Le 15 août 2008, dix ans jour pour jour, à la stupéfaction générale, le cadavre de l’historien Kokouvi Joachim Atsutsè Agbobli a été retrouvé à la plage de Lomé. Plus que quiconque, de son vivant, Mr Agbobli savait qu’au Togo, la brutalité du pouvoir et la peur des citoyens ont toujours cheminé main dans la main, se nourrissant l’une de l’autre, et les deux du mutisme coupable de ceux à qui la terreur profite. D’où le procès permanent de cet illustre patriote, de son vivant, contre un pouvoir qui étrangle et tue. En ce jour anniversaire de son assassinat, ses paroles interpellatrices d’alors, toujours d’actualité, pressantes, dénoncent avec véhémence les oripeaux d’une fausse démocratie.
Atsutsè Agbobli savait affronter les mensonges principaux du RPT qu’il n’hésitait pas à vilipender avec des raisonnements sophistiqués et une verve oratoire qui dénude sans détours le système. Lorsqu’il disait que la posture au Togo est si avilissante que les vivants envient les morts”, ce défenseur de « la CEDEAO des peuples » anticipait le Togo et parlait directement au clan Gnassingbé, à ses yeux une coterie trop encline à l’avidité pour le pouvoir et les gains dérobés, à tant de perversité et d’intolérance. Homme simple, clairvoyant, farouche adepte du vivre ensemble, Agbobli rêvait d’un Togo où les dirigeants ne sont pas des loups ravageurs et leurs administrés des proies résignées. Ironie du sort…
Dix ans après sa disparition, qu’est ce qui a changé de la gouvernance délictueuse que dénonçaient les messages du président du MODENA? Si l’intellectuel enragé revenait en vie pour inspecter son pays, qu’aurait-il vu? Naturellement, la même série d’effroyables nouvelles, les mêmes réflexes de chasses aux opposants, les mêmes pratiques de siphonnage des deniers publics. Le martyr ressuscité allait constater que dans nos villes et campagnes, une pauvreté encore plus sévère emporte ses compatriotes dont la plupart vont à l’hôpital pour y mourir sur des matelas troués, au milieu des cafards. Que les Togolais sont toujours passés à tabac jusqu’au sang par les corps habillés, de la rue jusque dans leurs maisons, que des mosquées sont incendiées, vandalisées, sans que la police démasque les auteurs, que les accords politiques sont malicieusement défigurés et leurs objets torpillés juste quelques minutes après leur signature et que l’assemblée nationale, régulièrement retournée, cultivée par des ministres sans classe, est restée une grande contemplatrice de notre tragédie. Atsutsè aurait appris que les soldats et miliciens du RPT qui avaient, trois ans avant sa mort, massacré près de mille Togolais n’ont jamais été sous le coup d’une quelconque procédure judiciaire.
S’il pouvait se réveiller, Atsutsè aurait été témoin d’un Togo dans lequel d’innocents responsables de NUBUEKE, de jeunes cadres dévoués dans les actions humanitaires, sont arbitrairement jetés en prison sous des prétextes imbéciles, totalement fallacieux. Joachim se croirait au milieu du siècle précédent lorsqu’il se verra abreuvé de la célébration des évalas transformée en un rendez-vous de dépravation des mœurs et donnant lieu à une onéreuse paralysie de l’État. Il verra que depuis que l’emblématique marché de Lomé a été incendié par des pyromanes au kérosène, aucun juge n’a été capable de montrer les vrais coupables.
Face à des faits aussi malséants que bouleversants, l’écrivain-politologue aurait simplement perdu son latin et avalé sa rage. Atsutsè est dans le trou de l’oubli. Sa parole est restée définitivement tue, Babylone est toujours debout et le Togo, un enfer sur terre, continue de faucher ses propres enfants. La plupart des amis et parents du martyr, faute de le venger ou d’honorer sa mémoire, ont rejoint ses assassins autour de la mangeoire, sans états d’âme.
S’il revenait parmi les vivants, que penserait-il de son pays sensé être l’or de l’humanité qu’il aimait avec fougue et passion? Ce Togo, va-t-il devenir un jour une terre affranchie et émancipée, celle qu’il désirait de toutes ses forces? Oui! Mais il constaterait que sous le RPT/UNIR, cela relève plutôt du domaine des impossibles, qu’avec ce parti et sa horde d’infâmes rapaces, ce sera une vaine aspiration et la terre de nos aïeux demeurera une habitation de démons, un refuge d’esprits impurs, d’oiseaux odieux.
Kokouvi Joachim Atsutse Agbobli, dans l’au-delà, au jour anniversaire de sa tragique mort, convie les Togolais à se relever de leurs lieux de chute et continuer la lutte jusqu’à ce que soit anéanti le régime de la misère et de la mort qui, telle une hydre, se renouvelle constamment et élargit sa capacité de nuisance en proportion des sacrifices consentis pour la détruire. Togo debout! Tel serait le cri harangueur de l’intellectuel s’il revenait parmi les vivants en terre togolaise car, dirait-il, « la patrie, pendant les dix ans de mon absence, est allée de mal en pis ».
Kodjo Epou
Washington DC
USA
27Avril.com