Aziz Gomah. Jean-Paul Omolou. Aboubakar Janvion. Alfa Ibrahim et tous les autres: Pourquoi ne les libère-t-on pas?

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« La terreur n’assied pas l’autorité sur une base solide; le meilleur moyen d’assurer la paix dans un pays repose plutôt sur sur le pardon et le respect de la vie des autres, de leurs biens et de leurs coutumes… » Amadou Hampâté Bâ

Le mardi 14 juin 2022 fut célébrée pour la deuxième fois dans le monde la journée internationale du procès équitable. Une occasion pour nous de nous pencher sur la dramatique situation des droits de l’homme au Togo. La violation massive des droits de l’homme qui englobe les arrestations et détentions arbitraires, les disparitions forcées, la pratique de la torture, des morts suspectes d’opposants, la garantie de l’impunité pour les auteurs de ces odieux crimes et surtout une justice aux ordres, constitue sans nul doute un gros obstacle sur la voie d’un procès équitable. Et quel Togolais raisonnable, à l’occasion d’une telle journée, aimant son pays et ayant surtout un coeur pour la dignité et la vie humaines, ne penserait pas immédiatement aux nombreux compatriotes croupissant depuis plusieurs années, pour beaucoup, dans les prisons togolaises pour des raisons politiques?

Beaucoup d’associations de défense des droits de l’homme au Togo et sur le plan international sont unanimes pour reconnaître, hélas, que des traitements inhumains continuent d’être exercés sur des citoyens pour des raisons de droit commun et surtout politiques dans les centres de garde à vue et de détention. Des arrestations sous forme de kidnappings ou d’enlèvements d’opposants et d’activistes politiques suivies de leur détention pendant plusieurs années sans procès, est devenue ainsi la règle dans le goulag à ciel ouvert togolais. Une justice caporalisée, subissant le diktat de l’autorité politique, vient confirmer, comme s’il en était encore besoin, le caractère dictatorial et inhumain du régime Gnassingbé. Qu’en est-il de ces plusieurs dizaines de prisonniers politiques détenus dans des conditions inhumaines depuis longtemps. Que leur reproche-t-on au juste?

Avant d’évoquer les cas de Togolais arbitrairement en détention, il y a malheureusement des compatriotes qui ne sont plus de ce monde; morts en prison ou peu de temps après leur libération. Kéliba Amadou Kassim, Aliou Séidou, Taïrou Bourhanou, Souleymane Djalilou, Moussa Saïbou et Alassani Issaka; voilà des jeunes Togolais bien portants, arrêtés ou plutôt kidnappés en novembre 2019 et en janvier 2020 dans l’affaire sans tête ni queue, dite « Tigre Révolution, inventée de toutes pièces par les jusqu’au-boutistes du régime RPT-UNIR pour semer la terreur et la psychose au sein des populations, et surtout pour freiner l’élan de l’opposition. Sauvagement torturés, ils ne survivront pas et ce sont des corps sans vie qui seront remis à leurs familles. Joel Égah et Ferdinand Ayité, deux journalistes togolais critiques envers le régime de Faure Gnassingbé sont accusés par deux ministres de diffamation et d’atteinte à leur honneur et jetés en prison en décembre 2021. Sous la pression médiatique les deux recouvrent la liberté dans la soirée de la Saint-Sylvestre de la même année, mais notre jeune compatriote Joel Égah ne survivra pas et décède dimanche 6 mars 2022. C’est la brutale disparition du SG du PNP (Parti National Panafricain); Section Kpalimé, en la personne de Yakoubou Moutawakilou, qui ferme cette macabre liste. Kidnappé le 25 janvier 2020, détenu dans des conditions inhumaines et torturé, libéré le 16 juillet 2021 lorsqu’ils le savaient irrémédiablement malade, l’homme politique de l’opposition meurt le 26 août 2021.

Kpatcha Gnassingbé souffre jusqu’à ce jour des conséquences d’une vendetta familiale qui l’oppose à son demi-frère Faure Gnassingbé, relative au pouvoir et à la colossale fortune volée par leur père Éyadéma aux Togolais. L’ancien député de la Kozah est évincé de la scène politique par une ténébreuse affaire d’atteinte à la sûreté de l’état et condamné par une justice aux ordres. Depuis 13 ans, bien que la cour de justice de la CEDEAO (encore cette fameuse CEDEAO) ait reconnu le caractère non équitable du procès qui avait condamné les prévenus à la lourde peine de prison, Kpatcha Gnassingbé, malade, croupit toujours avec ses compagnons d’infortune.

