Dans les pays dont le crédo est la bonne gouvernance, les enquêtes et sondages font partie intégrante du train-train quotidien et les services de statistiques sont des plus actifs. Gouverner c’est prévoir, dit-on. Et c’est à coups de statistiques que sont orientées les grandes décisions des pouvoirs publics, des entreprises et des collectivités. Au Togo, les décideurs s’en servent également. Même si les enquêtes et les sondages sont quasi inexistants, les données, elles, résonnent. Enquêtes dans l’ombre, chiffres rocambolesques le grand jour à l’affût de campagnes politiques. C’est ainsi qu’un matin, les Togolais apprennent par un conseil des ministres du 31 janvier 2017, que le taux de chômage aurait diminué de 3,1 point de pourcentage, passant de 6,5% en 2011 à 3,4% en 2015. Et pourtant, plus de 50% de la population est pauvre, selon les mêmes statistiques.
Il faut dire d’entrée de jeu, qu’on ne peut attendre que l’Etat trouve un emploi à 7 millions de Togolais estimés. Ce n’est pas réaliste. C’est plutôt souhaitable de parler de l’obligation de l’Etat à créer des conditions favorables à l’emploi.
Le Togo n’est pas du tout industrialisée. Au 31 décembre 2015, la fonction publique enrôlait seulement 44 504 agents (sources : ministère de la fonction publique). Dès lors que le gouvernement n’arrive à exploiter qu’environ 1,05% du potentiel humain évalué à plus de 4 millions de population active de 15 à 64 ans, comment arrive-t-on à un taux de chômage exemplaire de 3,4%, loin devant des références comme le Ghana (12%), l’Afrique du Sud (26%), le Nigéria (13%), Kenya (40%), France (9,6%), Allemagne (3,4%) ? Même si comparaison n’est pas raison, le Togolais n’est pas dupe, encore moins la presse qui a accueilli ces statistiques de 3,4% du gouvernement avec pincettes.
«Lorsqu’on fait un rapide benchmarking, on se rend compte que le taux de chômage du Togo est le même que celui des pays industrialisés tels que le Danemark (4,3%), la Suède (6,5%) l’Australie (5,8%) etc. Nous rappelons une fois de plus que le taux de chômage de plein emploi en économie est de 4%. Le Togo se retrouve-t-il dans une situation de plein emploi tout en étant un pays pauvre à faible revenus et fragile », avait rétorqué l’association « Veille Economique » au lendemain des informations balancées par le gouvernement sur la situation du chômage au Togo.
Comment expliquer qu’une population de seulement 3,4% de chômeurs soit à 55,1% pauvre (en référence au même rapport du gouvernement) ? Il faut alors se référer à un autre facteur dont les politiques parlent peu : Le sous-emploi qui est passé de 22,8% en 2011 à 24,9% en 2015.
L’Administration publique, l’Agence Nationale de Volontariat et le sous-emploi
Défini a priori comme l’inadéquation entre la durée ou la productivité de l’emploi d’une personne par rapport à un autre emploi possible que cette personne est disposée à occuper et capable de faire, le sous-emploi semble en pleine Promotion au Togo à travers l’Agence Nationale de Volontariat (ANVT) et même l’Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE), mais aussi dans l’administration publique.
Depuis 5 ans, le Togo excelle dans la promotion du volontariat national. Piloté par le ministère du développement à la base, le volontariat, selon les responsables techniques de l’agence, vise à promouvoir l’employabilité des jeunes à travers un effort d’insertion de ces derniers dans des structures pour une expérience professionnelle de minimum un an, renouvelable 5 fois tout au plus. Le concept est bon selon plusieurs partenaires au développement. En 5 ans, 15 milliards et demi de F CFA ont été mobilisés par le gouvernement dans le cadre du programme de volontariat.
Si ce schéma ne traduit pas à quel point les jeunes sont désœuvrés, il prouvera néanmoins que les 11 189 jeunes mobilisés en 5 ans, viennent alourdir les chiffres sur le sous-emploi. En effet, quel que soit le niveau des volontaires ou son lieu de déploiement, il touche une motivation plafonnée à 60 000F CFA, soit 91 euros environ.
Les responsables techniques de l’Agence nationale de volontariat s’évertuent à faire comprendre que le volontariat n’est pas une structure destinée à résoudre le problème de l’emploi. Il s’agit de favoriser l’employabilité des jeunes et susciter chez ces derniers, le goût à l’action citoyenne.
Pour les politiques, c’est une formule magique pour résoudre la question de l’emploi comme on peut bien l’apprendre dans les discours politiques toujours assortis de la célèbre formule « grâce aux efforts personnels du chef de l’Etat », le tout orné des fameuse statistiques : plus 11 000 jeunes ont été mobilisés en 5 ans, sans pourtant préciser qu’il y avait 70 000 candidatures en amont.
