Le 15 octobre 1987, c’est par la radio que Mariam Sankara a appris la mort « inimaginable » de son mari Thomas, père de ses deux fils et de la révolution burkinabè, tombé sous les balles d’un commando à 37 ans seulement.
Trente ans après, dans un rare entretien accordé à l’AFP, elle réclame que « les commanditaires et les auteurs » de cet assassinat soient enfin sanctionnés pour « que justice soit rendue ».
« On ne regrette pas d’avoir connu un homme comme lui », confie Mariam Sankara. « Thomas était une personne agréable, il était simple, convivial », se remémore cette femme discrète de 64 ans qui vit depuis 1990 à Montpellier dans le sud de la France, en évoquant « la gaieté » de son mari disparu.
Le jour de sa mort, rien ne laissait présager sa fin sanglante, « on devait se retrouver le soir avec des amis », raconte-t-elle à mi-voix. « Je suis allée à mon travail comme d’habitude ».
« Quand je suis revenue à la maison pour déjeuner, Thomas était en train de travailler à son bureau. Après, il est venu me chercher pour que je l’aide à mettre son discours au propre ».
« Ensuite, je suis retournée au travail. C’était un jeudi. Les jeudis et les lundis à l’époque on pratiquait le +sport de masse+ », préconisé par Thomas Sankara pour tous les employés de la fonction publique.
« Vers 16H00, j’étais au sport avec mes collègues de travail et j’ai vu le chef du protocole arriver avec mes enfants à bord d’une voiture. Il m’a demandé de monter rapidement et nous a conduits chez des amis ».
« Une amie m’avait appelée pour me dire qu’elle avait entendu des tirs du côté du Conseil de l’entente (siège du gouvernement à l’époque, ndlr) mais cela ne m’avait pas autrement inquiétée ».
« C’est le soir en écoutant RFI que j’ai compris que c’était fini pour mon mari », dit-elle simplement. Leurs deux fils étaient alors âgés de 7 et 5 ans.
‘Tensions avec Compaoré’
Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, en 1983, Thomas Sankara faisait face à une contestation montante dans le pays en raison de ses choix sans concession, alors que sa dénonciation de l’impérialisme et ses liens avec les sulfureux dirigeants de la Libye et du Ghana lui valaient de solides inimitiés à l’extérieur.
Son ami intime, Blaise Compaoré, qui lui succèdera à la tête du pays mais a toujours nié avoir commandité son assassinat, prend alors ses distances.
« Il y avait des tensions avec Blaise Compaoré. Il n’était plus un visiteur fréquent à la maison », se souvient Mariam Sankara.
« Thomas s’est dit que ça passerait. Il se disait que la chose fondamentale pour eux c’était la révolution. Que quel que soit le problème, ils le dépasseraient pour que la révolution continue ».
« Des gens lui disaient, il va faire ceci, il va faire cela, mais il ne pensait pas que Blaise passerait à l’acte. C’est inimaginable de penser qu’on peut tuer un ami », souffle la veuve, qui soupçonne Compaoré d’être un des commanditaires du complot.
Pour Mariam Sankara, « certains intérêts étaient en jeu (…), au fur et à mesure, les personnes autour du pouvoir ont vu que ce n’était pas l’endroit pour s’enrichir ».
« Thomas était au pouvoir pour le peuple, pas pour lui. C’était un homme intègre ».
« Trente après, malgré la douleur, le fait de voir que sa mémoire est là, que ce qu’il a fait a été reconnu, c’est un peu de réconfort pour nous », dit Mariam Sankara, qui participera aux commémorations organisées à Montpellier.
« Sur la dette, l’écologie, l’émancipation des femmes, il était en avance sur son temps, c’est ce qui fait sa popularité » toujours vivace, notamment en Afrique et parmi la jeunesse, estime-t-elle.
L’assassinat de Sankara et de douze de ses compagnons était un sujet tabou sous le régime de Blaise Compaoré, resté au pouvoir pendant 27 ans jusqu’à sa chute en octobre 2014.
Mais la justice burkinabè a ouvert une enquête il y a deux ans et un procès semble se profiler.
« La vérité est petit à petit en train de se faire connaître. On espère que les commanditaires et les auteurs de ces actes seront sanctionnés ».
Et Mariam Sankara espère voir Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire, devant les juges: « Je souhaiterais qu’il vienne répondre à la justice ».
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