Chronique de Kodjo Epou : Consensus en deux temps pour créer une démocratie.

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La présente analyse est largement motivée par une citation de Georges Bernard SHAW (1856 – 1950), je le cite: « Ceux qui ne peuvent pas changer d’avis ne peuvent rien changer ». A cette leçon de grande humilité s’ajoute une autre non moins lumineuse qui nous enseigne qu’à défaut d’arracher sa liberté, il faut la négocier, non pas uniquement pour soi-même mais pour tous, dans l’esprit d’une nation liée par la même communauté de destin, de desseins car, aussi longtemps qu’une seule âme en est privée, personne ne sera réellement libre. N’est-ce pas ce qui nous arrive? De ces deux réflexions découlent les propositions suivantes qui seront ma modeste contribution à la recherche d’une sortie honorable de la longue crise qui secoue notre pays.

Les Togolais ont trop souffert; ils se sont faits trop de mal, ont passé trop de d’années à se haïr, pour ne pas en arriver à la conclusion qu’il faut la subordination de chacun, un peu d’effacement, en vue de donner des chances à l’accomplissement d’une fin unique: normaliser le pays en redonnant de la luisance à ses oripeaux. L’ordre spontané manifesté par le bas en 1990 n’ayant pas abouti, noyé par certains sous prétexte d’en avoir été exclus, il ne reste, pour sauver les meubles, après tant de déchirures, qu’à construire un ordre par le haut, sur initiative de la classe politique: place au CONSENSUS NATIONAL.

Par Kodjo Epou

Si l’on avait su que les événements allaient devenir le micmac auquel nous assistons aujourd’hui, on aurait cherché, à la faveur du contentieux électoral de Février 2020, à négocier, avec l’appui des amis du Togo, un mécanisme qui transforme l’actuel mandat présidentiel en un mandat de transition plein et entier et, dans ce cadre-là, trouver la place pour une nouvelle constitution, planter les bases d’un changement de régime, donc créer l’alternance politique en 2025. Cela n’a pas été fait. Dans le passé, surtout en 2014*, l’opposition avait raté des occasions en or. Si elle n’avait pas tergiversé, si elle n’avait pas, pour des raisons obscures, joué le jeu du RPT, Faure aurait bouclé son dernier mandat en février 2020. « Le temps perdu ne revient plus », la chanson congolaise nous est connue. Maintenant, doit-on continuer à le perdre? Il est plus que jamais impérieux d’arrêter la descente aux enfers, de disséquer, en les identifiant, les impossibles du présent, de penser aux choses pouvant relever des évidences accessibles dans un proche avenir. A ce jour, en pesant et soupesant les forces des deux camps qui s’affrontent, il n’y a pas, en dehors d’un large compromis, de solution miracle susceptible de sortir le pays d’une crise aussi grave qui se schématise ainsi: d’un coté un pouvoir impopulaire qui n’a d’autre choix que de gouverner par la force brutale donc à minima ou pas du tout, et de l’autre, une opposition émiettée, rêveuse, au style incantatoire, qui ne s’oppose à rien si ce n’est qu’à ses propres membres, à ses propres intérêts.

Au bout du compte, aucun courant politique, aucun parti, aucune personnalité, aucun groupe de la société civile locale ou de la Diaspora n’a la solution. Le statu quo est total, l’horizon plus sombre qu’on ne l’imagine. Doit-on continuer de patauger dans ce néant interstellaire, laissant intacts les désaccords profonds, puis, comme par magie, commencer à sortir la tête des bois à l’approche des échéances électorales de 2025? Face à une situation extrêmement confuse, honteuse, dont nul ne peut prédire les conséquences, un CONSENSUS NATIONAL, à notre sens, doit être la quête des deux parties, l’impératif à explorer en urgence. A voir les enjeux, le rapport de forces et la durée du désastre, emprunter la voie d’un règlement négocié n’est pas synonyme de plier l’échine, ni pour l’un ni pour l’autre camp. Au contraire, l’intérêt est double; il s’impose comme une voie de prédilection certaine, comme la meilleure inclination pouvant aider le pouvoir à sortir en 2025 avec dignité et grâce et, en même temps, ennoblir la lutte ardue d’une l’opposition dont on peut dire qu’elle est partie à la chasse aux lions avec une arme légère, avec des stratégies de courte portée. Le consensus semble l’unique voie à portée de la main. Il peut être promis à un bel avenir pour peu que les antagonistes se donnent la peine de regarder avec leur cœur, des cœurs humains, les souffrances du peuple envahi de profonde déprime. Tout le monde y gagnerait!

