Blanchiment d’argent, financement du terrorisme, le Togo encore épinglé

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Dans un rapport rendu public en octobre 2019, le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) révèle que le secteur minier dans cette région de l’Afrique est miné par le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.


Les indicateurs et signaux d’alerte confirment que de faibles systèmes de supervision et de réglementation du secteur extractif/minier dans la région, ainsi que les défaillances des systèmes de recouvrement des taxes favorisent de manière significative l’escalade de la corruption, du blanchiment de capitaux et des flux financiers illicite. Aucun pays de la CEDEAO n’y échappe. On s’intéresse ici au cas du Togo.

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 Le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) est une institution spécialisée de la CEDEAO et un organisme régional de type GAFI (Groupe d’action financière) qui promeut les politiques de protection des Etats membres contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération des armes de destruction massive.

En 2019, il a planché sur le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme liés au secteur de l’industrie extractive et minière dans la région ouest-africaine.

Bien qu’il demeure la principale source de devises et constitue l’épine dorsale de 11 des 15 économies des Etats de l’Afrique de l’Ouest, le secteur extractif continue de se heurter à un ensemble complexe d’institutions réglementaires faibles qui peuvent être très sensibles à la corruption du fait de l’absence de garanties d’intégrité.

L’ingérence politique inappropriée et la faible volonté politique de renforcer les cadres juridiques, de fournir des garanties ou d’améliorer la gestion ont perduré malgré les appels croissants en faveur de la bonne gouvernance dans le secteur extractif.

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Dans certains pays, la mauvaise gestion du secteur a fait perdurer l’insécurité et même déstabilisé les gouvernements. L’exploitation minière traditionnelle en Afrique de l’Ouest se fait par des méthodes formelles et informelles (illégales).

L’expansion des activités minières artisanales et la porosité des frontières nationales offrent la possibilité d’un flux transfrontalier illégal de ces minerais et posent des défis de taille aux gouvernements en matière de contrôle.

Le manque de ressources des services douaniers, la corruption et la porosité des frontières contribuent à l’inefficacité des mesures visant à mettre fin à la contrebande de minéraux précieux, indique le rapport.

Dans un premier temps, il a été procédé à l’analyse de la situation de l’industrie extractive et du secteur minier. Celle-ci porte sur l’adéquation du cadre juridique, les questions de transparence et d’objectivité dans l’octroi des permis, l’octroi de concessions, l’efficacité de la réglementation et de la supervision du secteur, et les questions entourant la sous-traitance avec d’autres prestataires de services d’intrants/de produits de base requis pour faciliter les opérations des entreprises agréées.

  De même, l’analyse présente des questions concernant le rapatriement des revenus (flux financiers) ; si, oui ou non, les pays reçoivent leur juste part des revenus ; l’obligation de rendre compte des revenus ; l’impact de la gouvernance sur la façon dont les revenus sont gérés, ainsi que la mesure dans laquelle les meilleures pratiques au niveau international ont influencé le cadre actuel de gestion des revenus ou ont eu une incidence sur ce dernier.

Adéquation des cadres juridiques. A l’exception de la Côte d’Ivoire et, dans une certaine mesure, du Burkina Faso, la quasi-totalité des pays dont le Togo  a répondu que le cadre juridique est inapproprié. Les réponses représentent les opinions des différentes parties prenantes ciblées par l’enquête. Les régulateurs/superviseurs, les opérateurs ainsi que les organisations de la société civile (OSC) ont qualifié le cadre juridique togolais d’inadéquat.

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Transparence et objectivité dans l’octroi de permis et contrats. Le manque de transparence et d’objectivité dans l’octroi de permis et contrats dans le cadre de la gouvernance du secteur extractif a depuis longtemps dominé le discours dans ce secteur, relève le GIABA. Dans ce domaine, le Togo est le dernier de la classe. L’opinion de toutes les parties prenantes est négative.

