L’idée de la monnaie unique de la Cedeao est née pour palier à la disparition programmée du CFA que partage la moitié des 15 Etats membres. Si dans la sphère technique, les choses avancent très vite, les labyrinthes politiques semblent bien confus. Plusieurs pays menés par le Ghana sont prudents, le Nigéria méfiant et au sein de l’Uemoa, certains dirigeants retardent l’échéance, sous l’influence de Paris. Décryptage !
La Communauté économique et monétaire ouest africaine (Cedeao) travaille depuis quelques années sur une monnaie unique pour ses 15 membres. Une initiative à laquelle sont intimement associée la Zone monétaire ouest africaine (Zmoa) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). Des difficultés surgissent ci et là et rendent chaque jour plus loin l’évènement de cette monnaie et pendant ce temps, une résistance menée de l’intérieur par certains dirigeants notamment Alassane Dramane Ouattara (Côte d ‘Ivoire) et Ibrahim Boubacar Kéïta (Mali) renforce le doute sur le projet. La genèse du CFA, les polémiques qu’il suscite, l’idée de la monnaie unique de la Cedeao et la guerre froide que se mènent les dirigeants… Entre bonne volonté et jeux d’intérêts.
Le CFA en question…
On n’en sait jamais assez mais il y a, en Afrique, deux types de francs CFA. La Communauté financière africaine (Cfa) en Afrique de l’Ouest d’une part et d’autre part la Coopération financière en Afrique (Cfa) pour le centre du continent. Les deux monnaies sont physiquement différentes et ne peuvent être convertibles entre elles que par le biais des banques centrales. Ainsi, un Congolais de Brazzaville qui débarque à Lomé avec des billets CFA ne peut les échanger que sous des taxes de conversion. Les deux sont certes crées en 1959 pour remplacer leur ancêtre commun, le franc de la Colonie française d’Afrique (CFA) existant depuis 1945. Sauf que toutes les colonies n’y sont pas soumises. L’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Madagascar et la Guinée ont opté pour des monnaies nationales dès leur indépendance. Le Mali a abandonné la monnaie commune en 1962 avant d’y revenir en 1984 alors que la Mauritanie l’a quittée pour de bon depuis en 1973. Théoriquement, chaque pays est libre de quitter la zone franc même si la Guinée a fait les frais de son refus d’intégrer la monnaie coloniale. Les services secrets français ont mis en circulation à Conakry des milliards de franc guinéens pour fragiliser l’économie. Après son retrait en 1962, le Mali, le nouveau franc malien a connu deux dévaluations successives (1963 et 1967) et tout en empêchant la convertibilité de la nouvelle monnaie, Paris l’a peu fiable et inflationniste, ce qui a décourage toute nouvelle tentative de sortie d’autant qu’en 1963, Sylvanus Olympio a été assassiné par les services français avant de pouvoir mettre en circulation la nouvelle monnaie togolaise.
La récente polémique autour du CFA
La polémique est partie récemment de l’Italie. Luigui Di Maio et Matteo Salvini, tous deux adjoints au président du conseil italien s’en sont pris à la colonisation et au CFA. Depuis, des manifestations se multiplient. Virtuelles sur les réseaux sociaux puis de manière plus palpables comme les États généraux du CFA à Bamako ou la géante manifestation de Rome prévue le 23 février. Le suprématiste Kémi Séba en profite pour reprendre du poids alors que plusieurs médias français le présentent comme « Conseiller du gouvernement italien ». Fanny Pigeaud, respectable journaliste d’investigation à Médiapart indexe, avec l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, une monnaie qui « paralyse les dynamiques productives». Kemi Séba dénonce une « monnaie de la servitude» , le collectif « Sortir du franc CFA » appelle les sénégalais à voter, lors de la présidentielle du 24 février, pour le candidat de leur choix, décevant de fait les partisans de « Sonko, le plus réaliste sur le CFA» . Kako Nubukpo, économiste de renom et ancien ministre togolais accuse le CFA d’ »asphyxier les économies africaines » et va en campagne contre « une servitude volontaire» . Cette mobilisation ne décourage pas les soutiens de cette monnaie. Le Quai d’Orsay en premier publie un réquisitoire qui prend littéralement la défense du CFA comme une garantie de stabilité alors que Alassane Ouattara défend « une monnaie librement choisie ». Etienne Giros met en garde « … quitter le Franc CFA, vous irez immédiatement appauvrir des dizaines de millions d’Africains» . Pour le président du Conseil français des investisseurs en Afrique « le Franc CFA facilite également le commerce international car c’est une seule monnaie et il est convertible ».
