Ce que nous sommes devenus, nous autres togolais, en cinquante ans sous le regard des autres

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extreme pauvrete en afrique

« Autrui détient un secret : le secret de ce que je suis. Il me fait être et par là même me possède ». Dans l’ETRE ET LE NEANT, Jean Paul SARTRE développe la théorie du regard qui cerne l’autre, le met en pièces pour l’appréhender, le connaître. Nous ne nous connaissons jamais assez sans les autres. Nous connaissons parfaitement l’accent de tel peuple ou de tel autre avec qui nous partageons une langue autant que ses habitudes, sa mentalité, ses forces, ses faiblesses…

Nos voisins se révèlent à nous dans leurs actes, leurs réflexes. Ils ne peuvent pas indéfiniment se cacher de nous parce que être, c’est paraître, c’est-à-dire se projeter sur l’écran des pupilles des autres consciemment ou inconsciemment.

Notre historicité est dans notre parcours, celui que nous traçons et que les autres enregistrent. La personnalité togolais sortie sous le règne et le modèle des GNASSINGBE se connaît mieux par nos voisins que nous ne l’imaginons. Les Togolais sont sous le regard du Ghana, du Burkina-Faso, du Benin, de la Cote d’Ivoire, de la sous-région, de la Communauté internationale et des peuples du monde autant qu’ils sont sous notre regard.

Le Ghana est dans les fleurs de sa renaissance, sur une courbe ascendante indéniable après son effondrement spectaculaire sous le règne du Professeur d’économie à Oscford, Koffi BUSIA, qui a renvoyé quatre millions d’expatriés du Ghana en 1968 en les considérant comme des prédateurs de l’économie ghanéenne. L’instabilité économique à la suite de ce triste épisode à engendré une série de coups d’Etat militaires qui ont provoqué la dégénescence socio-économique de ce pays sur vingt-cinq ans. D’où l’expression ivoirienne : « Etre tombé comme Ghana ».

L’autorité économique, politique, démocratique est rétablie pour RAWLINGS. L’alternance politique avec des institutions incarnant l’expression populaire donne une vie resplendissante à nos voisins de l’Ouest qui ne comprennent pas comment le Togo puisse végéter sous des chrysanthèmes pendant cinquante ans, avec la même famille, les mêmes puanteurs édulcorées de tapage médiatique, de falsifications sécuritaires, d’instruisions frénétiques sur la scène internationales avec des conférences bidons. Tous nos voisins connaissent nos badigeons ubuesques et nos prodigalités qui ne cachent pas nos misères politiques, nos institutions du scandale, nos délinquances judiciaires, notre gouffre social, moral, politique et nos barbaries.

La politique du superflu de père en fils, sans aucun horizon lumineux au Togo n’est-elle pas tombée fort longtemps sous le regard souverain des autres qui continuent de s’étonner de nos prouesses de risée ?

En trente-huit ans du père et de quinze ans de globe-trotter de fils, la fanfare et les castagnettes propagandistes pour un quatrième mandat du petit prince, n’élèvent-elles pas de cinglants quolibets ?

1) Plus d’un demi-siècle de chute, d’autoflagellation et de quolibets

Toutes les cités-carrefours de plusieurs civilisations accumulent des richesses et se dynamisent de leur mixité pour développer elles-mêmes leur esprit. Le savoir-faire des peuples enrichit des cités d’accueil. Les peuples des royaumes du Dahomey, du Ghana se sont établis sur la côte atlantique, s’ouvrent à la mer et accueillent des portugais, de brésiliens et afro-brésiliens, des anglais, des allemands et des français qui font du négoce en laissant plusieurs enfants. Une richesse culturelle s’est diffusée dans tous le Togo, dans un autre brassage de plusieurs civilisations sectorielles.

Une âme togolaise est née dans une détonation d’intelligence redoutable qui affronta vaillamment la tutelle française jusqu’au référendum de 1958 qui ouvre les portes de l’indépendance à notre pays en 1960.