Quant à l’administration publique, le système de recommandations claniques a accentué le sous-emploi, d’autant plus qu’un diplômé en lettres modernes peut se retrouver expert télécom dans une administration sans aucune formation professionnelle préalable. Ce qui augmentera les charges dès lors qu’on va recourir aux consultants étrangers devant des cas techniques qu’un diplômé de BTS pourrait aisément gérer.
Quant à l’agence Nationale pour l’emploi, elle excelle dans la promotion du stage-emploi, essaie de mettre en place une banque de données fiables sur l’emploi et la main-d’œuvre. Tout comme l’agence de volontariat, elle ne dispose pas de privilège sur le programme politique de recrutement du gouvernement, mais sert d’intermédiaire dans des cas de recrutement.
Ce qui ramène à la même conclusion, L’ANVT, l’ANPE et même l’administration publique n’ont pas d’impact considérable sur le chômage comme les discours politiques s’évertuent à le faire croire. Ils n’ont contribué qu’à un taux élevé de sous-emploi évalué aujourd’hui à 25% auquel on peut s’amuser à ajouter les 3,4% de chômeurs toujours selon les sources de l’Etat pour enfin estimer à 28% le taux de chômage au Togo.
La vérité du PNUD
Dans un de ses rapport sur le Togo, le PNUD (Programme des Nation Unies pour le Développement) épingle le Togo au sujet du chômage en ces termes : l’apparente faiblesse du taux de chômage du Togo qui se situe à 6,51%, (Ndlr-en 2011) cache une sombre réalité : celle du taux de sous-emploi qui atteint 22,76% de la population active. Au cours de ces dernières années, la situation de l’emploi au Togo est devenue préoccupante particulièrement pour les jeunes.
incompétence et chômage
Si l’on devrait parler des causes du chômage élevé au Togo, on ne saurait ignorer l’éternelle question de la compétence. Comme nous confiait un cadre d’Ecobank-Togo « les offres de formations ne sont pas adaptées aux demandes des entreprises. Tous ces jeunes qui nous arrivent des universités et écoles professionnelles sont formés sur le tas ».
Voilà qui explique pourquoi, malgré la présence de plusieurs multinationales à Lomé comme MAERSK, Lomé Container Terminal, Bolloré SA, Asky, Brussels Airlines, Wacem, SGA… le chômage persiste. Les cadres et techniciens supérieurs dans ces sociétés, voire dans l’administration publique viennent de l’extérieur.
Selon les recruteurs, les offres de formations sont théoriques. Si des doigts se lèvent ici et là pour réclamer une refonte du système éducatif, c’est que les offres de formations continuent d’être un lobbying juteux y compris le secteur public où les autorités universitaires jouent la sourde oreille.
Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, 27% de jeunes s’inscrivent dans des universités publiques (Universités de Lomé et Kara) où depuis 2008, le système LMD a été imposé aux étudiants, sans les moyens techniques et financiers adéquats.
On n’a pas la technologie pour évaluer le pourcentage pratique et théorique d’une offre de formation donnée. Sans oublier que des centaines d’étudiants finissent leurs parcours de formation, et se retrouvent devant une administration qui ne les reconnais pas. « Nous n’avons pas votre nom dans les registres. Vous n’avez jamais été inscrits au campus », dit-on à ces malheureux étudiants.
Les cours sont dispensés comme des concerts publics. En 2015, il y avait plus de 600 étudiants pour un seul professeur titulaire à l’Université de Lomé, sans oublier que les mêmes professeurs interviennent à l’université de Kara et dans les instituts privés de la place.
Le problème des pays du Tiers-Monde n’est pas celui du pain, mais du gagne-pain, attestait Alfred Sauvy. Le chômage au Togo est intimement lié à la pauvreté.
L’Etat n’est pas le seul à devoir travailler à l’insertion et l’épanouissement de tous les jeunes. Cependant, il a la lourde responsabilité de mener une politique appropriée à travers d’honnêtes statistiques, de solides prévisions, une meilleure offre de formations et mieux, un bon lobbying envers le secteur privé pour une meilleure absorption du potentiel humain.
Pour le professeur Kako Nubukpo, il faut également penser à l’expansion du secteur industriel. C’est seulement en transformant et distribuant ce que nous produisons, qu’on peut créer de l’emploi.
Et le gouvernement ? qu’en pense-t-il ? Manipuler les chiffres et flatter son auditoire pour tout le temps ? Ce serait faire preuve de mauvaise foi, au risque d’étaler le tapis rouge aux frustrations et au radicalisme. La fuite des compétences et l’exode jeunes à la recherche de l’eldorado occidental, vont déjà bon train.
A. Lemou
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