Le 8 avril dernier, une baleine échoue sur les côtes togolaises à la plage de la mairie d’Aného. Fait curieux, les populations de la ville se jettent sur le mammifère, le déchiquettent et emportent chacun une partie de sa chaire à la maison, probablement pour un repas copieux. Comparativement à la baleine échouée sur les côtes ivoiriennes (Grand Bassam) où les populations disent organiser des cérémonies royales pour de tels animaux, l’on se demande ce qui a poussé la population d’Aného à se partager la viande de l’animal.
Ce qui pique encore plus la curiosité, c’est lorsqu’un chercheur en littérature orale et traditions africaines qui a pour champ d’étude le pays Guin révèle que des cérémonies sont faites à ces animaux au sud-est du Togo, lorsqu’ils échouent à la plage. Alors qu’est-ce qui n’a pas marché cette fois-ci ? Pourquoi une telle attitude de la population qui a conscience de cette tradition séculaire ?
De la négligence des autorités administratives et traditionnelles
Les autorités administratives ont failli dans la protection de l’espèce. L’animal a échoué le samedi soir. Et c’est dimanche matin que la population, puisqu’il n’y avait aucun contrôle, s’est jetée sur le mammifère.
« C’est pourquoi aucune autorité de la zone ne pouvait rien dire à propos, surtout le préfet qui devais au moins constater le phénomène et appelé ne serait-ce le préfet maritime ou la direction régionale à Tsévié pour assurer la protection du mammifère! Même en face de la mairie où la bête a échoué, le président de la délégation n’a pu rien dire, pire encore la police qui a un mur mitoyen avec la mairie », explique Nouwatsi Folly, chercheur en littérature orale et traditions africaines, précisément en pays Guin.
Les chefs des quartiers environnants, personne n’a bougé le petit doigt pour la sauvegarde de la baleine qui, dans un premier temps, était agonisant à la plage. Pire encore les prêtres de la divinité, les garants des us et coutumes et détenteurs de la tradition guin ont été lascifs. Si la population a piétiné son culte, qu’en est-il de ceux qui sont chargés de la protéger et la perpétuer ?
Sans le préfet, le président de la délégation spéciale, le commissaire, le rôle régalien des prêtres traditionnels étaient de protéger l’animal, ce qui aurait évité cette situation. Curieuse attitude des prêtres ayant jeté leurs divinités en pâture !
Et quand les populations bafouent le culte des ancêtres…
Il est indéniable que les autorités togolaises n’ont pas joué leur rôle pour protéger la baleine, une espèce en disparition. Même si c’est le cas, où est passé le sens du culte ou encore de la tradition qui a longtemps entouré de mythes ces animaux qui viennent des tréfonds de la mer ? C’est là qu’intervient la valeur des mystères qui entourent des phénomènes qui sortent un peu de l’ordinaire chez certains peuples. Souvent sans explication, on interdit des choses aux populations ou on divinise un objet ou un animal tout simplement.
Si seulement, cette tradition était respectée, cela aurait du moins empêché les populations de consommer la viande d’un animal dont ils ignorent les raisons et les conditions de son décès.
Après discussion avec le chercheur celui-ci révèle : « Lorsqu’un phénomène qui sort un peu de l’ordinaire veut se produire, la nature envoie des signaux. A Aného, c’est l’arc-en-ciel. Et dès que l’arc-en-ciel apparait, les initiés cherchent d’ores et déjà ce qu’il annonce et se prépare en connaissance de causes ».
« Si ce ne sont les initiés qui lancent l’alerte, ceux sont les pêcheurs qui maitrisent la science (occulte) de la mer qui déjà avec les signes, préviennent les prêtres traditionnelles », poursuit-il. Et ce jour (Ndlr, samedi 7 avril), l’arc-en-ciel était apparu, annonçant cette fois-ci l’arrivée d’une des divinités : Na-Bosro Mafli.
La baleine, divinité « Na-Bosro Mafli » du panthéon guin
La baleine est l’une des 41 divinités du panthéon guin. Elle a un prêtre hounon officiant. La baleine s’appelle en « guingbe » (langue guin) « Bosro » et la divinité « Na-Bosro Mafli ». Même si le hounon (prêtre traditionnel) en question n’est pas dans la zone ce jour il peut y avoir ses sujets pour l’en aviser.
« Or il se trouve qu’en l’absence de ce dernier, il y a dans la hiérarchie des prêtres, ceux des divinités Lakpan, Sakumo et Yadu habiletés à faire des cérémonies appropriées. Les chefs quartiers et les rois de la zone ont été négligents vis-à-vis du phénomène. La baleine arrivée sur la berge en état d’agonie ne devrait pas être touchée », explique Nouwatsi Folly.
Et de poursuivre : « Arrivée vivante ou morte, la baleine est un animal divinisé, donc sacré. Avant que les profanes n’aient accès, on doit faire des rituels pour connaitre la raison de sa venue, on la désacralise, c’est-à-dire, l’esprit divin le quitte. Mais quand l’animal meurt, il lui est fait des rituels et on l’enterre à la berge automatiquement dans un linceul blanc ».
Quand la faim pousse un peuple à manger « sa divinité »
Alors pourquoi la réaction n‘a pas été la même cette fois-ci ? La réponse donne du sourire aux lèvres, mais le spécialiste résidant à Aného soutient que c’est la faim. Les pêcheurs « initiés » de la mer ont voulu se faire de l’argent d’une part et la population affamée avait de la viande à bon prix d’autre part.
La faim aurait-elle poussé des populations à manger un animal qui était entouré de mystère par la tradition et à qui un culte était voué ? « Oui lorsque je parle de la faim, c’est en fait que les pêcheurs sur la mer ont vendu cette viande aux populations. Et débourser 1000 FCFA pour avoir de la viande pour plusieurs jours est une aubaine », ironise-t-il.
Malheureux destin d’un peuple ayant mangé sa divinité! Et si c’est réellement le cas, c’est vraiment triste. Il ne s’agit en aucune manière de soutenir la thèse culturelle mais au moins, elle a longtemps évité la consommation des viandes de mammifères morts aux populations ! Et dans ces circonstances, des cérémonies sont organisées pour apaiser les dieux de la mer.
Magnim
Source : www.icilome.com