« Un rebelle sans cause n’est qu’un guignol, écrivait John McCain dans Worth the Fighting for (2002). Quel que soit le nom que l’on vous donne – insoumis, hétérodoxe, anticonformiste, radical – tout cela n’est que vanité sans une cause juste qui donne un sens à votre vie. » Mais quelle cause défendait John McCain ? Son cheminement politique sinueux n’apporte pas de réponse claire à cette question.
Lui-même torturé pendant cinq ans dans les geôles nord-vietnamiennes, il s’est opposé à l’usage de la torture aux Etats-Unis… Sauf quand il soutenait l’administration Bush en 2008, au moment où elle refusait que la CIA se plie aux mêmes règles d’interrogatoire que l’armée. John McCain s’est illustré par son combat pour mieux réguler le financement des campagnes électorales mais seulement après avoir été impliqué, au début des années 1990, dans un scandale de corruption. Le sénateur de l’Arizona déclarait en 1999 qu’il laisserait à sa fille le choix d’avorter si elle le souhaitait… Avant de s’opposer à l’avortement et de militer pour l’abrogation d’un arrêté de la Cour suprême qui en autorisait le recours.
« Dans la tradition de [l’ancien président des Etats-Unis] Ronald Reagan […], je suis prêt à faire des compromis, sans trahir mes principes », assurait le sénateur républicain à l’Agence France Presse en 2013. Oui, John McCain a su travailler avec des démocrates (il a même été soupçonné de rejoindre leur parti), ou encore défendre la normalisation des relations entre les Etats-Unis et le Vietnam. Mais ce politique aguerri n’est pas pour autant le plus grand des conciliateurs de la vie politique américaine – même s’il en est l’une des figures de proue.
« J’ai toujours été un rebelle »
« Je ne connais personne qui n’ai eu d’escarmouches avec le sénateur McCain. Mais c’est comme une tempête de printemps… Quand le soleil revient, on redevient amis et on travaille ensemble », confiait à l’AFP le sénateur républicain du Texas John Cornyn, en juillet 2017. Pour McCain, le soleil ne reviendra plus. Mais l’homme a toujours cultivé cette image de bagarreur, dont il avait fait une marque de fabrique.
Surnommé « la teigne » dès le lycée, on ne le remarque pas tant pour ses résultats que pour ses talents de lutteur. A l’Académie navale d’Annapolis (Maryland, nord-est), il récolte des dizaines de blâmes pour mauvaise conduite et manque d’être renvoyé. Membre de l’équipe de boxe, plus intéressé par les filles que par les cours, il termine cinq places avant le dernier de sa promotion, qui compte près de 1000 élèves. Il ne fait pas mentir sa réputation de tête brûlée pendant sa formation de pilote de l’aéronavale à Pensacola (Floride, sud-est) et à Corpus Christi (Texas, sud), surtout quand il écrase son appareil pendant un exercice.
Si le futur candidat à la présidentielle poursuit sa formation et intègre la marine malgré ses résultats désastreux, c’est grâce à son patronyme. John Sydney McCain n’est que le troisième du nom. Son grand-père, John Sydney « Slew » McCain a commandé les troupes américaines dans le Pacifique pendant la Second Guerre mondiale, avant d’être nommé amiral (l’un des plus haut grade de la Navy) à titre posthume, en 1945. Au moment où son père mène les opérations, John Sydney « Jack » McCain, deuxième du nom, est, quant à lui, commandant de sous-marin. Il deviendra également amiral, pendant la guerre du Vietnam (1963-1975).
John S. McCain III a donc connu l’enfance de tous les fils et filles de soldats. Né sur une base américaine proche du canal de Panama, balloté de par le monde au gré des affectations de son père : logique, à ce titre, qu’il suive le chemin de la marine. « C’est peut-être parce qu’il a toujours été évident que je suivrais cette voie que j’ai toujours été un rebelle, repoussant les limites », témoignait-il auprès de Robert Timberg, dans John McCain, an American Odissey (1999).
« La Navy était le seul mot que j’ai connu »
Si sa carrière militaire rapportera gros à John McCain, elle va d’abord lui coûter cher. En 1967, alors qu’il mène son 23e raid aérien au Vietnam, son appareil est abattu par un missile nord-vietnamien. Il parvient à s’éjecter mais se brise les deux bras et une jambe. A terre, en territoire ennemi, il est passé à tabac par la foule, et reçoit des coups de baïonnettes. Il en réchappe et est transféré à la prison de Hanoï. Il ne reçoit des soins que quand ses geôliers apprennent qu’il est l’enfant d’un haut gradé américain. John McCain passera 5 ans et demi en détention. Il est torturé, mais refuse d’être l’objet d’un échange de prisonniers du fait de sa parenté.
