L’assassinat du premier président démocratiquement élu, Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963, semble avoir inauguré pour notre pays une spirale de violences et d´assassinats politiques qui n´a pas pu être brisée jusqu’à ce jour.
L’assassinat dans la nuit du dimanche à lundi 4 mai 2020 du Colonel Madjoulba Bitala dans son bureau au camp, nous contraint à n’évoquer que des disparitions brutales de Togolais appartenant à la grande muette pour raisons politiques depuis la prise du pouvoir par Gnassingbé Éyadéma.
Des contacts proches de l’armée que nous avons joints à Lomé et priés de nous donner des informations de première main sur le drame, ont poliment refusé de nous dire quoi que ce soit. Les uns ont carrément dit non, et les autres nous ont promis de nous revenir avant de se rétracter. On imagine bien la grande peur qui plane comme une épée de Damoclès sur le Togo depuis des décennies.
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Mais ceci ne nous empêche pas de faire notre analyse en nous basant sur les faits, en retournant dans le passé pour recenser les différents assassinats aux allures politiques au sein de l’armée de notre pays; le comportement opaque des premiers responsables du Togo, et surtout de l’armée, après l’assassinat du Colonel Naoudeba laisse entrevoir que certains autour du pouvoir, tapis dans l´ombre, auraient intérêt à ce que la vérité ne soit pas sue. Pas de communiqué officiel du gouvernement, ni de l´armée, pas d´information sur les médias d´état pour annoncer, regretter et promettre des résultats à la suite d´enquêtes bien menées.
Même le procureur de la dictature n´a même pas daigné se rendre sur le lieu du crime pour constater et diriger les enquêtes. Monsieur Poyodi donne-t-il ainsi raison à ceux qui, comme nous, le prennent comme un pseudo-procureur incompétent, nommé à ce poste pour servir de béquille au pouvoir autoritaire de Faure Gnassingbé? Le site officiel du pouvoir « Republic of Togo », d´habitude prompt à se saisir d´histoires sans tête, ni queue pour accabler l´opposition, est restée muette comme une carpe sur la brutale disparition de Madjoulba Bitala.
Nous apprenons également qu’un successeur du Colonel défunt fut nommé le lendemain du drame, et que ce dernier serait originaire du village de Tchitchao comme le Chef d´État-Major Abalo Kadanga. Pourquoi cette précipitation? Est-on intéressé plus par la nomination d’un successeur que par la recherche de la vérité qui serait synonyme de respect à la mémoire de l’illustre disparu?
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La liste, très loin d´être exhaustive, des hommes en treillis dont les cadavres hantent encore le pouvoir des Gnassingbé de père en fils fait froid dans le dos.
L’officier de police Jean-Alexandre Osséyi, arrêté dans l’affaire du « complot du 8 août 1970 », assassiné en détention le 2 janvier 1971.
Le gendarme Norbert Bokobosso, assassiné en détention au camp RIT de Tokoin le 2 novembre 1971. Il avait tenté d’assassiner Éyadéma en tirant sur lui le 24 avril 1967.
Le Commandant Paul Comlan, assassiné en détention dans les geôles des Forces Armées Togolaises en 1975. Officier de l’armée togolaise, il s’était lié d´amitié avec l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Togo qui se trouvait être une femme. C’est ce que Éyadéma ne lui pardonna pas.
Le Capitaine Gaston Charles Gnéhou, assassiné sur son lit à l’hôpital de Tokoin en juillet 1977. Propre beau-frère d’Éyadéma dont il était le frère aîné de l’épouse, Hubertine. Par la suite, la dictature fera répandre la rumeur selon laquelle il serait en train de préparer un coup d´État.
Le Colonel Koffi Kongo, assassiné alors qu´il était aux arrêts de rigueur en mars 1985. Accusé de « sabotage », le Saint-Cyrien fut trouvé mort dans sa prison, de « crise cardiaque », a-t-on annoncé aux Togolais.
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Les années 1993, 1994 furent les périodes pendant lesquelles l’écho de la terreur dans les camps militaires arriva jusqu’au grand public avec les exécutions sommaires de militaires accusés d’être proches de l’opposition. En effet, dans la foulée de l’attaque du camp RIT de Tokoin par des anciens militaires togolais venus d’un pays voisin, certains officiers supérieurs comme le Colonel Tépé et le Général Améyi furent froidement assassinés. Le Colonel Akpo, pas mortellement blessé, sera achevé sur son lit d’hôpital à Paris.
Le sauvage assassinat du Colonel Madjoulba Bitala dans la nuit de dimanche à lundi 4 mai 2020 vient rallonger la liste des victimes militaires dont les assassins n’ont jamais été inquiétés. La mort violente de l’officier supérieur originaire de Doufelgou suivra-t-elle la même voie en restant sans suite, ou arrivera-t-on un jour à trouver son ou ses assassins? En tout cas, Faure Gnassingbé et son beau-frère Abalo Kadanga, en leur qualité de premiers responsables de l’armée tribale, ont intérêt à éclairer les Togolais sur les vraies circonstances de la brutale disparition de l’ex-chef de corps du premier Bataillon d´Intervention Rapide (1er B.I.R.).
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Nous aurions aimé que les populations de Doufelgou ne soient pas seules à manifester pour protester contre la mort injuste et violente d’un des leurs. Le Colonel Madjoulba, avant d’être Naoudeba, est Togolais, et sa disparition subite fait mal à tous les Togolais qui doivent se lever comme un seul homme et demander que justice soit rendue. Certes, les replis ethniques que nous observons ça et là au Togo ne sont que le résultat de la politique de diviser pour régner encouragée par le régime que nous subissons depuis plus d´un demi-siècle.
Quelques jours après la tragédie dans un bureau au camp, il y a plus d’´interrogations que de réponses. À qui profite le crime? La mort d’il y a quelques semaines de la sœur aînée et de la mère du Colonel serait-elle liée au hasard du destin, ou a-t-on pris soin d’éliminer des témoins gênants, avant d’abattre la principale cible?
Dans ce tragique puzzle, difficile à démêler, celui ou ceux à qui ce crime profiterait ne viennent-ils pas de franchir le rubicond? Ne viennent-ils pas de scier maladroitement la branche sur laquelle ils sont assis? Ne viennent-ils pas de commettre le crime de trop qu’il ne fallait pas? Les jours, semaines ou mois à venir nous apporteront sans doute des réponses à toutes ces questions que beaucoup de Togolais se posent.
Samari Tchadjobo
Source : Togoweb.net