Transparence dans l’octroi des concessions. Ici, le rapport mentionne que seules les personnes interrogées issues de la Côte d’Ivoire et du Togo ont convenu que leur pays dispose d’un processus approprié et efficace d’octroi de concessions aux entreprises exerçant dans l’industrie extractive ; tous les autres pays ont, quant à eux, répondu que leur processus est en quelque sorte inadéquat. Certes, les régulateurs et superviseurs sont généralement d’avis que le processus est adéquat, mais les autres catégories de personnes interrogées ont donné des avis différents.

Efficacité       de        la         réglementation          et         de        la supervision. Les réponses relatives à l’efficacité de la réglementation et de la supervision dans le secteur extractif sont mitigées.  Pour la réglementation, les deux premières parties prenantes la jugent adéquate alors les OSC la trouvent inadéquate. Mais en ce qui concerne la supervision, les trois entités ont répondu par la négation.

Gestion des revenus. En Côte d’Ivoire et au Nigeria, et dans une moindre mesure au Ghana et au Libéria, il existe un processus en place bien administré sur le plan des revenus, dans le cadre duquel les flux financiers de revenus tirés du secteur minier sont gérés. L’on note une absence de ce processus dans les autres Etats membres de l’Afrique de l’Ouest. Les parties prenantes togolaises ont déclaré ces revenus sont mal gérés.

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Equité dans le partage des revenus. Pour les opinions des personnes interrogées sur le fait de savoir si, oui ou non, leurs pays reçoivent leur juste part des revenus tirés du secteur extractif, seule la Côte d’Ivoire a donné une réponse positive, tandis que les régulateurs du Togo ont carrément dit non. Mais les deux autres entités ont affirmé que c’est partiel.

Obligation de rendre compte des revenus. En ce qui concerne l’obligation de rendre compte dans le secteur, seule la Côte d’Ivoire a fait état de l’efficacité de son dispositif de reddition de compte, tandis que le Burkina Faso, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal et le Togo ont, quant à eux, répondu que leur dispositif de reddition de compte est inefficace.

Cette situation démontre que les efforts déployés au niveau international visant à garantir la transparence et l’obligation de rendre compte dans l’activité du secteur n’ont pas encore donné de résultats dans la plupart des pays, fait remarquer le GIABA.

Impact des revenus sur la gouvernance. A la question de savoir si, oui ou non, les revenus tirés de l’industrie extractive ont eu un impact sur la gouvernance, seuls les régulateurs/superviseurs issus de la Côte d’Ivoire, du Libéria, du Mali, du Nigéria et du Sénégal ont donné des réponses positives; toutes les autres personnes interrogées estiment que l’impact a été faible voire inexistant.

Impact des normes internationales et meilleures pratiques. Selon les régulateurs/superviseurs issus de la Guinée, du Libéria, du Mali et du Sénégal, l’adoption de normes internationales et de meilleures pratiques a eu un impact allant de « modéré » à «élevé» sur les revenus.

Les opérateurs et OSC issus du Nigéria et du Togo sont d’avis que les normes internationales et meilleures pratiques ont eu un impact élevé ou ont contribué à accroître la génération et la mobilisation de revenus.

Le deuxième point saillant du rapport a trait aux typologies et études des cas. Cette partie décrit les typologies identifiées parmi les 28 affaires de blanchiment de capitaux et de financement potentiel du terrorisme fournis par les autorités compétentes.

« Les typologies varient des produits de la criminalité blanchis par le biais du secteur minier à l’utilisation du BC fondé sur le commerce transfrontalier; des cas attestant l’utilisation du secteur financier pour blanchir des produits de l’exploitation minière illicite, l’évasion fiscale, l’utilisation de minéraux précieux pour arnaquer des ressortissants étrangers, ainsi que l’utilisation des entreprises écrans pour blanchir les produits de la corruption et la fraude minière ont été identifiés », souligne le rapport.

Typologie 1 : Blanchiment des produits du crime par le biais de l’industrie extractive/du secteur minier. Les cas démontrent la façon dont les produits tirés d’autres infractions sous-jacentes au BC (blanchiment de capitaux), y compris le trafic illicite de stupéfiants et la corruption, sont blanchis par le biais de l’industrie extractive/du secteur minier. Les minéraux précieux, en particulier, ont été utilisés comme un instrument de blanchiment de capitaux et probablement de financement du terrorisme dans la région.

