La diversion en psychologie sociale et en stratégie est une forme de manipulation destinée à détourner l’adversaire du point que l’on veut l’attaquer. S’il existe un domaine dans lequel le système RPT-UNIR excelle depuis un demi-siècle, c’est bien celui-là. Allumer des écrans de fumée pour occuper l’adversaire pendant que l’on prépare un coup foireux. Depuis quelques semaines, et en perspective des prochaines élections législatives, le pouvoir RPT-UNIR qui refuse depuis plus de dix ans, de mettre en œuvre l’Accord Politique Global (APG), sort de son lugubre laboratoire un nouveau concept, CENI technique, pour embrouiller ses adversaires.
De la fameuse CENI technique …
C’est au cours du conseil des ministres du 09 décembre 2015 que le sujet de la mise en place de la CENI technique avait été évoqué. Après un long silence, et à un an des prochaines élections législatives, le sujet est remis sur le tapis. Selon le gouvernement, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), telle qu’elle se présente aujourd’hui, est politisée, ce qui n’est pas de nature à garantir la sérénité de son fonctionnement. Le coup d’éclat à l’ivoirienne du Vice –Président de la CENI Francis Pedro-Amuzun lors de la proclamation des résultats frauduleux par Taffa Tabiou, est l’argument béton que l’on avance pour justifier la mise en place d’une CENI technique.
C’est dans le but d’y parvenir que le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales a entamé, depuis le 29 juin dernier une série de consultations avec les partis politiques pour les préparatifs en vue de la relecture du code électoral, dans le cadre de la préparation des prochaines élections. La démarche en elle-même a de quoi surprendre, puisque d’une part le sujet en question est inscrit dans les réformes constitutionnelles et institutionnelles que le régime refuse de matérialiser, et d’autre part la question de l’indépendance de la CENI est réglée par les articles 4 et 5 du code électoral.
Le problème que rencontre la CENI, toujours présidée par un homme du régime que l’on présente parfois comme un cadre de l’administration, n’est pas son caractère « politisé », mais plutôt la volonté du régime à chaque élection, de proclamer de faux résultats. Ce sont ces coups de force qui sont le plus souvent dénoncés par les représentants de l’opposition, occasionnant parfois des scènes surréalistes, comme ce fut le cas lors de la présidentielle de 2015. En d’autres termes, si l’ensemble des partis représentés à la CENI s’accordent à proclamer en toute indépendance les résultats sortis des urnes, la CENI ne rencontrerait aucune difficulté. Tant que le pouvoir n’accepterait pas la volonté sortie des urnes et s’emploierait à chaque élection à traficoter les résultats, la CENI, qu’elle soit politique ou technique, serait toujours dans la tourmente. Le Ghana qu’on cite en exemple à cause de sa CENI technique est souvent confronté aux mêmes problèmes lorsque l’un des protagonistes surtout le pouvoir cherche à modifier les résultats. On se souvient de la présidentielle de 2012 dans ce pays entre John Mahama et Nana Akuffo-Addo. Le pays était plongé dans une crise postélectorale de plus de six mois qui a mis la justice de ce pays à rude épreuve, après que le leader du NPP a accusé le pouvoir d’avoir trafiqué les résultats. Le même scénario s’est passé en décembre 2016 où la CENI du Ghana était au cœur de toutes les critiques. Il a fallu les médiations discrètes du Roi Ashanti, de l’ancien président John Rawlings et d’autres sages pour que John Mahama concède sa défaite. En France où la vérité des urnes s’impose à tous les acteurs, on n’a pas besoin d’une CENI technique, encore moins politique, pour donner les résultats. Ce sont les services du ministère de l’Intérieur, en collaboration avec les instituts de sondages, qui donnent les résultats à 20 h. Lorsqu’on analyse les arguments du régime qui cherche à imposer cette CENI technique, on comprend en réalité que c’est une nouvelle méthode pour truquer les élections sans bruits.
