Les économies de la zone CFA ont bien changé en 72 ans. La globalisation de l’économie mondiale à fait sensiblement bouger les lignes. De partenaire privilégié de la France et de l’Union Européenne à sa création, la zone CFA a muté dans le sillage de l’économie mondiale pour devenir une zone à débouchés diversifiés. Cette réalité ringardise à bien des égards le fonctionnement toujours feutré de cette monnaie.
L’arrimage à l’euro doublé des parités fixes
Rappelons d’abord quelques éléments essentiels. Dans le cas de la monnaie, deux options sont possibles : soit le régime de change flottant par lequel la valeur de la monnaie est déterminée selon l’offre et la demande sur le marché des changes; c’est le cas de l’euro ou du rand sud-africain. Ou bien le régime de change est fixe, par lequel une valeur statique de la monnaie est définie. Elle reste inerte tant qu’une autre valeur n’est pas fixée. C’est le cas du FCFA, monnaie à valeur fixe dont la particularité est d’être arrimée à l’euro, monnaie à valeur variable. La première conséquence est donc que le FCFA n’est pas véritablement une devise. Une devise est une monnaie qui détient un élément d’extranéité lui permettant d’intervenir dans la facturation et le paiement des transactions internationales. Le FCFA est dépourvu de cette fonctionnalité qu’elle délègue à l’euro. Ainsi dans les opérations internationales, quand l’euro est fort, cela renchéri les exportations qui se vendent difficilement et rapportent peu. La zone CFA, protégée par la parité fixe avec l’euro ne ressent pas les mauvais effets de cette situation. En revanche quand l’euro est faible, ce qui favorise les exportations qui se vendent facilement et rapportent beaucoup, la zone CFA ne récupère pas plus de revenus mais le même niveau de retombées correspondant au niveau statique de la parité fixe. L’avantage que tire le FCFA de ce mariage est qu’il est couvert par l’euro dans les mauvaises conjonctures mais ne profite pas entièrement des périodes économiques meilleures. Or ce système doit évoluer.
La primeur doit aller à l’adjonction de la fonction de devise au FCFA. Ainsi la zone pourra réaliser ses exportations ou importations sans passer par l’intermédiaire de l’euro. C’est une question vitale de simplification pour le système du CFA.
Pour donner du sens et de la vie à cette devise que sera ainsi devenue le CFA, une flexibilité doit être introduite dans le régime de change fixe du FCFA afin de l’adapter aux circonvolutions de la conjoncture internationale. Cette nouvelle prérogative, confiée aux banques centrales de la zone CFA, permettrait d’ajuster le niveau de valeur de la monnaie afin de se conformer à la santé du moment de la monnaie d’échange. Ainsi par exemple en cas d’euro fort qui percuterait un FCFA lui aussi fort, les banques centrales de la zone CFA pourront revoir à la baisse le niveau fixe du FCFA afin de favoriser les exportations. Cette flexibilité permettra également d’intervenir sur les importations en haussant, si la situation le recommande, la valeur du FCFA afin que les importations soient moins chères. Tout dépend de la conjoncture et de la politique économique décidée par les Etats de la zone CFA.
En plus de la flexibilité, le périmètre de la fixité des parités doit également évoluer. La zone UEMOA n’a pas échappé à la mondialisation qui lui a permis de diversifier ses partenaires commerciaux. Les partenaires historiques que sont la France et l’UE demeurent, mais de nouveaux débouchés sont apparus. En 2015 les exportations de l’UEMOA vers l’Union européenne ont représenté 30.7%. A côté, celles vers les autres pays d’Afrique se sont élevées à 24.8%, 18.7% vers l’Asie et 7.9% vers l’Amérique. Il est donc évident que le FCFA ne peut plus être arrimé au seul Euro. L’espace des parités fixes doit s’élargir vers les étalons des nouveaux partenaires commerciaux à savoir le Dollar américain, le Yuan chinois, la Roupie indienne, le Yen japonais. Cette actualisation donnera pleinement du sens à la flexibilité du taux de change fixe afin de déterminer le meilleur niveau pour la compétitivité de la monnaie vis-à-vis des étalons des nombreux partenaires commerciaux. La nouvelle configuration de la fixité des parités doit néanmoins être une étape intermédiaire. Le but ultime doit être une évolution vers un régime de change totalement flottant qui permettrait d’augmenter la confiance vis-à-vis du FCFA. Nous n’y sommes pas encore prêts.
Réformer le système assurantiel de la convertibilité illimitée
La convertibilité d’une monnaie désigne sa capacité à être échangée contre une monnaie étrangère. Entre le FCFA et l’euro cette convertibilité est illimitée. En contrepartie, il y a le système assurantiel de centralisation d’une partie des réserves de change. 50% dans les livres des banques centrales de la zone CFA et l’autre moitié dans les livres du trésor public français. Ce sont les comptes d’opération, permettant à la France de couvrir le droit de tirage illimité accordé la zone CFA. Par ailleurs, les comptes d’opérations servent à renflouer la zone CFA lorsque ses réserves en tension ne peuvent plus régler par exemple les importations. C’est dans ces situations qu’interviennent les dévaluations du CFA afin de retrouver de la compétitivité extérieure pour assurer la constitution de nouvelles réserves de devises. L’hypothèse d’une nouvelle dévaluation qui revient avec insistance depuis décembre, notamment en zone CEMAC, est la conséquence de la chute niveau de réserve de ces pays avec la baisse des prix du pétrole.
L’élargissement commercial des pays de la zone CFA appelle une ouverture de ce dispositif. Avec le FCFA devenu devise, le rôle d’intermédiaire joué par l’euro dans les transactions internationales est supprimé. La convertibilité illimitée du CFA avec le seul Euro doit donc s’élargir vers toutes les monnaies des devises partenaires. Corollaire de cette mesure, les comptes d’opérations dans les livres du trésor français doivent être transférés vers une institution financière internationale neutre qui pourrait être la Banque des règlements internationaux. Ces nouveaux comptes d’opérations seront évidemment alimentés par l’euro et les autres devises des partenaires commerciaux. Le droit de tirage illimité sera ainsi conforme au nouveau visage multipolaire de la zone. Avec ces réformes, une correction dans la structure des conseils d’administration des banques centrales de la zone est évidente. La présence française dans ces instances trouvant moins de sens avec la disparition des fonctions de couverture de l’euro pour le FCFA et l’arrivée de nouveaux partenaires pour le droit de tirage illimité.
Il convient enfin de préciser que les banquiers centraux africains doivent cesser de placer au-delà du niveau requis, leurs réserves auprès du trésor public français, mais aussi sur les places boursières internationales. En 2015, La BCEAO et la BEAC ont respectivement déposé 80,2 % et 77,1 % de leurs devises auprès du trésor français. Ces mouvements privent de ressources le système financier de la zone CFA alors qu’elle en a besoin pour financer son développement endogène. Il y a quelque chose d’étonnant à voir les pays africains recourir à des euro-obligations payées pour tout ou partie en dollars avec le risque de change que cela inclue, le tout à des taux souvent élevés, alors que la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest place ses réserves estimées à 4700 milliards dans des places boursières internationales. Tout le fonctionnement d’ailleurs des banques centrales africaines est à revoir.
Ainsi réformée, le FCFA pourrait avoir une appellation nouvelle. Le cauri ? Peut-être symbolique mais cela marquerait définitivement l’entrée de cet étalon dans la modernité.
TogoWeb.net