Malgré les grognements de l’Eglise catholique, portés par d’énormes contestations populaires, Faure Gnassingbé a promulgué la nouvelle constitution togolaise. Dans la foulée, ont eu lieu les législatives qui devraient élire le parlement qui désignerait le prochain Premier ministre. Mais avant le Togo, quels sont les pays africains qui ont opté pour le régime parlementaire et comment, de l’Angola à l’Éthiopie, de la Somalie au Lesotho, de l’Afrique du Sud au Botswana en passant par l’île Maurice, ce régime fonctionne ? Tour d’horizon.
29 avril. L’administration est fermée au Togo, pays ouest africain de 8 millions d’âmes qui bat, avec quelques rares de ses voisins, le record de jours fériés à l’année. Mais ce lundi, alors que le pays a fêté les 64 ans de son indépendance deux jours plus tôt, les Togolais sont appelés aux urnes, pour désigner les 113 députés qui éliront le prochain Président du Conseil, nébuleux équivalent de chef de l’exécutif, imitant à la fois l’Angola et l’Italie.
L’Italie, c’est aussi le pays dont Faure Gnassingbé, 57 printemps et près de 20 ans passés au pouvoir, raffole de la gastronomie et où il fait quelques virées chaque année. Et au cœur de Rome, le Vatican, inspirant pour ce catholique qui y entretient pieusement quelques entrées.
Ce qui ne l’a pas empêché de faire la sourde oreille face à l’épiscopat local, farouchement opposé à la nouvelle constitution, “César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu…” rechigne l’entourage du président qui a militairement bien encadré les quelques manifestations à Lomé.
La mobilisation timide des électeurs, malgré les invraisemblables 61% de taux de participation annoncés, et les massives irrégularités dénoncées par l’opposition ont avarié un scrutin qui vient allonger la liste de ceux, souvent controversés, que le pays connait depuis 1990.
Alors que la quasi-totalité des pays africains sont sous le régime présidentiel, à la limite présidentialiste, Faure Gnassingbé qui y trouve le prétexte d’aller au-delà des deux mandats que lui confèrent la loi fondamentale s’y essaie.
Législatives contestées
C’est raté. Enfin, presque. L’élection des députés qui devraient choisir Faure Gnassingbé comme prochain Premier ministre a été entachée, comme à l’accoutumée dans ce pays où le même parti est au pouvoir depuis près de 60 ans. L’opposition a dénoncé des fraudes massives, “du nord au sud, de l’est à l’ouest” généralise Dodji Apévon, seul élu du Front démocratique pour le renouveau (Fdr) qu’il préside. En tout, sur les 113 sièges en jeu, l’opposition ne s’en est sortie qu’avec cinq.
Résultats “Inimaginables, incroyables et totalement truqué” s’emporte Jean Pierre Fabre alors qu’Aimé Gogué, plutôt discret modéré opposant devient, avec deux élus, chef de file de l’opposition togolaise. Peu avant, la Commission pontificale justice et paix, relai local du très politique dicastère (ministère pour le Vatican) pour le service humain intégral a été empêchée de déployer des observateurs. Le plus crédible regroupement de la société civile nationale a été aussi, au dernier moment, écarté de l’observation électorale, le plus souvent sous des prétextes fallacieux.
Seul particularité de ces législatives, les factices partis d’opposition qui sont au solde du pouvoir, Nouvel Engagement Togolais, NET, du trop sulfureux Gerry Taama, Bâtir, PDP ou encore MRC du controversé Abbas Kaboua n’ont obtenu aucun siège. Dans le parlement sortant, ils auraient été cooptés par le pouvoir et parfois désignés, ironie tropicale oblige comme “des buveurs de lait”. Enfin, sont-ils sevrés !, a-t-on envie de crier.
L’Angola, l’Ethiopie, la Somalie à l’essai
Quatre pays seulement sur le continent sont sous le régime parlementaire. C’est le cas de l’Ethiopie, de l’Angola, de la Somalie ou encore du Lesotho. Le Premier n’a connu que des dirigeants dictatoriaux. La concentration excessive du pouvoir et l’obsession d’un esprit de parti unique a fait d’Abiy Ahmed, et avant lui, son lointain prédécesseur Méles Zénawi, de violents et sanguinaires dictateurs.
