« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas communiste. Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas Juif. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas catholique. Et lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester. » Martin Niemöller, Dachau **
Contrairement à la promesse faite dans notre dernier article de traiter des problèmes de l’opposition ou des oppositions togolaises à notre prochaine sortie, nous allons plutôt nous pencher aujourd´hui sur les déboires du Directeur de publication du journal l’«Indépendant-Express», Carlos Kétéhou qui n’a fait que faire son travail de journaliste. Actualité oblige!
Le rouleau compresseur de la dictature Gnassingbé qui a jeté son dévolu sur tout ce qui bouge comme opposition véritable au Togo, et qui n’épargne pas le peu de journalistes sérieux qu’il nous reste, trouve que dénoncer des ministres de Faure Gnassingbé, soient-elles femmes ou non, est un crime de lèse-Majesté. Pour avoir dénoncé un de ces scandales dont tous les journaux sérieux du monde civilisé raffolent pour faire leur Une, l´un des rares meilleurs journalistes togolais est embastillé par la police politique de la dictature. L’inénarrable HAAC (Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication) se joint à la danse et, au lieu de protéger la liberté d´expression et de la presse, envoie Carlos Kétéhou, plusieurs rédacteurs et tout le reste du personnel, pères et mères de famille au chômage pour longtemps en lui retirant le récépissé qui lui permet de paraître; pour délit de presse, paraît-il.
Avant qu’il ne réponde à la convocation de ceux-là qui ont le droit de liberté, de vie et de mort sur les Togolais, il est cueilli nuitamment chez lui et emmené au Service Central de Recherches et d’Investigations Criminelles (SCRIC). Après quelques jours de détention et de privation des fêtes du nouvel an avec sa famille, agrémentée d’un humiliant démenti, apparemment sous la menace; démenti selon lequel le journal ne reconnaîtrait plus que l’article parlant des ministres-femmes du gouvernement togolais concerne le Togo, mais un autre pays. Il faut être en dictature pour que les autorités soient capables de tels exploits. L’une de ces institutions fantoches, coquilles vides, inutilement budgétivores dont nous parlions dans notre dernier texte, en mission commandée en faveur du maintien du dictateur, en l’occurrence la HAAC que nous évoquions plus haut, en marionnette qui se respecte, ne trouve mieux que de se soumettre au desiderata de la police politique qui veut faire taire pour toujours un journaliste qui dérange. Une institution, dont le rôle premier est la régulation, la défense de la liberté d’expression et de la presse, se mue en avocat-défenseur d´un État qui écrase sa propre population.
Une dénonciation qui fait bien partie du travail de tout journaliste qui se respecte, et qui, sous d´autres cieux plus civilisés aurait conduit à des remous au sein du gouvernement et à des sanctions, est taxée au Togo de délit de presse. Malgré tous les défauts que les uns et les autres peuvent reprocher à Carlos Kétéhou, il demeure le directeur de publication de l´un des meilleurs journaux togolais dont la qualité rédactionnelle n´est plus à démontrer. Nous voulons lancer un cri d’alarme contre ce qui semble devenir une habitude au SCRIC de ne s´acharner que sur les membres de l’opposition togolaise et de tous ceux qui sont d’un autre point de vue politique comme les journalistes engagés pour le changement, pendant que tous ces citoyens véreux autour du pouvoir, appelés aussi journalistes, peuvent continuer impunément à défendre quotidiennement l’indéfendable et les criminels par des mensonges, dénigrer allègrement les leaders de l’opposition. Des pseudo-journalistes qui, comme l’armée tribalisée, comme la police politique qui peut envoyer kidnapper n’importe quel citoyen qu’il soupçonne d’être hostile à leur pouvoir, contribuent énormément à la situation politique invivable que nous connaissons aujourd´hui avec Faure Gnassingbé.
La tentative d’arrestation de Ferdinand Ayité doit nous interpeller, doit nous avertir que la chasse aux vrais journalistes est déclenchée. Une convocation au SCRIC aussitôt annulée n’est que partie remise. Après l’humiliation de Carlos Kétéhou et la sanction injuste à lui infligée par Le SCRIC à travers la HAAC, ils doivent laisser passer un peu de temps avant de bondir sur leur prochaine proie sur la liste. Sinon ce sera mal vu. Ferdinand Ayité du journal «L’Alternative» est bel et bien sur leur liste. Pour avoir écrit sur les réseaux sociaux que le chauffard qui a tué des élèves en roulant comme un fou et qui n´est autre qu´un militaire, chauffeur d’un officier supérieur, était en train de téléphoner au moment du drame, le directeur de publication de «L’Alternative» était tout désigné pour le bagne, surtout que Faure Gnassingbé et son entourage de mafieux l’attendaient au tournant depuis ses publications sur le «Petrolegate». Ils voulaient en faire encore un délit de presse. Les membres du gouvernement ou de l’armée ne sont pas un corps à part au sein du peuple. Ils doivent rendre compte comme tout citoyen de leur forfait. Et nos autorités civiles, policières ou militaires et surtout le SCRIC doivent savoir que les journalistes ont le droit de faire leur travail en respectant la déontologie de leur métier.
La haine, la méchanceté, la jalousie maladive des leaders de l’opposition les uns contre les autres, source de leur division, ont permis au régime de dictature de revenir en force en obligeant les plus déterminés à prendre le chemin de l’exil. Les exemples de Tikpi Atchadam du PNP et tout récemment de Messan Agbéyomé Kodjo et de Monseigneur Kpodzro de la DMK sont là pour nous rafraîchir la mémoire. L’opposition ainsi désorganisée et bâillonnée, le pouvoir Gnassingbé veut s’attaquer au monde des journalistes sérieux qui résistent encore. Allons-nous laisser détruire le seul espace de liberté qu’il nous reste? Si nous laissons faire, ce serait la fin de la liberté tout court au Togo. Ce serait le début de la chasse à l’homme par la GESTAPO togolaise au vu et au su de tout le monde, et personne ne pourrait plus protester. C’est pourquoi il est encore temps pour que nous nous levions pour dire non à cette méthode autoritaire du SRIC et de la justice aux ordres. La HAAC a encore le temps de se racheter en ne limitant pas son vrai rôle à la sanction tous azimuts des journalistes sérieux. Carlos Kétéhou doit être rétabli dans ses droits; les velléités d´intimidation contre Ferdinand Ayité et contre tous les autres combattants de la liberté doivent prendre fin. Non, ils n´ont pas le droit de faire disparaître «L’Indépendant Express»,..et plus tard, qui sait?, «L´Alternative» ou «Liberté», ce que nous avons de meilleur dans le monde togolais de la presse privée combattante.
Samari Tchadjobo
12/01/2021
Allemagne
Note :
** Martin Niemöller fut arrêté en 1937 et envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen. Il fut ensuite transféré en 1941 au camp de concentration de Dachau. Libéré du camp à la chute du régime nazi en 1945.
Source : 27Avril.com