Fille d’un ancien enseignant-chercheur en philosophie de l’esthétique à l’Université de Lomé, la Togolaise Bilitis Aimée Adamah, après ses études supérieures, fleurit dans la mode où elle découvre sa passion. Son univers artistique est particulier. Composées des pagnes, des pierres et des perles, surtout les plus anciens qui se font rares aujourd’hui, et parfois même du bois, ses collections sont uniques. A travers l’évènement »Les héritages colorés », elle fait découvrir l’identité africaine.
Avec à peine quelques années d’expérience, vous semblez réussir dans la mode. Quel est votre secret ?
Déjà toute petite, je me laisse emporter par l’envie de faire la couture et en particulier la création. C’est arrivé au Maroc en 2004 pour des études supérieures que cette envie a germée. J’ai réussi à allier passion et études et aujourd’hui je m’en réjouis. Forte de ma formation et de mes expériences auprès des aînés, je suis parvenue à créer ma propre structure et à présenter en 2014 ma première collection à Casablanca au Maroc. Après un séjour de 11 ans au Maroc ; j’ai décidé de rentrer au pays pour lancer ma propre ligne de vêtements et d’accessoires. Ce qui importait pour moi, vu mon jeune âge, c’était de susciter une émotion avec une œuvre d’art à base des pagnes d’Afrique, des Héritages en perles et en pierre colorées, d’où cette idée des accessoires en pagne et des perles. En 2016, de retour à Lomé, j’ai présenté la première collection des « Héritages Colorés » : vêtements et accessoires. Ceux qui répondent à mes invitations, que ce soit en boutique ou lors de nos sorties publiques, comprennent mon univers artistique.
Vous avez organisé cette année 2017 la deuxième édition des « Héritages colorés ». Parlez-nous-en.
L’année passée, plus précisément le 19 août 2016, j’ai présenté au public de Lomé ma première collection au Grand Rex. Cette année, c’est ma deuxième collection que j’ai présentée à l’occasion d’un Fashion show à l’hôtel la Concorde de Lomé. Cette deuxième édition des »Héritages colorés » est pour nous l’occasion de présenter une collection riche des pagnes tissés d’Afrique : le LOKPO du Togo et le Faso DANFANI du Burkina Faso. Plusieurs activités se sont déroulées : expositions ventes avec démonstrations des techniques d’utilisation, d’attache, de drapage du pagne et de ses accessoires en perles, également nous avons eu des journées portes ouvertes. L’apothéose était donc le grand défilé de mode VIP du 16 Septembre en lancement de la collection 2017-2018, avec un tableau assez coloré en pagnes tissés pour mettre en valeur la magnificence de la culture togolaise. Chaque accessoire est unique et fabriquée en petites séries. Les pièces sont travaillées à la main dans l’atelier à Lomé. Une collection douce et fine pour des femmes élégantes, audacieuses. Des femmes raffinées, qui assument leurs styles et font vivre la mode et les tendances. Mon équipe et moi avons décidé de nous engager dans le social en soutenant les élèves du centre des aveugles de Kpalimé. Une partie des recettes du défilé de mode leur sera reversée pour leurs besoins scolaires.
« Lorsque les pagnes nous habillent ». Qu’est-ce qui caractérise particulièrement votre propre ligne de vêtement et d’accessoires ?
L’identité d’un peuple est constituée de plusieurs pratiques d’ordre économique, politique, sociale…mais c’est très souvent la dimension culturelle qui constitue la valeur la plus remarquable et la plus caractéristique.
Ainsi en Afrique, le pagne et les perles sont des éléments d’identification culturelle du continent. Pour la plupart des Africains, le pagne n’est plus seulement un vêtement, mais une valeur de référence, un signe de reconnaissance sociale, un symbole évident.