Jean-Paul Omolou, c’est l’autre victime de l’arbitraire de la dictature togolaise. Notre compatriote de la diaspora suisse, connu pour ses prises de position pour la libération du Togo, en séjour au pays, fut brutalement kidnappé au petit matin du 04 novembre 2021. Depuis 8 mois il est détenu au tristement célèbre SCRIC (Service Central de Recherches et d’Investigations Criminelles). Et comme il n’est pas du tout difficile d’habiller un opposant qui dérange avec tous les lourds délits possibles dans une république bananière comme au Togo, notre jeune compatriote est accusé d’appel au peuple et à l’armée à l’insurrection, de diffusion de fausses nouvelles, d’apologie du crime, d’outrage à l’autorité publique. Quand on connait le caractère suspect et dangereux de ces lieux de détention peu orthodoxes, nous sommes en droit de nous demander quand Jean-Paul Omolou sortira-t-il de là et dans quel état?

Accusé à tort d’avoir hébergé des jeunes arrivés au Togo pour participer aux manifestations de l’opposition, l’Irlando-Togolais Aziz Gomah fut arrêté le 21 décembre 2018 et incarcéré depuis lors à la prison civile de Lomé. Des actes de torture exercés sur ses membres inférieurs et principalement sur les orteils, les pieds, les talons et la plante des pieds ont eu pour conséquences le fait qu’Aziz Gomah soit aujourd’hui contraint de se déplacer à l’aide d’une chaise roulante. Sa santé se détériore de jour en jour; la fréquente thématisation de son cas par la presse et les nombreux appels des organisations de défense des droits de l’homme, aussi bien nationales qu’internationales, pour sa libération et celle des autres prisonniers politiques pour aller se faire soigner, sont tombés jusqu’à ce jour dans les oreilles de sourds côté pouvoir togolais.

Aboubakar Tchatikpi dit Janvion travaillait tranquillement comme transitaire pour nourrir sa famille jusqu’à cette nuit fatidique du 25 janvier 2020 où des gendarmes entre par effraction chez lui, le malmènent avec sa femme avant de lui mettre des menottes. Son tort, être du même village que Tikpi Atchadam et sympathisant du PNP. Tantôt il lui est reproché d’être un proche du leader du Parti National Panafricain et d’en connaître la cachette, tantôt on le lie avec le fameux « Taïga ». Après deux ans et demi de détention arbitraire avec tout le drame que cela signifie pour son épouse et ses enfants,le sort de Janvion dépend aujourd’hui de la bonne volonté de ceux qui ont le droit de vie et de mort sur les Togolais autour de Faure Gnassingbé.

Alfa Ibrahim, un Togolais de la diaspora allemande, kidnappé le 27 janvier 2022 en compagnie du trésorier adjoint du PNP (Parti National Panafricain) Sébabé-Guéffé Tchassanti Nouroudine et de Boukari Abdoulrazak, Amadou Abdoulrachid et Banka Alidjénou. La fallacieuse accusation « d’Apologie du crime et d’association de malfaiteurs » portée à leur encontre,n’est qu’un alibi pour cacher le caractère tribalo-ethnique de l’enlèvement. Les cinq compatriotes végètent comme les autres à la prison civile de Lomé. Djimon Oré, chef de parti, arrêté pour avoir fait des critiques au pouvoir en place, Kondoofia Tcha-Samah dit Djibo arrêté le 19 décembre 2018, cette jeune femme répondant au nom de Nambéa Méhiuowa Leyla, mère de trois filles, Amidou Idrissou dit Kinéou ancien militaire, commando-parachutiste, 71 ans à la date de son arrestation en décembre 2019. Presque tous aujourd’hui se plaignent d’une santé précaire à cause des dures conditions de détention.

Voilà résumée la situation dramatique sur les nombreuses violations des droits de l’homme au Togo, symbolisée ici par une détention arbitraire de citoyens depuis plusieurs années pour des raisons politiques. Une triste liste, malheureusement non exhaustive, qui nous renvoie au visage le fait que le régime Gnassingbé continue à entretenir l’état de terreur pour sa survie. Pour combien de temps encore?

Samari Tchadjobo
Allemagne

 

Source : 27Avril.com