Partout dans les documents historiques, les Français mentionnent le nationalisme des togolais, leurs capacités d’organisation, l’éclair d’intelligence qui les habite et la rigueur de leurs options, de leurs choix. Toutes ces aptitudes ne sont pas venues du hasard. Elles sont une émanation de la dynamique de croisement des peuples.
Nous étions un pays pilote dans la lutte contre la colonisation française. Le gros métissage intellectuel, des arts et des métiers de plusieurs horizons a permis à nos devanciers d’éclairer les autres peuples d’Afrique, dans un formidable courant d’expatriation pour l’enseignement, les métiers, l’art culinaire… Nous avons porté les mutations des peuples dans de très nombreux pays africains par notre sueur au travail, notre dynamisme.

Mais aujourd’hui, ceux à qui nous avons transmis la force de l’esprit, la générosité du bon sens, la dextérité de l’apprentissage, le génie et le gout se moquent de nous, de nos insaisissables nullités, de nos avaries politiques, de nos dégringolades commerciales, sociales, éducationnelles, de nos inversions de sens, de nos saletés institutionnelles, de nos perversions éhontées, de nos sauvageries crues, de notre présente tronquée sur la scène internationale, de nos faussetés morbides, de nos délinquances judiciaires, de nos maladies incurables en matière d’élection, de nos prodigalités mafieuses étonnamment vivaces, de notre déshumanisation…

Ceux parmi nous qui ont la chance d’un séjour dans les pays voisins peuvent témoigner les lapidations dont nous sommes victimes, rapporter les moqueries qui accablent notre peuple, le mépris que nos dirigeants répandent. Ils ne comprennent pas comment nous demeurons dans des ténèbres pendant que le cycle de la luminosité ne prive plus aucun peuple du sursaut. Ils lisent nos vies de misères à nos fronts, dans une chute impitoyable de cancres. Ils ne comprennent pas comment nous arrivons à nous accommoder si longtemps à une clochardisation des masses par une famille, une dynastie, un clan. Les prisonniers volontaires se détestent et rares sont ceux qui s’apitoient sur leur sort. Nos voisins proches et lointains s’alignent sur Jean Paul SARTRE, dans LES SEQUESTRES D’ALTONA où il écrit : « Je déteste les victimes quand elles respectent leurs bourreaux ». Nos voisins nous détestent, nous méprisent !
Comment sortir de l’engrenage des railleries, des quolibets quand nos niaiseries politiques triomphent des actualités et quand nous courbons nos têtes devant les tragédies électorales et devant la sottise de la cupidité d’une grande majorité de nos concitoyens nombrilistes et pervers ?

L’histoire est malheureusement aussi composée de ce que les hommes font contre leur propre génie, leurs propres talents. Nos stérilités viennent d’une direction ethniciste, clanique qui a si longtemps affamé notre peuple, spolié la république, massacré des citoyens, prostitué nos valeurs, nos mœurs, noyé l’esprit national d’émergence dans le gouffre des barbaries et nous avons perdu notre sérieux, les principes moraux, éthiques, civiques et toutes les valeurs d’ascendance de notre peuple.

Nos communes, nos villes, nos préfectures, nos cantons, nos villages sont dans une sépulture sèche qui ne libère pas l’esprit à la grandeur. Quand on tue le châssis d’un peuple, ses fondements, l’éducation, la santé, le commerce, les produits de rente qui enrichissent les peuples et quand on accapare les devises de ressources minières, la contrainte de la diète imposée aux populations les bascule à l’état sauvage. L’homme qui a faim perd le contrôle de lui-même. Il en va de même pour un peuple.

Les régimes barbares ne sont d’aucune utilité pour les peuples, les nations, les républiques et les hommes. Nous sommes aujourd’hui obligés de reprendre à la base l’édification de notre cité, la cité humaine et ce qui indigne nos voisins qui nous regardent de haut.

