À feu nu de Théo Ananissoh : Entre politique togolaise et littérature Ecrire sur le Togo pour rester vivants

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Theo Ananissoh

L’écrivain togolais Théo Ananissoh ne se satisfait plus de faire des œuvres de fiction pour évoquer son pays. Des romans, il est passé à l’essai et, dans À feu nu, il propose une lecture crue et sans complaisance de la situation socio-politique. Il y aborde le sujet sensible de François Boko, un Togolais pas comme les autres, à son goût, l’enfermement des Etats africains dans l’individualisme abject sans oublier le statut et la fonction de l’écrivain en Afrique.

L’enjeu pour Théo Ananissoh, à travers cet essai, semble répondre au souci de faire une pause et de poser des questions sensibles et justes sur son pays, le Togo. Comme l’indique le sous-titre de l’essai « Essais sur nous », l’ouvrage apparaît comme un mémoire dans lequel l’écrivain fait ses confessions et ses confidences bruyantes, au sens strictement mélioratif du mot. « Parce que ne plus rien dire serait en contradiction avec notre envie de rester vivants », indique l’écrivain en réponse à l’évidence désarmante que tout a été dit et redit sur le Togo. Il ajoute : « Puisque nous voulons continuer de vivre et que nous avons des enfants, nous devons continuer de dire, de réagir, de honnir, de haïr. De répéter des évidences. »

De François Boko

Théo Ananissoh s’attaque au sujet hyper sensible de François Akila Esso-Boko. Aujourd’hui, en exil en France, M. Boko fut jusqu’en 2005, un acteur majeur de l’establishment politique du parti au pouvoir. Pour l’écrivain, l’ancien ministre de l’intérieur a quelque chose de particulier et il est utile de le souligner.

D’entrée, Théo Ananissoh évoque l’existence d’une nette différence entre M. Boko et ses collègues ou ex-collègues du pouvoir. « Mais disons-le d’entrée de jeu : le problème de cet homme, bien qu’ayant été dans le sérail depuis son adolescence, c’est qu’il est trop au-dessus de ses ex-compagnons pour que ceux-ci le laissent s’accomplir », écrit-il, sans ambages. Dans la suite de l’essai, l’auteur a rappelé certains pans de l’histoire personnelle de M. Boko pour en déduire que son profil, son parcours et son feeling font de lui un officier et un politicien hors pair. Il souligne son courage, son intelligence et sa formation éprouvée qui expliquent le fait que, bien qu’étant un pur produit du système au pouvoir, il a osé s’en éloignant en rompant avec lui en 2005. « Boko est capable et intelligent, parce qu’il connaît ceux de sa génération et qu’il se sait meilleur que bien d’autres ; parce qu’il est de ceux qui, civils ou militaires, peuvent accomplir le Togo », explique-t-il. Il conclut : « C’est çà la logique Boko. Et elle s’oppose à celle de l’homme disparu en 2005. »

Pourquoi Boko ne peut-il pas rentrer au Togo ? La réponse de l’écrivain est déroutante : « ll les déclasserait par sa présence sur le terrain. » Autre préoccupation sur le sujet : à quelle condition M. Boko pourra-t-il rentrer au Togo un jour ? Pour Théo Ananissoh, c’est à Emmanuel Macron de le vouloir. Il écrit : « Répétons-le ensemble : si Macron le veut bien, Boko reverra à Tchitchao en toute sécurité ». La réponse est surprenante, peut-être même absurde, à première vue, mais l’écrivain n’en doute point. « Ce qu’il nous importe de constater, c’est la nature du pays qui est le nôtre. Il n’a jamais cessé d’être sous tutelle coloniale depuis 1884 », a-t-il souligné. De ce fait, cette tutelle coloniale décide encore de beaucoup de choses concernant le pays, notamment du profil des présidents. Théo Ananissoh lâche le morceau : « Quiconque veut être président au Togo doit donner des garanties fermes quant à sa soumission ».

De la fonction d’un écrivain

L’auteur de Lisahohé et de Ténèbres à midi s’est également étendu sur la conception qu’il fait de la fonction de l’écrivain en Afrique. Au Togo aussi. Selon lui, la principale fonction de l’écrivain devrait être de faire des livres sur son pays. « Puisque nous maîtrisons l’écriture désormais, nous devons écrire l’Afrique. Nos Afriques. Nous devons dire à nous-mêmes comment nos lieux et nos paysages sont à nos propres yeux, à notre propre âme et comment nous y vivons au fil du temps qui s’écooule », indique-t-il. Etant entendu que « la littérature fonde l’humanité », que « l’homme ne vit pas dans la nature mais dans ce qu’il crée », l’enjeu, pour lui, est de corriger la situation liée à l’amer constat selon lequel « nous n’avons pas aucun héritage lointain écrit sur notre Togo », hormis la célère monographie de Hugo Ziegler qui reste un point de vue extérieur, il est de la responsabilité des écrivains d’écrire sur leur pays, sur leur environnement de vie. « Pourquoi mes romans décrivent-ils ainsi le Togo ? La réponse est simple : parce que je veux créer le Togo. Parce que je veux fonder le Togo », signale-t-il. Il ajoute : « Je crée ma part du pays avec mes romans ». Conclusion : « C’est ainsi que nous empêchons, que nous interdisons à quiconque venu d’ailleurs de nous dire ce qu’est notre propre pays ».

À feu nu est un essai composé de 5 textes. En dehors de la politique togolaise et de la littérature, l’auteur y aborde des questions liées à l’intégration, seule porte de sortie pour des pays non viables comme le Togo, les rapports des pays du franc CFA avec l’ancienne métropole, ce qui ôte tout contenu sensé à la fonction de président, entre autres. Il est publié cette année aux éditions Awoudy à Lomé. L’ouvrage a été présenté au public le 28 novembre dernier.

Source : Fraternité No.384 du 23 décembre 2020

Source : 27Avril.com