L’Angola n’a réussi, au bout d’un demi-siècle d’indépendance, qu’à instaurer un système oligarque miné par la corruption et la répression systématique de toute contestation, alors que la Somalie est devenue un état “néant” exposé à une instabilité institutionnelle constante.
Quant au Lesotho, le fait d’être un petit pays coincé dans la très stable Afrique du Sud lui garantit une constance. C’est sans doute le régime parlementaire le plus réussi du continent quoique les élections y sont, loin devant le Togo, plus transparentes.
Une analyse d’ensemble qui ne rassure guère de ce virage institutionnel que prend le Togo d’autant, comme tous les autres scrutins avant, les dernières législatives ont été contestées. S’il est censé garantir plus qu’équité dans le choix des dirigeants, le régime parlementaire, en Somalie où les députés sont élus par quelques milliers de grands électeurs, semble fragile et le rêve de suffrage universel reste lointain.
A cela s’ajoute la sécession ayant donné naissance à la Somaliland et le Puntland qui, par sa forte autonomie, est presqu’un état dans l’Etat. Sans compter les chebabs qui ont mis, en termes sécuritaires, le pays en douce ruine.
L’Afrique du Sud, le Botswana et l’île Maurice s’en sortent mieux
L’île Maurice et le Botswana sont deux vieilles exceptions qui marchent bien auxquels il faut ajouter l’Afrique du Sud depuis 1994. Pour les mauriciens, le régime parlementaire a toujours bien marché depuis six décennies, avec des alternances régulières faisant de ce pays l’une des rares démocraties stables du continent.
Le Botswana est aussi un bon exemple, à cause du fait que son ancien monarque, Seretse Khama qui, pour engager son pays sur la voie de la démocratie a renoncé à son trône pour devenir président de la République pendant une vingtaine années, brillante option pour ce panafricaniste qui a fait des études à Londres. Néanmoins au Botswana, en amont de son élection, chaque parlement déclare le président pour lequel il votera, ce qui fait qu’à la fin des législatives, le chef de l’état est d’office connu.
Depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud est restée un modèle démocratique avec l’alternance au sein d’un même parti du fait de la limitation des mandats, tout comme au Botswana d’ailleurs. Alors que le principal handicap de la démocratie togolaise a toujours été la difficulté à arriver à une vraie limitation des mandats.
Quant au Lesotho, il doit sa stabilité en partie à son roi, Letsie III qui se contente d’un rôle plutôt minimaliste et s’érige ainsi en facteur de cohésion. Même si le pays a connu un coup d’état en 1991 et une infructueuse tentative de putsch en 2014. Et le Togo dans tout ça ?
Et le Togo ?
Parmi les régimes parlementaires, il sera le seul à s‘inspirer un peu de l’Italie pour ce qui est de la sémantique. Mais l’agacement des chancelleries occidentales et d’une large partie de la population viennent de ce que Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, donne l’impression d’avoir trouvé le subterfuge pour s’y maintenir ad vitam aeternam.
Ce d’autant qu’il avait déjà fait adopter une constitution qui limite le mandat présidentiel à deux et qui lui impose un retrait en 2030. Pis encore, en devenant Premier ministre, il rejoint sa primature avec tous les pouvoirs, réduisant la présidence à sa portion congrue. Bref, il reste un président qui change de nom, rien de moins.
Même si dans son camp, les arguments promettant la stabilité et une démocratie plus vivante sont avancés. Sauf que dans un pays où, grâce à un découpage électoral fantaisiste, le parti au pouvoir, Unir, arrive à garder une écrasante majorité de députés avec un suffrage exprimé de moins de 40% (39,36% par exemple lors des législatives de 2007), le président risque d’être l’insidieuse émanation d’un vote minoritaire.
MAX-SAVI Carmel*
*Journaliste, directeur de la rédaction d’Afrika Stratégies France, MAX-SAVI carmel est depuis deux décennies, témoin et observateur de la politique togolaise. Il a consacré au Togo deux livres dont “Togo, de l’état voyou à l’état de droit, la république menacée”.
Source : 27Avril.com