L’idée d’une monnaie unique pour les pays de la Cedeao est aussi vieille que l’institution mais ses premières bases date de 2009. La Zone monétaire ouest africaine (Zmoa), pendant de l’Uemoa et lancée une décennie plus tôt opte pour la mise en place de l’Eco, une monnaie commune. Elle vise les pays ayant chacun leur monnaie, le Ghana, le Nigéria, la Sierra Léone, la Gambie et la Guinée. Avec pour vocation de s’étendre rapidement au Cap-Vert et au Libéria. Avant qu’en juin 2013, l’idée de l’étendre à toute la Cedeao ne soit acquise. Depuis, la monnaie fait son chemin. Un comité de chefs d’Etat y travaille avec des experts pendant que la banque centrale a lancé des concours pour retenir un nom ainsi qu’un logo. Depuis, le projet tâtonne. Le Nigéria, producteur de pétrole exige des autres pays qui en sont plutôt pour la plupart des importateurs de brut, un niveau de convergence économique que les plus fragiles (Guinée Bissau, Niger, Togo, Bénin) auront du mal à atteindre d’ici l’échéance. Pour Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, l’un des premiers actes serait le plan de divorce entre le Trésor français et les pays de l’Uemoa par rapport au CFA. « Pour l’instant, ils ne l’ont pas fait » déplorent la journaliste et l’économiste lors d’une interview avec Afrika Stratégies France. Pour les co-auteurs d’un livre sur le sujet, « la création de la monnaie unique ne se fera vraisemblablement pas en 2020» . Mais il faut noter un imbroglio important, c’est que depuis l’annonce de cette monnaie, plusieurs dirigeants prennent la défense du CFA, comme s’ils ne sont pas encore prêts à s’en passer.
La monnaie unique vue par les dirigeants
Les chefs d’État des 15 pays concernés ont des avis qui divergent, à plusieurs points de vue. Avec un PIB de 461milliards de dollars en 2018, le Nigeria devenu depuis première puissance continentale devant l’Afrique du Sud n’entend pas s’associer avec le Bénin qui plafonne à 8,6 milliards de dollars ou la Guinée Bissau qui peine à atteindre 1,5 milliards. Alors, le géant pétrolier exige un niveau minimum de convergence économique, ce qui a de quoi retarder les autres. En attendant, Abuja propose une entrée dans sa monnaie, le Naïra, à ses voisins notamment le Bénin, le Cameroun et le Niger. Yaoundé ne veut pas en attendre parler avant d’envisager pour à moyen terme, la monnaie unique. Pendant ce temps, Accra est impatient et propose deux groupes. Celui du Ghana avec notamment la Guinée, la Gambie, la Sierra Léone, le Libéria et le Cap-Vert et celui du Nigeria, avec possibilité pour les pays de l’Uemoa d’intégrer l’un des deux camps. Les économies les plus fragiles de la communauté préfèrent une monnaie commune unique « sans délai » alors que les pro-CFA demandent de prendre le temps. Si Alassane Ouattara, Macky Sall et Ibrahim Boubacar Kéïta sont « très » favorables au maintien du CFA, « en attendant» , la plupart des autres pays de la zone ont du mal à contrarier Paris. Dans une liste régulièrement actualisée et tenue au Quai d’Orsay, seul Mahammadou Issoufou est clairement opposé à la monnaie coloniale, suivi du béninois Patrice Talon. Marc Kaboré, au départ anti-CFA qui s’est permis de recevoir l’icône de la lutte, Kémi Séba a depuis revu sa position. La menace terroriste omniprésente réduit ses marges de manœuvres par rapport à la France. Faure Gnassingbé quant à lui reste sous l’influence du président ivoirien d’autant que le président togolais use de tous les moyens pour améliorer son image auprès de Macron et en gagner la sympathie. La guinée Bissau qui a abandonné en 1997 son pesos pour rejoint la famille CFA s’y plait, ayant depuis réduit son inflation.
Ces divergences permettant à l’ancienne puissance coloniale de tirer les ficelles, la porte de sortie est encore loin pour les États concernés. La moitié de la devise aux mains de la banque de France et le contrôle monétaire de Paris sur cette vaste région ne faciliteront point l’abolition de la monnaie coloniale. En attendant, acteurs et observateurs s’accordent à dire que l’échéance de 2020 pour passer à une monnaie commune au niveau de la Cedeao est une utopie collective.
MAX-SAVI Carmel
Source : Afrika Stratégies France
27Avril.com