Les Togolais doivent consentir que leur pays est durablement fauché aux plans politique, économique et de la morale. C’est peine perdue, toute opération de charme visant à attirer les investisseurs étrangers. Quand le pays stagne comme c’est le cas, le citoyen lambda en ressent fortement les contrecoups, les secousses, jusqu’aux affres du désespoir. Pourquoi, pour une fois, ne pas être à l’écoute des cris de détresse qui fusent de partout, notamment de la population qui n’en peut plus de faire les frais du manque cruel d’harmonie de la classe politique? Il est aisé de constater la triste réalité qui saute aux yeux: les Togolais vivent ensemble, sur un même territoire, mais sont trop séparés les uns des autres. Ce sera un leurre, dans ces conditions de grandes fissures, de vouloir faire émerger le pays, de le faire prospérer à la fierté de la génération future. La reconnaissance des fractures sociales est la première étape sans laquelle il sera vain de traiter les problèmes de la cité à la racine. C’est un compromis politique courageux et patriotique qu’il faut si l’on veut inaugurer, d’ici à l’horizon 2025, une nouvelle ère d’espoir devant la nation togolaise. Le défi, tant pour l’opposition que pour le pouvoir, c’est comment réduire les nombreuses fractures entre les partisans des deux bords, comment dépasser de façon rigoureuse les multiples clivages politiques qui maintiennent le Togo au fond de l’ornière.

Ce consensus peut se jouer en deux temps: d’abord au niveau de l’opposition elle-même et ensuite entre cette opposition coalisée en un bloc et le pouvoir en place.

Un congrès des forces politiques du Togo doit se tenir, pour engager le pays dans la voie d’une démocratie participative et populaire qui libère les énergies et dissipe les entraves du vivre-ensemble. Ce sera un accord explicite entre d’un côté, les représentants du peuple dans la forme d’une opposition unie qui s’exerce dans le même sens telle que décrite plus haut et de l’autre, le régime UNIR qui accepte de redonner au Togo ses lettres de noblesse. Ce sera un processus de recherche du consentement le plus large, sans recourir à un quelconque vote formel, aux moyens de discussions, en dépassant les blocages et les clivages, pour arriver à un compromis acceptable. Ceci, en ne privilégiant que le Togo en tant que nation indivisible et l’avenir de son peuple. Seul un accord global, un modus vivendi accepté de tous et une volonté commune de laisser passer les différends du passé, feront sortir la patrie de sa léthargie. Ce consensus politique devra créer les conditions d’un contrat social plus large qui fera en sorte que la très grande majorité du peuple, toutes tendances confondues, accepte de se conformer à un ensemble de règles de conduite, rendant possible la vie en commun, le vivre-ensemble qui font tant défaut.

Mais, encore une fois, la réorganisation totale de l’opposition autour d’une plate-forme commune porteuse d’un programme de gouvernement, d’un projet de société, est un préalable.

Un grand rassemblement de l’opposition. C’est un point incontournable, un défi majeur à relever si l’on veut que soit entamé, avec le pouvoir, un processus historique entre Togolais, qui dénoue le statu quo actuel et normalise la vie publique au profit de tous. Le Togo peut encore surprendre. Dans la logique du consensus ainsi décrite, tout esprit, toute idée de partage d’un quelconque gâteau est à proscrire, aussi bien que tout agenda partisan caché. Il faut se laisser convaincre que ces dernières années ont été marquées par un déclin des mini-partis, une rétraction de l’action militante, un repli sur soi, les partis étant agités par de perpétuels conflits des égos.

Pourquoi l’impérieuse nécessité d’un consensus national et pourquoi l’opposition dans une forme réformée doit en être l’initiatrice, l’instigatrice?

