La croissance est en hausse, l’inflation en baisse, les infrastructures se développent. Pourtant, le secteur privé stagne et la pauvreté s’aggrave. En cause, le secteur informel, qui plombe les résultats économiques.
Le Bénin ne devrait pas avoir à se plaindre. Depuis cinq ans, son économie décolle. En 2014, elle a gagné trois points de produit intérieur brut (PIB) par rapport à 2010, soit plus de 5,5 % de croissance, contre 2,5 %. Le pays a ainsi rejoint le dynamisme moyen de l’Afrique subsaharienne.
Les prix à la consommation reculent grâce à de bonnes récoltes et à la chute des cours du pétrole – l’inflation était inférieure à 1,7 % l’an dernier et devrait se maintenir sous la barre des 3 % en 2015. Le coton pousse bien, même si les chiffres du secteur ne sont pas très fiables, et le port de Cotonou améliore son efficacité au niveau mondial.
Trois hôtels sont en construction dans la capitale économique. La ligne de chemin de fer Cotonou-Parakou s’étend lentement mais sûrement. Une cimenterie et des unités de transformation de tomates et d’ananas vont entrer en production et renforcer le secteur industriel. Le taux de scolarisation est excellent. Les césariennes sont devenues gratuites. Le Bénin progresse dans le classement de Transparency International sur la corruption et dans celui de la Banque mondiale sur l’amélioration du climat des affaires. Il souffle incontestablement dans le pays une petite brise porteuse. Mais…
« Le Bénin est un paradoxe, constate Jean-François Almanza, économiste à l’Agence française de développement (AFD). Sa croissance est bonne, mais le taux de pauvreté globale s’aggrave, soit par absence de redistribution, soit à cause des 3,5 % de croissance démographique annuels qui limitent l’amélioration du niveau de vie, soit en raison de la présence d’un secteur informel très important. »
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Immaturité
Examinons de plus près ce boulet. Qui dit « économie informelle » dit entreprises sans existence juridique et échappant largement aux taxes et aux impôts, employés sans qualification ni protection sociale. En pratiquant des prix imbattables, l’informel fait une concurrence déloyale aux entreprises normales. Il constitue une prédation pour le budget de l’État. Tous les pays africains connaissent ce symptôme d’immaturité économique, mais le Bénin en est un peu plus affligé que les autres.
Sur son blog, Daniel Ndoye, économiste-pays de la Banque africaine de développement (BAD) pour le Bénin, décrit les méfaits de la vente à grande échelle de l’essence de contrebande : « Ce carburant, vendu environ 30 % moins cher que dans les stations-service, représente plus de 80 % du marché du carburant dans le pays.
L’essence de contrebande, appelée kpayo (littéralement « non-original », en langue goun), est importée en toute illégalité du Nigeria voisin, où le carburant est fortement subventionné. […] Le gouvernement se voit ainsi privé d’un moyen d’alimenter le Fonds routier pour l’entretien des routes, puisque celui-ci ne peut être abondé par la redevance d’entretien routier (RER) prélevée sur les produits pétroliers, comme c’est le cas dans la plupart des pays de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest]. »
Mais lorsque l’État veut en finir avec cette activité illégale et dangereuse, il se heurte aux vendeurs à la sauvette et aux « grossistes » qui les alimentent en carburant illicite. Ainsi que le souligne l’économiste de la BAD, « tous arguent que de nombreuses familles subsistent grâce à cette activité de contrebande et que si le gouvernement veut y mettre fin, à charge pour lui d’offrir d’abord des possibilités de reconversion lucrative à tous ceux qui s’y adonnent ».
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Fenêtre de tir
Pourtant, Daniel Ndoye voit dans la baisse de 40 % des cours du pétrole depuis juin 2014 et dans la réforme des subventions aux carburants menée par le Nigeria « une courte fenêtre de tir favorable ». Il trace quelques pistes pour assainir ce secteur sans recourir à une répression impossible. « L’État pourrait revoir à la baisse la taxe sur les produits pétroliers ; la perte de revenus fiscaux qui en résulterait serait compensée par la hausse de la demande légale », donc taxée.
Il ajoute que la Colombie, confrontée au même problème à sa frontière avec le Venezuela, « a instauré un programme de reconversion professionnelle en faveur des vendeurs d’essence de contrebande, tâchant de dissoudre cette activité illicite en incorporant ces vendeurs dans les réseaux formels de vente de carburant ». En fait, c’est l’ensemble de ses liens commerciaux avec le Nigeria que le gouvernement béninois devrait repenser, estime à juste titre Daniel Ndoye.
Les réexportations vers ce pays représentent la moitié des exportations du Bénin, et les importations qui les alimentent, la moitié de ses recettes douanières. Autant dire que le Bénin est trop dépendant de son voisin et vulnérable à ses changements de réglementation, comme en 2012, quand la suppression des subventions des produits pétroliers par Abuja avait plus que doublé le prix des carburants illicites à Cotonou.
D’autre part, ces réexportations se font par des canaux essentiellement informels et ne créent pas de valeur ajoutée, car les produits réexportés ne sont pas du tout transformés sur le territoire béninois. Une situation dangereuse et malsaine.
Au compte-gouttes
Le 19 juin dernier à Paris, à l’issue de la Table ronde des partenaires pour le financement du développement du Bénin, le président Boni Yayi s’était félicité que 5 606 milliards de F CFA (8,55 milliards d’euros), soit plus du double de ce qu’il avait espéré, aient été promis par ses partenaires pour financer son programme de quatre ans.
Il semble s’être réjoui un peu vite tant cet argent arrive au compte-gouttes. Les investisseurs redoutent que le secteur informel leur fasse une trop sérieuse concurrence et que la transformation des produits agricoles béninois (qui permettrait d’approvisionner « en grand » les consommateurs nigérians) tarde à se concrétiser en raison du retard dans l’aménagement des vallées du pays, ainsi que dans le développement des treize filières agricoles programmées. L’informel, voilà l’ennemi du Bénin.
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Jeune Afrique