10) villes kurdes, assassiner des milliers d’hommes et de femmes et envoyer en exil plusieurs centaines de milliers d’autres?
Comment est-il devenu un despote?
Quand est-ce que Erdogan changea en fondamentaliste? Est-il aujourd’hui l’un des soutiens de l’État Islamique(EI)? Pour renverser Assad, il se rapprocha de l’opposition syrienne. C’était l’époque où des représentants de l’ »Armée Libre Syrienne » était reçus chaque jour à Istanbul sous protection policière. Dans le même temps des groupes djihadistes recevaient des camions remplis d’armes en provenance de l’armée turque. Erdogan se trouva face à un dilemme: « dans mon combat contre Assad, dois-je continuer à soutenir les kurdes ou les Islamistes?
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Il choisit la dernière option. Pendant longtemps la présence des combattants de l’État Islamique aux frontières turques ne l’avait aucunement gêné. Mais la patience de Erdogan prit fin quand les kurdes prirent le dessus sur l’État Islamique dans les combats autour de la région de Kobané. Alors, fini avec le problème kurde! Maintenant il ne s’agit que de terroristes. Fini avec la sympathie avec l’occident! Il n’y a plus que la haine contre la mentalité des croisés. Fini avec le problème des Alévites! Maintenant nous nous battons pour la cause commune de l’Islam. Fini avec le charabia de la presse libre! Maintenant tous les journalistes sont des espions. Enfin nous avons désormais en Turquie un seul état, un seul drapeau, une seule langue, une seule idéologie et un seul dirigeant. Tous ceux qui s’y opposent sont des traîtres à la patrie et des complices de l’occident.
Il est aujourd’hui l’un des dirigeants les plus riches du monde
Erdogan n’est pas seulement un manipulateur, mais il est aussi un criminel qui a peur d’une condamnation un jour devant les tribunaux. Quand il était maire de la ville d’Istanbul, il montra un jour sa bague de mariage en or aux caméras en disant: « c’est toute ma fortune; si un jour vous voyez avec moi plus que cette alliance, sachez que c’est du haram, un péché. » Il est aujourd’hui l’un des plus riches présidents du monde.
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Et pendant que des membres de sa famille et de son entourage sont devenus depuis longtemps de riches hommes d’affaires corrompus, transformant tout le pays en un grand chantier, Erdogan s’est fait construire son propre palais doré. Même après qu’une conversation téléphonique entre Erdogan et son fils Bilal soit parvenue au grand public; où il demandait à son rejeton de bien cacher l’argent qui est encore à la maison, il se trouve des zélés qui soutiennent que cet argent était certainement destiné à des œuvres caritatives pour le compte de l’islam.
Comme tous les dirigeants autoritaires, Erdogan utilise l’islamisme et le nationalisme pour manipuler et endormir les foules. Aujourd’hui notre pays livre des armes dans des régions en guerre et ce comportement est considéré comme un acte héroïque. Mais les journalistes qui le dénoncent sont considérés comme des traîtres. Aussi longtemps qu’Erdogan aura l’aval de la communauté internationale comme président turc, il continuera à être notre cauchemar. Je ne crois pas que ce soit utile de faire une analyse détaillée sur les élections; parce que le tribunal de mon pays a décidé que je suis un terroriste, et que pour cela je dois rester en prison jusqu’à la fin de mes jours.»
Samari Tchadjobo
Source : Togoweb.net