La première motivation est que le pays va mal. Trop mal. Les dirigeants, malgré leurs efforts sincères ou putatifs de gouverner, ne parviennent pas à engranger de résultats tangibles. L’atmosphère qui règne fait que le pays est rendu stérile, aride. Le Togo souffre d’un manque évident d’attraction, sauf pour quelques prédateurs… La productivité est nulle et la création de richesses des plus maigres de la sous-région, d’où le recours constant à un endettement de plus en plus élevé dans le but d’amener l’État à joindre les deux bouts et boucler ses fins de mois de plus en plus difficiles. Et ça fait des décennies que l’impasse perdure. Les gouvernants peuvent croire que les manquements répétitifs à leurs serments, à leurs promesses, ont seulement un coût infime. Mais ils se trompent complètement. Leurs engagements chaque fois trahis de la quête de la vérité et de la justice ont des répercussions énormes sur la société entière qui rechigne alors à adhérer à tout plan de développement émanant du pouvoir. Jusqu’à quand celui-ci pourra-t-il tenir le coup et maintenir en place les fers de l’oppression? Rien ne permet de le dire! Le début d’une décrispation, c’est ici et maintenant! Ici et maintenant!

Ensuite, côté opposition, ni la mobilisation populaire des années 90, ni celle d’Août 2017 avec leurs tentatives de désobéissance civile, ni les sursauts révolutionnaires d’insurrection populaire contre le système en place n’ont pu dessiner de voie togolaise vers une démocratie inclusive, consensuelle, avec une réelle séparation des pouvoirs. Cette opposition se doit de se constituer, au-delà des partis, en une force coalisée viable. La conjugaison des errements ininterrompus du pouvoir ajoutés aux échecs répétés, parfois réputés, des forces du progrès, ont fini par faire du Togo un pays anormal, mis sens dessus-dessous, dans lequel personne n’est vraiment en sécurité, un pays caractérisé par un recours fréquent à la baïonnette comme mode de gouvernance. C’est pour mettre un terme définitif à ces piétinements lassants des deux bords, sources d’angoisse permanente pour l’ensemble de notre peuple, qu’un consensus politique devient la panacée, un passage obligé.

En quelque sorte un acte fondateur d’une pratique consentie de gouvernance qui devra voir le jour et être mise en œuvre à la fin du mandat de l’actuel président.

C’est le chemin du milieu, celui qui devra permettre au Togo, graduellement, de finir d’asseoir les bases de son État de droit et, grâce à un accord national, tendre rigoureusement vers une démocratie apaisée qui normalise le pays et minimise les risques d’explosion. Au total, jeter les bases d’un consensus politique national inclusif avec le pouvoir, et sortir le Togo des voies de la perdition. Ceci ressemble, on le voit, à une forme négociée de transition politique au Togo, à un compromis de sauvetage entre opposants et partisans du régime, lequel régime, à force de faire fi des valeurs de la loi dans une République, s’est vêtu d’un plumage brumeux, déplaisant, décrié et vu comme un pouvoir familial, ce qu’il est réellement devenu. Il faut en sortir! Et ce projet peut être la voie la mieux indiquée.

Pendant les pourparlers avec le pouvoir dans le cadre de ce consensus politique, un accent particulier sera mis sur les modalités d’accomplissement pratique de trois volets capitaux: droits de l’homme, démocratie et statut des anciens présidents et de leurs collaborateurs. En ces matières, la politique des droits de l’homme tentera d’équilibrer les mesures de vérité avec celles de justice, sur fond d’un plan d’amnistie générale dans l’esprit d’une stabilité institutionnelle qui prend en compte la participation des militaires et civils de l’ancien régime. Un tel consensus soigneusement préparé par les soins de think tanks, loin des bruits et des calculs, fera asseoir dans la durée un ordre politique, économique et moral normalisé, à l’abri des conflits entre partis et parties, permettant d’éloigner définitivement le fantôme d’un retour à un régime autoritaire.

Non, le peuple togolais ne mérite pas les souffrances qu’il connaît depuis la colonisation de notre pays. Son accession à l’indépendance depuis 1960, c’est-à-dire il y a plus de 60 ans, n’a pourtant pas amélioré les choses, pour ne pas dire que son état a empiré en matière notamment de santé, d’éducation, d’énergie, de transports, de libertés… Sans réellement être parvenus à l’Eldorado auquel leurs peuples s’attendaient au moment des indépendances, les pays voisins ont tous connu alternance politique, avancées et reculs de la démocratie, amélioration substantielle des infrastructures…etc.

Mais à force de stagner, notre pays n’a fait que reculer par rapport à l’ensemble des pays africains. Il est temps d’y mettre un terme et seule la recherche de ce consensus peut nous y conduire dans l’entente et la paix. Il est temps de faire naître une société nouvelle, société de paix et de dialogue permanent, société de liberté et d’espoir… En un mot comme en cent, nous appelons le Togo à sa renaissance!

Kodjo Epou
Washington DC
USA

Source : 27Avril.com