2) Bouffonneries politiques sur le théâtre de l’Etat

Le niveau de l’esprit national, du sens de devoir, de l’éducation, du civisme, de la morale politique, des codes d’humanité qui flambait la République, son avenir, était une couronne de célébrité qui lui offrait une canne de noblesse sur l’échiquier mondial et le distinguait favorablement parmi les jeunes nations du continent, avant que ne survienne le grand basculement dans la vallée des médiocrités, du nanisme, des crimes des horreurs à la suite de l’assassinat du père de la nation, Sylvanus OLYMPIO.

La transition éphémère de Nicolas GRUNITZKY annonçait nos faillites, quand les mêmes putschistes dévoilaient leur ambition et s’emparèrent du pouvoir. Les ambitions sans aucun mérite sont inexorablement annonciatrices de grandes tragédies. Pour bien comprendre les clignotements qui ont carrément mis notre république dans le rouge, il faut absolument lire LA FRANC AFRIQUE, LE PLUS LONG SCANDALE DE LA REPUBLIQUE de François-Xavier VERSCHAVE.

Tout part de l’esprit. Quand il est bien raboté, comme l’indique VERSCHAVE, dans une documentation fouillée sur la personnalité de celui qui faisait office de leader, le naufrage ne pouvait être que terrifiant. En lisant la biographie magistralement illustrée de séquences incroyables, le choc est inévitable, les rires et les larmes sont abondants. Le monde se moque des togolais en apprenant l’histoire du baobab de Pya. Y a-t-il dans l’histoire de l’Afrique moderne un chef d’un niveau aussi exécrable ?

Mais, c’est à la Conférence Nationale Souveraine en image directes avec des témoignages des personnes ressources que les confluents et les versants des preuves sur la gouvernance d’Eyadema ont fait l’écran de curiosité populaire toujours aux larmes de la révolte.

Ceux qui, en Afrique, se moquaient des Togolais et de l’abêtissement qu’ils subissaient du régime Eyadema ont parfaitement raison. Comme l’écrit Gérard LABRUNIE, SUR UN CARNET : « Les grandes idées ne viennent pas du mauvais esprit ». Le grand mérite de la Conférence Nationale Souveraine, c’est d’avoir fourni aux historiens des matériaux irréfutables pour des vérités historiques pures sur un règne de l’abîme qu’on veut couvrir d’artifices de paix. L’annexion, pour le compte personnel, de l’exploitation des phosphates du Togo, révélée à l’Assemblée nationale, Kazaboua, Agombio, la prostitution de luxe imposée par l’animation populaire, la clochardisation du peuple et la distribution des billets de banque aux masses qui dansaient à son honneur, pendant trente-huit longues années, sont quelques aspects de ses prouesses personnelles dont des générations entières vont se moquer comme le mode entier le faisait.

Le plus grave, en ce siècle autre en ses mœurs, la succession monarchique de son rejeton a amplifié l’éveil de la génération consciente. L’émergence africaine est horrifiée par le cumul des mandats de Faure GNASSINGBE, autant par la floraison des bassesses judiciaires, électorales. Dans les manifestations de la diaspora contre le « Timoniertricule », le monde se joint aux Togolais pour huer le prince de la savane herbeuse.

Cinquante-quatre ans de raillerie, de lapidation d’un règne d’usurpation, de la rapine, de la délinquance judiciaire, du vol, du viol, d’enrichissement illicite, de violation des droits de la personne et des peuples ne peuvent qu’expliquer la sépulture indécente dans laquelle la république est couchée. Les traumatismes et les tristesses sont lisibles à nos fronts. La mort est partout lancinante ; elle nous emporte dans le silence, dans un pays qui a perdu la joie de vivre, l’éducation, l’éthique, la morale publique, la scène internationale, tout son sérieux. Plus personne ne nous prend au sérieux ! Et pour combien de temps encore ?

Source : L’Alternative

Source : 27Avril.com