Typologie 2 : Blanchiment des produits tirés de l’exploitation minière et des produits miniers illicites à travers le secteur financier. La deuxième série d’affaires a révélé comment les produits générés à partir de l’industrie extractive/du secteur minier, notamment les minéraux précieux, sont blanchis à travers le secteur financier.

Typologie 3 : Blanchiment de capitaux à travers le commerce transfrontalier d’or et l’exploitation minière. Les affaires relevant de cette typologie ont révélé comment le blanchiment de capitaux basé sur le commerce est utilisé pour blanchir les produits illicites tirés de l’or et de l’exploitation aurifère à travers les frontières. « Affaire 7 : Recours au commerce transfrontalier (BC basé sur le commerce) pour blanchir les produits de la contrebande d’or :

Cette affaire remonte à 2015. M. P. est un agent d’une entreprise frauduleuse basée au Togo. M. P achète de l’or depuis le Burkina Faso; il a soudoyé des responsables gouvernementaux et a fait passer l’or en contrebande afin de faire rentrer le produit au Togo.

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Le rapport de l’ONG Suisse, l’opinion publique (formellement la Déclaration de Berne), relatif à la fraude sur l’or alluvionnaire extrait au Burkina Faso, a révélé que l’or était exporté vers la Suisse et vendu comme s’il provenait du Togo. Plus de 10 tonnes d’or d’une valeur marchande d’environ 150 milliards de FCFA sont exportées frauduleusement chaque année vers la Suisse via le Togo.

Les produits tirés de la vente de l’or sont utilisés pour acheter d’autres marchandises aux noms des entreprises basées au Burkina Faso détenues par le propriétaire de l’entreprise basée au Togo. (Source : Burkina Faso) ».

Typologie       4          :           Evasion          fiscale et         fraude dans l’industrie extractive/le secteur minier. Pour le GIABA, la tendance la plus courante et la plus répandue observée dans l’industrie extractive/le secteur minier en ce qui concerne la génération de fonds illicites, en particulier lorsque des responsables gouvernementaux sont corrompus, consiste à passer par l’évasion fiscale et la fraude. Les économies des pays de l’Afrique de l’Ouest sont en train de perdre d’énormes quantités de revenus en raison de l’évasion fiscale et de la fraude.

Typologie 5 : Utilisation de minéraux précieux pour escroquer des ressortissants étrangers.   Les arnaqueurs et autres criminels en Afrique de l’Ouest utilisent fréquemment les minéraux précieux pour attirer leurs cibles, principalement les ressortissants étrangers originaires d’Europe et des Etats-Unis, afin de les escroquer.

Ils ont créé de fausses entreprises, falsifié les documents, ont parfois utilisé des imposteurs et corrompu certains responsables gouvernementaux pour faciliter leur acte. L’arnaque sur Internet (le stratagème 419) est encore répandue dans la région.

Typologie 6 : Recours à des sociétés écrans pour blanchir les produits de la corruption et de la fraude dans le secteur extractif/minier. L’enquête révèle que la corruption et la fraude demeurent les deux fléaux utilisés pour priver les économies des pays d’Afrique de l’Ouest d’une importante source de financement, qui s’avère nécessaire au développement.

Des responsables gouvernementaux haut placés accordent des exonérations fiscales temporaires et autres concessions minières aux multinationales où ils ont des intérêts, après avoir été compromis, et ce, aux dépens du pays.

« Affaire 26 : Corruption et fraude dans l’acquisition de machines de location dans le secteur minier : La CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières, NDLR) a reçu une Déclaration d’opérations suspectes (DOS) pour un compte ouvert dans une banque locale sur la base d’une opération suspecte.

Appartenant à une société enregistrée dans un pays voisin, le compte était financé exclusivement par des paiements effectués par une société togolaise opérant dans le secteur extractif.

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L’enquête a révélé l’existence d’un contrat de location d’engins lourds entre la société togolaise et la société étrangère. En effet, la société togolaise loue les équipements auprès de la société étrangère et les paiements sont effectués comme stipulé dans le contrat. Les enquêtes ont révélé que plus de 4 milliards de francs CFA (environ 8 millions de dollars EU) ont été versés sur le compte de 2010 à 2017.