Qui dans ce pays peut être présenté comme un expert neutre ? Si le but ultime est de ramener au Togo des mercenaires électoraux de la trempe d’un certain Aganahi qu’on se précipitera de recruter par un appel à candidature bidon, ce serait prendre les Togolais pour des idiots. En affichant sa volonté de mettre sur pied une CENI technique, contrairement aux dispositions de l’APG, le pouvoir de Faure Gnassingbé prépare non seulement un nouveau coup de force électoral, mais aussi cherche par la même occasion à diviser davantage l’opposition. Les réactions diversifiées à la suite de cette consultation en sont une preuve. Comme il fallait s’y attendre, ce sont les acteurs politiques soi-disant de l’opposition dont les militants se comptent au bout des doigts, qui délivrent déjà leur satisfecit à l’initiative du régime. Pendant que cette diversion fait son effet dans l’opposition, le régime se frotte tranquillement les mains.
… à la prétendue guerre des clans au sein d’UNIR
« Réformateurs contre conservateurs » serait le combat du siècle qui aurait cours actuellement au sein de l’UNIR depuis que son président Faure Gnassingbé a ouvert les consultations des cadres de son parti venant de toutes les régions. Ce sont les médias qui font largement écho de cette prétendue tension ou guerre des clans. Porté sur les fonts baptismaux le 14 avril 2012 sur les cendres encore incandescentes du RPT, l’UNIR (Union pour la république) ne s’est jamais conformé aux dispositions légales en vigueur, notamment la charte portant création de parti politique. En l’absence de tout congrès constitutif, seul un bureau « provisoirement définitif », avec en tête Faure Gnassingbé, conduit les affaires à ce jour. Plutôt qu’un parti politique, son fonctionnement s’apparente à une nébuleuse composée d’individus et de personnages divers, civils comme militaires, dont l’unique point commun est de garder le pouvoir à vie, quitte à mettre le pays en coupe réglée. Le Togo n’a jamais connu de guerre, mais ressemble à un champ de ruine résultat de 50 années de gestion calamiteuse et hasardeuse de père en fils.
Cette nomenklatura politico-militaire n’a jamais connu un fonctionnement horizontal, c’est-à-dire démocratique. A l’image des régimes nord-coréens, avec une touche beaucoup plus soft, cette organisation a toujours fonctionné verticalement. Tout part du chef et tout revient au chef. C’est au guide éclairé que revient le dernier auquel tout le reste doit se soumettre. C’est ainsi que depuis 50 ans, le système Gnassingbé fonctionne de père en fils. Seule la famille Gnassingbé est appelée à être au pouvoir pour a vie, les autres ne seront que des serviteurs aussi à vie. Dans ce contexte, vouloir faire croire à l’opinion qu’il existerait un clan qui serait favorable aux réformes démocratiques, à l’ouverture, auxquelles s’opposerait un clan qui prône le statu quo, la ligne dure, serait une escroquerie intellectuelle.
Avant même la mort de feu Eyadema, Faure Gnassingbé, alors qu’il était encore député, était présenté, avec d’autres comme François Akila-Esso Boko, Foli-Bazi Katari, Kokouvi Dogbé et bien d’autres, comme étant les réformateurs du système. A la mort du Général Eyadema en 2005, en dehors de François Akila-Esso Boko, nous avons tous vu comment le réformateur Faure Gnassingbé, appuyé par Foli-Bazi Katari, a pris le pouvoir dans le sang. A-t-on jamais vu un réformateur sacrifier la vie d’un millier de compatriotes juste pour s’asseoir dans un fauteuil présidentiel ? Depuis la signature de l’Accord Politique Global le 20 août 2006, nous savons tous ce que Faure Gnassingbé et ses amis Gilbert Bawara, Christophe Tchao et autres font pour détricoter ce consensus de toute la classe politique et baliser la voie à un pouvoir à vie.
Depuis la neutralisation au canon de Kpatcha Gnassingbé, suite à une affaire d’héritage déguisée en atteinte à la sureté intérieure de l’Etat, suivie de l’éviction spectaculaire de Pascal Bodjona le 1er septembre 2012, dans une autre affaire, là aussi montée de toute pièce, Faure Gnassingbé s’est imposé comme l’unique chef au sein du système dont l’autorité est crainte par tout le monde. Il n’existe aucun courageux dans ce marécage UNIR pour conduire une quelconque contestation en interne. La preuve, tous ceux qui au sein du système vivaient des largesses de Kpatcha Gnassingbé et Pascal Bodjona, se sont vite rangés derrière Faure Gnassingbé. N’hésitons pas à le dire et de manière forte, il n’existe au sein de ce système un quelconque courant novateur qui s’oppose à des caciques qui militent pour le statu quo.
