Le régime de Lomé ne cesse de se durcir. Et avec le changement de Constitution consacrant le règne à vie de Faure Gnassingbé, qui est en train de boucler ses 20 ans au pouvoir, la situation des exilés politiques se complique davantage. Leur espoir de rentrer un jour au Togo sans être inquiétés s’envole.
Le champ de jouissance des libertés publiques se rétrécit de plus en plus au Togo. Les voix dissonantes sont rapidement étouffées. Un phénomène qui va prendre de l’ampleur avec l’adoption de la nouvelle Constitution qui permet à Faure Gnassingbé de rester éternellement aux affaires. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les nombreux Togolais vivant en exil.
«Le renversement constitutionnel orchestré ne participe en rien au développement politique du Togo. Ce passage en force de la IVe république issue du référendum en 1992 vers la prétendue Ve république adoptée le 19 avril dernier par des parlementaires en fin de mandat ne poursuit qu’un seul objectif : assurer la survie du régime de Faure Gnassingbé à travers une instrumentalisation de nos institutions. Le coup d’État Constitutionnel perpétré, permettra prochainement à Faure Gnassingbé de devenir président du Conseil des ministres. Cette nouvelle fonction concentre en elle la réalité et l’essentiel du pouvoir et permet à Faure Gnassingbé d’attribuer à une des figures de paille dont il est coutumier la désormais symbolique fonction de président de la République vidée de sa substance », a dénoncé, dans une interview accordée le 28 avril 2024 au site d’information Lesnouvellesdafrique.info, François Boko, avocat au Barreau de Paris et ancien ministre de l’Intérieur et de la Sécurité du Togo.
En effet, l’ancien officier supérieur de la Gendarmerie, est l’un des plus célèbres Togolais vivant en exil. Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, il était chargé de préparer l’élection présidentielle du 24 avril 2005, consécutive à la mort du Général Gnassingbé Eyadema. Mais craignant un bain de sang, il a demandé que soit suspendu le processus électoral. Et non suivi par les autres membres de l’exécutif, il a démissionné et s’était réfugie à l’ambassade d’Allemagne à Lomé. En mai 2005, il a été exfiltré vers la France, après des négociations qui ont impliqué des représentants du gouvernement togolais de l’Union européenne et les ambassadeurs allemand et français. Depuis lors, il s’est installé à Paris et travaille comme avocat. Soit dit en passant, la tenue du scrutin du 24 avril 2005 a fait entre 400 et 500 morts selon le rapport des Nations Unies.
De 2005 à ce jour, il n’est plus retourné au Togo. On se rappelle qu’en mars 2019, l’ancien ministre et sa délégation étaient à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle pour embarquer pour Lomé. Les bagages étaient déjà enregistrés et il se préparait pour les dernières formalités quand il s’est entendu dire qu’il ne pouvait plus embarquer et que, dans le cas où il serait à bord, le gouvernement togolais refuserait à la compagnie aérienne l’autorisation d’atterrir. Au même moment, les Forces armées togolaises (FAT) ont rendu public un communique indiquant que la sécurité de l’ancien ministre ne serait pas garantie, s’il arrivait à Lomé. Face à ces menaces, il a été retenu à Paris par les autorités françaises et n’a pu se présenter à l’élection présidentielle de 2020.
Comme cela ne suffisait pas, il a été de nouveau empêché en février 2024 de venir assister aux obsèques de sa mère. « C’est en vain que l’opposant togolais en exil François Boko a sollicité l’autorisation de rentrer au Togo pour y enterrer sa mère, décédée le 12 décembre 2023. Sauf coup de théâtre, et malgré de multiples démarches, il ne pourra pas assister aux funérailles, prévues début février », a révélé le journal électronique français Africa Intelligence.
Contraint à l’exil depuis 2017, Tikpi Atchadam, Président du Parti national panafricain (PNP) et grand artisan des manifestations antigouvernementales synchronisées sur toute l’étendue du territoire togolais le 19 août 2017, ne peut également rentrer au pays de si tôt.