En 2016, plus de 400 millions de francs CFA (environ 800 000 dollars EU) ont été versés sur le même compte. Les paiements compensatoires versés à  la société étrangère sont beaucoup trop élevés par rapport à la nature du service fourni, c’est-à-dire la location d’engins lourds.

De même, les transactions sous couvert d’un contrat de location d’engins lourds sont en cours depuis sept ans. Au cours d’une telle période, une entreprise rationnelle aurait pris la décision d’acquérir le matériel au lieu de continuer à le louer. En outre, les personnes qui n’ont aucun lien avec l’entreprise ont effectué des retraits en espèces sur le compte de la société étrangère. 

L’enquête a également révélé que ces personnes sont proches des dirigeants de la société togolaise. L’enquête était sur le point d’être achevée pour que l’affaire soit soumise au tribunal au moment de la compilation du présent rapport. (Source: Togo) ».

« Affaire         28        :           Blanchiment  de        capitaux          liés       aux      flux miniers illicites : La CENTIF a reçu une DOS concernant des opérations suspectes réalisées par une personne politiquement exposée sur la base des faits suivants : M. B a occupé de hautes responsabilités politiques dans le gouvernement de transition d’un pays « C » exposé à des conflits, riche en ressources naturelles.

Au cours de la période, son épouse a ouvert des comptes bancaires dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Togo. D’importants versements en espèces ont été effectués sur ces comptes bancaires au cours de la période pendant laquelle son époux est resté en fonction.

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Le total des fonds acheminés par l’intermédiaire des comptes bancaires au Togo s’élevait à un milliard de francs CFA (1 524 390 euros) en 2014. Une partie de ces fonds a été transférée sur des comptes à l’étranger et le reste a été investi sur place dans le secteur immobilier.

Étant donné que le pays « C » est riche en ressources minérales, l’affirmation selon laquelle les fonds provenaient d’activités minières était plausible. Toutefois, la possibilité qu’une partie de ces fonds soit utilisée pour financer le conflit en cours dans le pays « C » ne peut être exclue. En conséquence, un rapport a été transmis au tribunal et l’enquête était en cours au moment de la compilation du présent rapport. Source : Togo ».

Pour limiter le phénomène du blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (BC/FT) liés au secteur de l’Industrie extractive et minière, le GIABA recommande entre autres qu’on améliore les capacités de la CENTIF à pouvoir recevoir, analyser et diffuser les opérations suspectes provenant de l’industrie extractive en entreprenant ou en contribuant à l’évaluation des risques de BC/FT dans le secteur minier, et notamment à l’aide d’une analyse des DOS (Déclaration d’opérations suspectes) provenant des négociants de métaux et pierres précieux, et des divers rapports pertinents provenant du secteur financier ou des acteurs de la chaine d’approvisionnement ; en accroissant la connaissance et la compréhension des Cellules nationales de traitement des informations financières (CENTIF) sur la chaine logistique et d’approvisionnement en ressources minérales.

Cet organisme régional encourage ou exige que les entreprises du secteur extractif mettent en œuvre les Principes directeurs de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sur le devoir de vigilance pour les chaînes d’approvisionnement dans le secteur des minerais.

A cette fin, les pays devraient : demander au secteur privé d’évaluer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme dans leurs chaînes d’approvisionnement en minerais ; envisager d’imposer aux négociants des minéraux et pierres précieuses de fournir aux autorités des données sur la provenance des minéraux, les quantités reçues et revendues et la destination des minéraux pour permettre au pays de mieux cerner les risques.

Ce rapport ne vient que confirmer l’opacité qui règne dans le secteur minier togolais et dont nous avons souvent fait cas dans nos différentes publications.

Le dossier le plus récent est intitulé : « Secteur des mines au Togo : Une véritable mafia à laquelle l’Etat lui-même participe ; Opacité dans l’octroi des permis, combines dans l’exploitation de l’or et du diamant … » paru dans le numéro 3141 du 6 mai 2020.

Liberté

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Source : Togoweb.net