Pendant sa détention, son père, devenu commandant des forces américaines dans le Pacifique (et donc en charge des opérations au Vietnam), n’hésite pas à ordonner de bombarder Hanoï, alors même qu’il sait son fils détenu dans la région. « Il n’a jamais eu le moindre doute sur son devoir », se félicitera plus tard John S. McCain troisième du nom. Cette détention a été documentée par le journaliste français Robert Chalais, qui a pu se rendre avec son équipe de télévision dans le tristement célèbre « Hanoï Hilton », en 1968.
John McCain ne rentre au pays qu’à la fin de la guerre, après les accords de Paris de 1973. La photo de lui, arc-bouté sur ses béquilles, serrant la main du président américain de l’époque Richard Nixon fait le tour du monde. John McCain, ne retrouvera jamais l’usage complet de ses deux jambes, ni celui de son bras. Il n’en tient pourtant rigueur ni à l’armée, ni à son pays : « Pendant une bonne partie de ma vie, la Navy était le seul mot que j’ai connu, déclarait-il en 1993. C’est toujours le mot que je connais le mieux et que j’aime le plus ».
« Une girouette politique »
Le passé en uniforme de John McCain lui vaut d’être consulté sur tous les sujets militaires au Congrès , de se déplacer régulièrement auprès des soldats américains dépoloyés dans le monde et de prendre la tête du Comité des forces armées du Sénat en 2015. Défenseur ardent du budget de la Défense, il milite, malgré l’impopularité de cette guerre, pour un envoi massif de troupes en Irak durant toute la durée du conflit (2003 – 2011). Féroce adversaire de l’Iran, il en recommande le bombardement, allant jusqu’à scander « Bomb Iran » sur l’air d’une chanson des Beach Boys (Barbara Ann) devant ses électeurs, en 2007.
Militariste convaincu, « faucon » de la politique américaine, John McCain ne sert plus sous les drapeaux depuis 1982. A l’époque, il fait un bref passage au poste de vice-président chargé des relations publiques dans l’entreprise de fabrication de bière de son beau-père, Hensley & Co., basée à Phénix, en Arizona. Fort de son nouveau carnet d’adresse et de sa lignée prestigieuse, c’est dans cet Etat du sud des Etats-Unis que McCain est élu dès 1983 à la Chambre des Représentants, avant de devenir sénateur trois ans plus tard. Un siège qu’il occupe pour six mandats consécutifs,jusqu’à sa mort. L’une de ses grandes réalisations au Congrès : oeuvrer à la normalisation des relations entre les Etats-Unis et le Vietnam, au début des années 1990, aux côtés du démocrate John Kerry (également vétéran de cette guerre).
Dans son livre au vitriol Le Vrai McCain, le journaliste pro-démocrate Cliff Shecter distingue trois John McCain, au gré de l’évolution des prises de position du sénateur. Si le premier est un républicain assez classique, le second, qui émerge en 1999 après la primaire républicaine perdue contre George W. Bush, se veut indépendant, à la gauche du parti conservateur. Amer de sa défaite contre le futur président des Etats-Unis, attaqué par la frange ultra religieuse des républicains, John McCain décide de prendre ses distances. Il critique l’absence de considérations pour l’environnement de George W. Bush durant son mandat, rejette sa baisse des impôts pour les plus aisés, rencontre des lobbys gays et fait preuve d’une certaine ouverture sur les questions de société.
Mais ce McCain 2.0, ce « maverick » – référence aux veaux non-marqués de l’éleveur Samuel A. Maverick, qualifie une personnalité qui n’entre dans aucune case de la politique américaine – rentre vite au bercail. Alors qu’il est un temps pressenti pour devenir vice-président du candidat démocrate John Kerry en 2004, John McCain change de nouveau de cap pour la primaire républicaine de 2008.
Plus royaliste que le roi, il courtise alors l’extrême droite américaine, se positionne contre l’avortement qu’il disait tolérer, rencontre les prêcheurs fondamentalistes qui soutiennent sa campagne (alors qu’ils avaient activement contribué à le discréditer face à George W. Bush en 2000), choisit l’ultra-conservatrice Sarah Palin comme colistière… La stratégie est payante, puisqu’il devient le candidat à la présidentielle du parti de l’éléphant.
A propos du « mélange d’allégeances et d’inimitiés sans précédent dans la vie politique américaine » qu’incarne McCain, Cliff Shecter écrivait en 2008 dans Le vrai McCain : « Au cours de ces quelques mois [de campagne en 2007], John McCain n’a fait que dévoiler un peu plus ce qu’il est vraiment : non pas un franc-parleur, mais une girouette politique ; non pas un réformateur , mais un champion des politiques désastreuses de George W. Bush ; non pas un politicien prêt à la conciliation, mais un démagogue hypocrite […] »
« Il est temps pour M. Trump de montrer l’exemple »
L’une des seules grandes permanences dans les combats personnels et politiques de McCain est l’opposition à la Russie. Une famille de militaires pendant la guerre froide, une affectation sur l’USS Enterprise pendant que le navire participe au blocus de Cuba de 1962, sans parler de la détention au Vietnam… Tout concorde pour faire de McCain un anti-communiste convaincu. La chute de l’Union soviétique ne semble pas avoir entamé sa haine des grands ennemis de l’Est, en tête desquels Vladimir Poutine.
