Est-ce la sagesse qui a pris le dessus ? C’est la question qui m’est subitement venue à l’esprit dès l’annonce de l’information relative à l’accord entre les Congolais à la télévision le 31 décembre 2016 dernier. La sagesse doit prévaloir. Il vaut mieux prendre le chemin de la sagesse. Il faut être sage. Nous entendons souvent ces phrases sortir de la bouche de ceux qui ont une certaine expérience de la vie lorsqu’il s’agit de gérer les affaires humaines.
Mais qu’est-ce en fait que la sagesse ? La sagesse (sophia en grec) est la connaissance parfaite et juste des choses; elle « relève du ‘‘ tact ’’ du jugement. » Pour le dire autrement, la sagesse est l’intelligence, la prudence, la modération et le discernement. Elle est l’attitude de celui qui est raisonnable et qui fait preuve de modération dans ses aspirations, dans ses désirs. Être sage, c’est faire preuve de hauteur dans la gestion des affaires humaines. « Par la sagesse, on n’entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé et l’invention de tous les arts. » (Descartes)
Voilà ce qu’on peut entendre par sagesse. Un mot retient ici mon attention dans ces définitions de la sagesse, et sur lequel je voudrais m’appesantir, tant soit peu, pour le besoin de la compréhension avant d’aller plus loin. Il s’agit de la prudence, cet « état vrai, accompagné de raison, qui porte à l’action quand sont en jeu les choses bonnes ou mauvaises pour l’homme. » (Aristote) Relevons en passant que c’est à Cicéron que nous devons le concept de prudentia dans le vocabulaire philosophique. La prudentia est la forme contractée de la providentia qui désigne la capacité à prévoir, à subodorer, à pressentir ce qui va arriver.
Ainsi, pour Cicéron, les termes latins prudentia et sapientia sont des équivalents des termes grecs phronèsis et sophia. D’où la phronèsis se rend par le terme de prudence (prudentia) que Cicéron définit comme « ‘‘ la science des choses qu’il faut faire, de celles qu’il ne faut pas faire et de celles qu’il ne faut ni faire ni ne pas faire, ou la science des choses qui sont bonnes, de celles qui sont mauvaises et de celles qui ne sont ni bonnes ni mauvaises’’. » Autrement dit, la prudence, c’est la capacité à délibérer, à calculer, à prévoir l’avenir. Elle est l’attitude de celui qui fait attention à tout ce qui peut causer un dommage, qui réfléchit et anticipe les conséquences de ses actes.
La prudence, cette mère des vertus, suppose une action préventive, une vigilance accrue. Aristote dit que nous vivons dans un monde de nécessité (est nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être ce qu’il est; par exemple, la vieillesse, la mort, la tempête, le tsunami sont nécessaires, donc indépendants de la volonté humaine) et de contingence (est contingent ce qui est indéterminé, qui tient du hasard, de l’impondérable; ce qui peut se produire ou non; par exemple, je sais en sautant dans ma voiture que l’accident peut arriver. Mais quand ? Je suis totalement incapable de déterminer le jour, la date et l’heure; l’accident tient donc du contingent). Que peut donc faire l’homme dans un tel monde ? Faire ce qui est en son pouvoir, c’est-à-dire délibérer, réfléchir avant de poser les actes. Mais, pourquoi donc toute cette tirade ? C’est juste pour en venir à l’acte digne de louange posé par Joseph Kabila, le président de la République Démocratique du Congo (RDC), même il y a déjà des voix discordantes qui s’élèvent dans son camp pour contester l’accord qu’elles disent non inclusif. C’est une autre paire de manches. Peut-être est-ce la volte-face du président gambien Yahya Jammeh qui fait école. Dans tous les cas, l’acte posé par Joseph Kabila reste pour le moment louable.
Rappelons que ce jeune homme, venu de nulle part, est arrivé au pouvoir en janvier 2001, après l’assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila. Il se retrouve ainsi à la tête d’un pays en lambeaux, déchiré entre les rebellions du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et du Mouvement de Libération du Congo (MLC). Le dialogue inter-congolais, tenu en 2003 en Afrique du Sud, a permis de l’entourer de quatre vices-présidents, dont Jean-Pierre Bemba Gombo qui croupit actuellement en prison à la cour pénale de la Haye, une cour instituée seulement pour les Africains. L’élection présidentielle de 2011, qu’il a truquée et volée, lui a permis de rester hissé à la tête de ce grand et riche pays d’Afrique.