Quelle différence y a –t-il entre un Gilbert Bawara présenté comme un rénovateur qui multiplie les lobbying à Bruxelles pour obtenir la tête de l’ambassadeur de l’UE à Lomé, pour la simple raison que ce dernier ne cesse de leur rappeler les engagements pris pour les réformes, et un Magnim Esso Solitoki dont l’aversion pour l’opposition n’est plus à démontrer? Qu’est-ce qui pourrait opposer une certaine Victoire Noellie Dzidudu Tomegah-Dogbé qui, en moins de dix ans, a amassé une fortune colossale à travers un réseau qui s’étend à tous les secteurs du pays à un Koffi Kadanga Walla, milliardaire de son état qui a géré la CNSS comme une épicerie de quartier? Nous pouvons multiplier les exemples à la pelle en comparant les Christophe Tchao, plus jeune qui défend la remise du compteur à Zéro et un Florent Manganawè qui déclare que l’APG est caduc. Entre un Barry Moussa Barqué et un Dèdèriwè Ably-Bidamon. C’est la même comparaison au niveau des militaires. Tous ces gens, aussi civils que militaires venus d’horizon diverses, jeunes comme vieux, anciens collaborateurs de feu Eyadema comme, nouveaux venus avec Faure Gnassingbé, travaillent tous à prolonger le plus longtemps possible le règne de Faure Gnassingbé. Il n’existe pas dans l’UNIR ou au sein du régime une quelconque volonté d’ouverture comme ce fut le cas même au Parti Communiste Chinois de Mao Zédong à Deng XiaoPing et Jian Zemin à Xi Jin Ping.
Dans ce système, c’est la formule de Natchaba Fambaré qui est d’actualité : « Nous on prend tout ». Sauf que depuis dix ans, le cercle des voleurs s’est tellement élargi que certains ne trouvent plus grand-chose. La seule et unique guerre de clans qui oppose les individus au sein du système n’est pas liée à une quelconque réforme politique de leur parti ou au maintien d’un statu quo. C’est la bataille pour les privilèges. Ce sont les anciens voleurs du système du père contre les nouveaux voleurs du système du fils. Ceux que l’on surnomme de manière triviale les caciques, estiment avoir beaucoup fait pour sauver le régime au temps d’Eyadéma. Ils ne digèrent pas d’avoir été mis pour certains à la touche au profit des amis de Faure Gnassingbé dont le niveau de kleptomanie et d’enrichissement dépasse tout entendement. Autant à l’époque d’Eyadéma on volait en laissant tomber quelques miettes, autant sous Faure les voleurs passent l’aspirateur pour ramasser les miettes eux-mêmes après les dégâts.
La fronde des uns consiste à rappeler au chef qu’il doit veiller à ce que chaque partie puisse avoir un accès équitable au gâteau qu’ils se partagent sans se rassasier depuis 50 ans. Et comme il est de coutume, dès que le guide éclairé Faure Gnassingbé aura tranché, tous ces gens se mettront en rang serré comme un peloton chinois, pour opérer de nouvelles fraudes électorales au profit de leur mentor.
Ces prétendues tensions au sein d’UNIR ou guerre de clans ne sont en fait qu’une diversion de plus. Les seules réformes que l’on demande à Faure Gnassingbé depuis dix ans, ce sont la limitation de mandat les élections à deux tours, la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite, la purification du fichier électoral, la lutte contre l’impunité liée à des crimes de sang etc.; et depuis, il est incapable de matérialiser une seule.
La classe politique de l’opposition doit se réinventer une nouvelle méthode visant à contraindre le régime à purifier au moins le fichier électoral, là où tout se joue, pour espérer une victoire aux prochaines élections.
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