Depuis un an, plusieurs personnalités qui ont fui le Togo pour des raisons politiques, sont décédées en exil : l’homme d’affaires Sow Bertin Agba en Afrique du Sud le 16 mai 2023 dans des conditions non encore élucidées; l’archevêque Mgr Philippe Kpodzro le 09 janvier 2024 en Suède; l’ancien Premier ministre, Président du Mouvement Patriotique pour la Démocratie et la Développement (MPDD) et candidat à l’élection présidentielle de 2020, Agbéyomé Kodjo le 03 mars au Ghana; l’ancien coordinateur du Mouvement patriotique du 5 octobre (MO5) Alafia Adje Kpadé, le 06 mars 2024 au Canada.
A ces personnalités qui ont pris le chemin de l’exil, s’ajoutent les journalistes Ferdinand Ayité et Joël Kouwonou, respectivement Directeur de Publication et Rédacteur en chef du journal L’Alternative. Poursuivis par deux ministres pour « outrage à l’autorité » et « propagation de propos mensongers », les deux confrères ont quitté début mars 2023 le pays afin d’échapper à un 2ème emprisonnement pour la même affaire. Dans un procès expéditif le 17 mars 2023, ils ont été condamnés par contumace à 3 ans de prison ferme et à 3 millions de FCFA d’amende chacun. Un mandat d’arrêt international a été également lancé contre eux.
Il existe aussi une longue liste de jeunes qui étaient très actifs dans les partis de l’opposition, les organisations de défense des droits de l’homme ou les mouvements estudiantins et qui, compte tenu de la situation qui prévaut actuellement, ne peuvent pas rentrer au bercail. On peut citer entre autres Sonhaye Sadikou Gbandi du PNP, Komlanvi Avitso membre des mouvements estudiantins et très actif lors des manifestations au début des années 2000, Komi Mawuli Dovo de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), Kodjovito Dellali Zegue militant du MPDD. La crainte d’être rattrapés par leur passé est très forte. Et les faits semblent leur donner raison.
De passage à Lomé après plusieurs années en exil en Suisse, l’opposant Jean-Paul Oumolou, ancien leader des mouvements estudiantins au début des années 2000, a été arrêté le 03 novembre 2021. Accusé d’« incitation à la révolte contre l’autorité de l’État », « outrage envers les représentants de l’autorité publique », « diffusion de fausses nouvelles » et « apologie des crimes », il est toujours en détention dans les locaux de la Gendarmerie nationale. En rappel, pour avoir notamment réclamé de meilleures conditions d’étude, l’ancien président du collège des délégués de l’Université de Lomé avait également passé quelques mois en prison en 2004 avant de prendre le chemin de l’exil.
Le cas de Togbui Dodji Akakpo IV, chef du village de Kpoteme dans le canton de Kpétsou (Préfecture de Bas-Mono), est encore plus récent. En service dans l’armée américaine, il a vivement réagi à travers un audio à l’assassinat d’un enfant lors des manifestations contre le pouvoir en 2017. En 2022, le démobilisé de l’armée américaine est rentré au pays. Il a été reconnu par les autorités togolaises comme chef du village de Kpoteme et intronisé. Mais le 23 janvier 2023, il a été interpellé dans son accoutrement de chef et placé sous mandat de dépôt. Poursuivi pour atteinte à la sécurité intérieure de l’État à cause de sa réaction de 2017, il a été condamné en août 2023 à dix ans de prison ferme avant de recouvrer la liberté le 29 décembre 2023 par grâce présidentielle.
Ces exemples prouvent à suffisance que personne n’est à l’abri. L’épée de Damoclès est bien au-dessus de la tête de la plupart des exilés.
Ben Late
Source: Liberté / libertetogo.info
Source : 27Avril.com