De 2001 à 2016, cela fait aujourd’hui 15 ans qu’il est aux commandes des affaires politiques de son pays. Il a à son passif de nombreux assassinats d’opposants, plus de 40, dont l’un des plus retentissants est celui de Floribert Chebeya, défenseur des droits de l’homme et président de l’ONG « La voix des sans-voix » (VSV). Ces odieux assassinats sont restés jusqu’à aujourd’hui impunis.
À l’approche de la fin de son mandat, Joseph Kabila s’enferme dans un mutisme obstiné, qui laisse présager son envie de rester au pouvoir. Le 20 décembre 2016 dernier, date d’échéance de son mandat présidentiel, à la suite de l’appel de l’opposant historique Etienne Tshisekedi de ne plus le « reconnaître » comme président de la RD-Congo, les violences ont éclaté à Kinshasa et dans les autres grandes villes, et ont fait 11 morts. Et depuis les pressions se sont accentuées sur Joseph Kabila. Le dialogue organisé par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui traînait les pieds à cause de la résistance et de l’entêtement de son camp, est enfin parvenu à un accord le 31 décembre 2016.
Joseph Kabila va cogérer son pays avec les opposants jusqu’à l’élection du nouveau président. Le droit lui est refusé de se présenter à l’élection présidentielle. Ce qu’il a accepté sans dégainer son épée. Joseph Kabila vient d’entrer dans l’histoire. Est-ce la sagesse ou la prudence, par-delà les nombreuses pressions, qui a pris le dessus ? On dirait. Dans tous les cas, il vient d’engager son pays sur la voie de la paix. Il a ainsi posé un acte d’une grandeur appréciable, qui met son pays sur la bonne voie. « Néanmoins, sa bestiale cruauté et inhumanité, comme ses innombrables scélératesses, ne permettent pas qu’il soit célébré parmi les plus excellents personnages » comme Nelson Madiba Mandela, Mohandis Karamchi Ghandi, Martin Luther King. A cause de ses nombreuses scélératesses, on ne peut pas lui décerner une couronne royale, c’est-à-dire fermée. On ne lui donnera pas un Oscar pour avoir fait cela. Les crimes commis par lui ne permettent pas une telle reconnaissance.
Exemple à suivre au Togo…
Cependant, les autres chefs d’Etat africains doivent tirer la leçon de son exemple. Faure Gnassingbé doit suivre inconditionnellement l’exemple de Joseph Kabila. Il sait qu’il est aussi parvenu au pouvoir par une « voie scélérate et abominable » comme Agathocle de Sicile, Liverotto de Fermo et César Borgia. Le premier fut fils de potier qui entra dans l’armée de Syracuse, en devint chef et connut des succès militaires. S’appuyant sur le parti populaire, il extermina le parti aristocratique et prit le titre de roi en 306. Le second, orphelin de père très tôt, fut élevé par son oncle maternel, Jean Fogliano, qu’il tua après d’une façon détestable pour prendre sa place. Le dernier fut fils du pape Alexandre VI. Homme d’Etat cruel, il fut assassin, injuste et corrompu. Les trois sont arrivés au pouvoir par des scélératesses. Mais est-ce une bonne façon de parvenir au pouvoir ? Cette façon de parvenir au pouvoir est hautement détestable; elle n’a aucune valeur morale. Tuer ses concitoyens pour arriver au pouvoir, c’est triompher sans gloire : « On ne peut pas non plus dire que ce soit mérite de tuer ses concitoyens, trahir ses amis, être sans foi, sans pitié, sans religion; de tels procédés peuvent conduire au pouvoir, non à la gloire. » (Machiavel). Faure Gnassingbé est parvenu au pouvoir par des scélératesses, donc par un « procédé » qui est sans gloire, sans fierté. C’est le moyen le plus abject de se hisser à la tête d’un État.
Ceux qui l’ont aidé à parvenir au pouvoir ont été sans ménagement écartés. Les Généraux Zoumarou Gnofam, Séyi Mémène, Zakari Nandja, Assani Tidjani ont été écartés. Le dernier était mort en prison (que la terre lui soit légère !) Ces Généraux ont fait trop de mal au Togo et aux Togolais.
Kpatcha Gnassingbé, son demi-frère, fait partie de ceux qui l’ont fait roi. On l’a vu dans les quartiers de Bè, le coupe-coupe à la main en 2005, accompagné d’une meute de milices, après l’élection présidentielle contestée. Ils ont tué les Togolais pour que devienne puissant Faure Gnassingbé. Aujourd’hui, Kpatcha croupit en prison. C’est pour vous dire que tout se paie ici-bas. Pascal Akoussoulèlou Bodjona, homme lige des Gnassingbé, a été aussi brutalement et honteusement écarté du pouvoir et a connu la prison. Aujourd’hui, s’il a une conscience, il doit regretter tout le tort qu’il fait au Togo et aux Togolais. Certes, sa courtisanerie l’a matériellement rendu très riche, mais socialement et politiquement très malheureux. Il a beaucoup à se reprocher. Pour tout dire, il est ruiné sur le plan politique et social.