Le pagne et les perles occupent une grande place dans nos sociétés traditionnelles et leurs revêtements constituent des codes selon les événements : naissances, initiations religieuses, mariages, funérailles… Pour les revaloriser, j’ai tout simplement décidé de faire de ces éléments les matières premières de mes collections devenant un styliste designer unique dans sa façon d’allier les pagnes d’Afrique, des pierres et des perles colorées avec un soupçon de bois afin de présenter non seulement des vêtements originaux d’où leur côté glamour mais surtout des collections épurées , généreuses et raffinées d’où leur côté tendance . Vous comprenez donc aisément qu’avec BilitisFashion, on est Glamour et Tendance.
Avec votre concept assez original, qu’est-ce que votre création a déjà pu susciter à travers l’Afrique ?
Notre vision est de susciter chez les Africains ou Africaines l’amour, un engouement autour des pagnes, des accessoires, des colliers, des chaussures en pagnes. Il s’agit de présenter au monde un visage plus raffiné de l’Afrique. Et nous croyons que nous sommes sur la bonne voie. Porter des habits, des chaussures, des sacs … tous en pagne, doit être une fierté pour l’Homme africain qui retrouve par-là son identité. En moins de deux ans, nous avons formé environ 200 personnes de différentes nationalités africaines. De Mars en août, 10 vagues de 15 femmes venant du Burkina-Faso, du Bénin, du Cameroun, du Gabon, de la Cote d’Ivoire, de la Centrafrique, du Ghana, du Sénégal, du Togo ont déjà bénéficié de notre savoir-faire. D’autres attendent encore sur la liste.
Pour vous, le pagne reflète l’identité africaine. Cependant comment comprendre que ces pagnes qui restent un déterminant clé dans la beauté de la femme africaine soient, pour la plupart, importés d’ailleurs notamment de la Chine ?
Les pagnes qui entrent sur le territoire togolais ne sont pas importés que de la Chine. Certes, le Togo n’a pas encore une véritable identité en termes de production textile. Mais le Ghana et le Burkina-Faso en ont.
Il est important que tous les acteurs de l’économie s’y mettent. Les stylistes doivent inspirer l’envie aux Togolais d’avoir leur propre pagne par des designs assez originaux en textile d’Afrique. Les communicateurs doivent amener les consommateurs togolais à aimer consommer produits togolais. Et les investisseurs togolais ainsi que l’Etat doivent songer à investir dans les entreprises du domaine textile et pourquoi pas dans une nouvelle usine de confection textile. A l’issue du forum AGOA organisé à Lomé, le Togo bénéficie d’un visa textile, ceci m’amène à croire que le gouvernement pensera à réhabiliter l’usine de Datcha.
Aujourd’hui, comme les pagnes des temps anciens, les anciennes perles sont très rares.
Ces perles que portaient nos grands-parents étaient en céramique et fabriquées sur place. Les années passent et ces précieux joyaux disparaissent avec le temps pour la simple raison que nos mamans partent sans léguer l’héritage. L’événement mode dénommé »Les Héritages colorés » est conçu avec l’idée de redonner vie à la courroie de transmission des techniques du « perlage » de la mère à la fille; et d’amener les gens à associer les perles aux vêtements. Il s’agit de revaloriser le patrimoine culturel vestimentaire de nos pagnes tissés et de nos pagnes basiques, de savoir les porter de façon moderne et de pouvoir les mettre dans l’habillement quotidien. Le pagne tissé est oublié et n’est réservé qu’aux fiançailles. Il est temps de changer la donne et donner un souffle nouveau à la mode togolaise sur le plan international.
Votre perspective ?
C’est d’aller dans les villes de l’intérieur du pays pour faire la promotion culturelle et la conservation du patrimoine vestimentaire, ceci pour que nos jeunes investissent plus dans ce secteur de la mode et du textile. Le pagne est un héritage, un patrimoine que nous avons reçu de nos parents. Concrètement, c’est de pouvoir revaloriser les patrimoines hérités de nos parents comme vecteur de développement économique et culturel, reconsidérer nos pagnes tissés et l’attaché de foulard, de laisser les tissages brésiliens pour joli-drapé de foulard qui nous valorisent.
Pierre-Claver Kuvo
Source : thisisafrica.me/fr
www.icilome.com