Le bras de fer opposant les populations du canton d’Atchinédji aux autorités togolaises et à la Communauté électrique du Bénin (CEB) va entrer dans une nouvelle phase judiciaire. Les populations expropriées lors de la construction du barrage électrique de Nangbéto ne font plus confiance aux instances togolaises. Elles comptent saisir la Cour de Justice de la CEDEAO. Avant ce nouveau round judiciaire, retour sur une injustice sociale qui dure depuis 1987.
La malédiction des ressources naturelles, les populations togolaises la vivent. Des usines de phosphates, de cimenterie aux énergies électriques, elles sont lésées dans la production de ces biens. Ces injustices sont accentuées par les Tribunaux qui refusent de rendre justice et semblent conforter les prévaricateurs.
A Atchinédji, dans la préfecture de l’Anié, selon les habitants, la vie était belle jusqu’à ce que « le barrage électrique fut » ! En effet, contrairement à la construction du barrage électrique, les populations expropriées qui réclament des indemnisations semblent plutôt vivre dans une obscurité judiciaire doublée de mépris et d’arrogance des responsables de la Compagnie électrique du Bénin.
Au commencement étaient les promesses
« Lorsque les promoteurs du projet sont venus, ils nous ont dit que sa mise en œuvre va occasionner des déplacements, et quand on sera déplacé, on sera mieux sur le nouveau site, on ne manquera de rien et ils prendront soin de nous pendant trois ans (03). Mais après notre déplacement à la fin de la construction du barrage, sans dédommagement ni mesures d’accompagnement, les souffrances ont commencé. Les promoteurs avec des promesses alléchantes ont disparu », déplore un habitant dans un rapport daté de mars 2014 du Mouvement Martin Luther King, une organisation civile qui se bat aux côtés des populations victimes afin qu’elles aient gain de cause. Plus grave, selon les populations, le nouveau site s’est révélé hostile. C’est un site marécageux qui s’inonde en saison de pluie. « C’est comme si les autorités nous ont largués sur une île invivable. Nous étions heureux, mais hélas, nous souffrons aujourd’hui alors qu’ils nous ont tout promis », déplore-t-il.
La Banque Mondiale a même fait cas de la situation de ces pauvres populations dépossédées de leurs biens. « Le barrage et le réservoir ont déplacé soit à peu près 10.600 habitants. Près de 21 des villages affectés par le barrage, surtout ceux proches du réservoir, avec une population de 1,285 ménage (7,626 personnes) ont perdu leurs maisons et leurs terres », rélève un rapport de la Banque Mondiale.
A ces promesses non tenues, s’ajoute le mépris des autorités de la CEB. « Vous n’êtes pas des poussins qu’il faut élever. Vous n’êtes pas des bébés qu’on viendra chaque fois allaiter ici, débrouillez-vous ». Ces propos, à en croire un habitant, sont des responsables de la société. « A l’époque, la CEB nous a dit que nos maisons seront des villas avec tout ce qu’il faut ; mais après, nous ne les avons plus revus. D’autres agents qui sont revenus un peu plus tard, c’est pour nous dire clairement que la CEB a déjà assumé sa responsabilité, reste à votre Etat de vous prendre en charge et s’occuper de vous », rapporte un autre habitant.
Il apparaît que les populations sont abandonnées à elles-mêmes sur le nouveau site. Toutefois, si la CEB se désengage par rapport au cadre de vie très aménagé qu’il avait promis, elle s’appuie sur ce qu’elle considère comme réalisations. « Il est à préciser qu’avant la construction de quelques cases aux déplacés, la CEB avait amené quelques paquets de ciment avec lesquels les déplacés eux-mêmes ont fait la montée des murs. Les briques étant faites sans ciment avec le sable mis à la disposition par la CEB. Les cases couvertes avec de la paille n’ont subi aucune touche technique : crépissage, badigeonnage, cimentage intérieur sol, poteau en béton, etc. et pouvaient s’écrouler comme des châteaux de cartes. (…) A ce jour, aucune de ces cases n’est débout, seuls leurs emplacements peuvent être indiqués par les vieux qui sont encore en vie », se plaint un habitant.
Aussi les indemnisations n’ont-elles pas réellement suivi. De nombreuses irrégularités ont été constatées car des critères sélectifs ont lésé des familles entières. Plusieurs personnes n’ont pas bénéficié des dédommagements et beaucoup sont décédées sans avoir bénéficié de leur relocation. Ceux qui sont en vie vivent le calvaire au quotidien puisque la CEB ne leur a pas apporté des infrastructures adéquates. Pas d’eau potable, ni courant électrique ni de structure de santé. Ce qui engendre des frustrations des populations dont certains habitants optent pour l’exode rural. Devant une telle injustice sociale, la population se bat pour rentrer dans ses droits.
Tribulations judiciaires
Les souffrances des victimes de la construction du barrage de Nangbéto auraient longtemps fini si la Justice togolaise avait joué son rôle de protecteur de la veuve et de l’orphelin. Dans ce dossier, elle a brillé par des contorsions qui en ont rajouté à la misère des populations. En effet, aidées du cabinet SCP Martial AKAKPO, les victimes ont déposé plainte contre l’Etat togolais aux motifs que « l’expropriation pour cause d’utilité publique intervenue au cours des années 1984-1987 sur l’actuel site du barrage de Nangbeto et dans les villages environnants leur a causé de graves préjudices », que leur droit à la propriété a été bafoué nonobstant le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux et l’article 27 de la Constitution togolaise. Mais le Tribunal de première instance de première classe de Lomé, après avoir statué sur le dossier, s’est déclaré « incompétent au profit du Tribunal de première instance d’Atakpamé ». Au Tribunal d’Atakpamé, rebelote.
La saisine de la Cour de Justice de la CEDEAO
« Les victimes de l’expropriation de Nangbeto viennent enfin de se voir délivrer l’expédition du jugement attaqué et vous prient de bien vouloir remettre l’affaire au rôle afin qu’elle soit appelée à la prochaine audience de la mise en état de la Cour d’Appel ». C’est par ce courrier que les victimes de l’expropriation de Nangbeto ont saisi en mai 2017 le Greffier en chef près la Cour d’Appel de Lomé. Mais curieusement, et selon Ayena Logo, le mandataire des victimes d’expropriation, à la Cour d’Appel de Lomé, on ne retrouve pas le numéro de rôle !
Toutes ces choses ont conforté les victimes que ni l’Etat togolais, ni la CEB n’envisage les rétablir dans leur droit. Et c’est pourquoi elles comptent dans les jours à venir saisir la Cour de Justice de la CEDEAO. Cette Cour a, de par le passé, condamné l’Etat togolais dans de nombreux dossiers.
Affaire à suivre.
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