En 2013, il affirme auprès d’un journaliste américain qu’il est prêt à publier une tribune dans la Pravda, pour répondre à celle du président Poutine dans le New York Times. Problème : la publication à laquelle il envoie son texte est un tabloïd en ligne, certes nommée Pravda.ru, mais qui n’a rien à voir avec le prestigieux journal soviétique. Comme le remarquait alors un journaliste de Slate, cette erreur dénote une réelle méconnaissance des réalités russes, et une « mentalité de guerre froide assez inquiétante ».
En 2014, McCain est placé sur une liste de personnalités sanctionnées par la Russie. « J’imagine que cela veut dire que mes vacances de printemps en Sibérie sont annulées », ironise-t-il en réaction. Mais l’heure n’est plus aux badinages quand la voix du sénateur de l’Arizona est l’une des premières (et des plus médiatisées) à s’élever contre Donald Trump et les liens supposés entre son équipe de campagne et la Russie.
Il faut dire que John McCain et le milliardaire se vouent une haine réciproque et profonde. Pendant la course à l’investiture républicaine, Donald Trump estime que le vétéran n’est pas le héros que l’on dit, reprenant à son compte des théories selon lesquelles il aurait parlé sous la torture. « Je préfère les gens qui n’ont pas été prisonniers », lance le futur président américain.
Revanchard, pendant la campagne présidentielle, John McCain n’hésite pas à monter au créneau contre le candidat investi par son parti. Ce dernier s’en prend au couple Khan, les parents d’un militaire musulman américain tué en Irak, qui s’affichent pour soutenir la démocrate Hillary Clinton. Donald Trump affirme que Ghazala Khan est brimée par son mari islamiste parce qu’elle ne prend pas la parole à la tribune. Réaction cinglante de John McCain : « Il est temps pour Donald Trump de montrer l’exemple à notre pays et au parti républicain. La nomination du parti ne s’accompagne pas d’une complète liberté pour diffamer les plus méritants d’entre nous. J’ai quelque chose à dire à Monsieur et Madame Khan : merci d’avoir immigré aux Etats-Unis. Grâce à vous, nous sommes un meilleur pays. »
« Le cancer ne sait pas à qui il a affaire »
L’immigration est un des chevaux de bataille de McCain. Contrairement à beaucoup de républicains, il n’y est pas viscéralement opposé. Interrogé pendant la campagne présidentielle de 2008, sur sa volonté de régulariser des Mexicains qui travaillent en situation irrégulière, il réplique : « Je conseille souvent d’aller voir le nombre de noms hispaniques sur le mur à la mémoire des victimes du Vietnam à Washington », comme le relevait à l’époque le quotidien français Le Monde. Et quand ses supporters « effrayés » par Barack Obama affirment qu’ils « nepeuvent le croire » parce que c’est « un arabe », il s’empresse de rectifier : « Non madame, c’est un homme de bonne famille, un citoyen, avec qui j’ai beaucoup de désaccords fondamentaux, et c’est tout le propos de cette campagne. »
John McCain ne manquera pas de saluer la victoire du démocrate en 2008, qui enterre définitivement les ambitions présidentielles. Dans son discours de défaite, il reconnaît le caractère « historique » de l’élection, et la « signification particulière » qu’elle revêt pour les Afro-Américains. Pas de rancune entre les deux hommes, puisque Barack Obama lui envoie, par Twitter, un message de soutien quand John McCain est diagnostiqué d’un glioblastome, après une opération pour lui retirer un caillot de sang, en juillet 2017. « John McCain est un héros américain et l’un des plus braves combattants que je connaisse. Le cancer ne sait pas à qui il a affaire, fais-lui mal John », écrit l’ancien président américain.
Rapidement, John McCain a réagi aux nombreux messages de soutien qui ont suivi l’annonce de son cancer : « malheureusement pour mes sparring-partners [partenaires d’entraînement en sport, souvent prêts à prendre des coups], je serai bientôt de retour ». A son retour à Washington d’ailleurs, Donald Trump, probablement sous la pression de l’opinion très favorable à John McCain depuis qu’il s’est élevé contre lui, a saluéle retour d’un « héros américain ». Avant de s’emporter à nouveau contre le sénateur de l’Arizona, au moment où celui-ci votait, à la surprise générale et à l’unisson des démocrates du Sénat, contre le projet d’abrogation de l’Obamacare.
Aujourd’hui le héros n’est plus. Mais des plus conservateurs aux plus libéraux, toute la classe politique américaine continue de le qualifier ainsi. Car au-delà de ses idées, ou du moins de ses prises de position, évolutives c’est avant tout la combativité et le patriotisme de John McCain qui ont su convaincre ses concitoyens.
Source : www.cameroonweb.com