Tous ces hommes qui ont rendu puissant Faure Gnassingbé ont totalement ignoré la règle machiavélienne qui dit que lorsqu’on a fait le roi, on a utilisé soit l’intelligence, soit la force brutale. L’une comme l’autre est après redoutée par le roi qui tient à l’œil ceux qui l’ont aidé à devenir roi : « D’où se tire une règle générale, qui ne trompe jamais, ou rarement : c’est que celui qui est cause qu’un autre devienne puissant va à la ruine; car il suscite cette puissance ou par habileté ou par force; et de ces deux-là, l’une et l’autre est suspecte à qui est devenu puissant. » (Machiavel) Tous ceux qui ont rendu Faure Gnassingbé puissant l’ont appris à leurs dépens. Je les se renvoie tous à l’école.
Bref, pour terminer, Faure Gnassingbé doit impérativement quitter le pouvoir en 2020. Il aura totalisé à cette date 15 ans de règne désastreux, un règne de siphonage des biens de l’État. Lorsqu’on n’est pas exemplaire, un sans-faute, lorsqu’on n’a pas soi-même les mains propres, lorsqu’on a des choses à se reprocher soi-même, on ne peut pas sévir contre les ministres qui commettent les crimes économiques, qui pillent les biens de l’Etat. C’est le cas de Faure Gnassingbé qui est entouré de ministres qui ne sont là que pour leurs intérêts personnels.
Aujourd’hui, Faure Gnassingbé se refuse ou s’obstine à faire les réformes et foule ainsi aux pieds tous les accords signés. J’ai dit dans mon précédent article que les hommes politiques togolais doivent apprendre à dire ce que le peuple aimerait entendre dire. Mon message n’est pas resté sans écho. J’ai lu avec attention le « courrier public de vœu » de M. Nicolas Lawson à Faure Gnassingbé. J’ai écouté avec joie et attention le vibrant et exaltant discours de M. Tikpi Atchadam. Ce que ces deux hommes politiques togolais ont dit est ce que les Togolais aimeraient entendre dire. Nous avons besoin d’eux en 2020 pour sonner l’alerte, pour parler aux Togolais comme l’a fait Tshisekedi en RD-Congo. Les Togolais, qui qu’ils soient, de quelques régions qu’ils viennent, de quelques bords qu’ils soient, du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, doivent réclamer en 2020 la fin du régime des Gnassingbé. Il y en a marre.
Faure Gnassingbé sait que les plaies qu’il a causées ne sont pas cicatrisées; elles sont toujours ouvertes et saignent abondamment. Les parents, les veuves, les veufs, les orphelins n’ont pas encore oublié la male mort, la mort brutale de leurs fils, de leur mari, de leur femme, de leur père, de leur mère. Refuser de partir en douce, c’est retourner le couteau dans la plaie.
Si Faure Gnassingbé veut que les Togolais lui pardonnent, il faut qu’il prenne la voie de la sagesse ou de la prudence en faisant les réformes et en renonçant à se présenter à l’élection présidentielle de 2020. S’il s’obstine, eh bien, il trouvera encore les braves Togolais sur son chemin, qui savent que son ministre de l’intérieur, Yark Damehame, est toujours prêt à dire : « entrez-leur dedans ! Le pays n’appartient pas à vous seuls », mais il appartient seulement aux Gnassingbé. Les Togolais savent qu’on ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs, mais ce qui est absolument certain, c’est que les crimes ne resteront pas éternellement impunis.
Nous avons des gens très compétents, des intellectuels de haut vol du Nord comme du Sud, de l’Est comme de l’Ouest, qui peuvent gouverner mieux et autrement le Togo qui n’est pas une propriété des Gnassingbé. Trente-huit (38) ans pour le père et quinze (15) ans pour le fils, ça suffit. Les Togolais veulent voir une autre famille à la tête de leur pays.
Togolaises et Togolais, unissons-nous pour barrer la voie à Faure Gnassingbé en 2020 et les hommes politiques français corrompus qui le soutiennent. Là où les autres ont réuni, nous pouvons aussi réussir. Ensemble nous vaincrons.
Tchakie Thomas Sekpona-M.
27Avril.com