Un pays sous haute tension

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Photo Alphonse Logo/Anadolu Agency

La crise sociopolitique au Togo traverse les frontières. « Togo, un pays sous haute tension » est un article publié sur le site du journal français La Croix, (la-croix.com). Son ‘auteur y démontre la nature explosive de la situation.

Depuis plusieurs semaines, ce pays d’Afrique de l’Ouest est en proie à de fortes tensions sociales. Les syndicats s’apprêtent à annoncer la paralysie totale du pays pendant 24 heures.

Mouvement de protestation à Lomé, la capitale togolaise.

« On veut des cours ! des cours ! des cours ! » Sur le bord de la route nationale qui relie Dapaong, au nord, à Lomé, au sud, les automobilistes circulent sous les protestations d’adolescents. En treillis gris, des gendarmes, casques sur la tête et matraque au poing, contiennent la foule pour ménager un passage aux véhicules. Depuis plusieurs semaines, au Togo, les enseignants du secondaire sont régulièrement en grève, provoquant l’exaspération des élèves et de leurs parents.

Ce mouvement, larvé depuis des mois, est emblématique des tensions croissantes que connaît le pays. Début mars, la hausse du prix de l’essence décidée par le gouvernement – la deuxième en moins de trois mois – a provoqué la colère. Des manifestations spontanées ont éclaté à Lomé, la capitale, au cours desquelles un homme a été tué par l’armée.

L’ultimatum des syndicats togolais

Il y a quinze jours, les syndicats togolais ont posé un ultimatum au pouvoir, réclamant la baisse du prix du carburant. Le gouvernement n’ayant pas réagi, les syndicats devraient annoncer demain l’organisation d’un « Togo mort » : la paralysie totale du pays pendant vingt-quatre heures.

Président des Universités sociales du Togo (UST), qui fédèrent syndicats, consommateurs, défenseurs des droits de l’homme et associations de la société civile, David Dosseh décrit une « situation de ras-le-bol généralisé », un pays ou « aucun secteur ne fonctionne », particulièrement dans les domaines de la santé et de l’éducation. « Nous sommes dans un contexte de paupérisation accrue », dénonce Nadou Lawson, coordinatrice générale de la Synergie des travailleurs du Togo (STT), qui regroupe plusieurs syndicats du pays.

Autre raison des tensions, la lenteur du gouvernement à indemniser les victimes des violences commises dans le pays entre 1958 et 2005, en grande partie sous le règne de Gnassingbé Eyadema, père du président actuel, Faure Gnassingbé.

D’après un rapport des Nations unies, la répression a causé la mort de 400 à 500 personnes, principalement dans les rangs de l’opposition. Placé à la tête d’une Commission « vérité, justice et réconciliation » à la demande du gouvernement, Mgr Nicodème Barrigah, évêque d’Atakpame, s’est fait l’un des porte-parole de la demande d’indemnisation, à travers un rapport publié en 2012, que le pouvoir a promis de prendre en compte.
L’Église se retire du jeu politique

Depuis, rien n’a évolué. Si bien que l’Église catholique se retire peu à peu du jeu politique. Dans l’entourage de Mgr Barrigah, on ne cache pas une certaine amertume, ni le sentiment d’avoir été manipulé par le gouvernement. À tel point que les évêques ont refusé, en 2015, d’être observateurs de la dernière élection présidentielle…

« Nous avons débloqué 2 milliards de francs CFA qui seront versés aux victimes d’ici à la fin de l’année », se défend Evalo Wiyao, l’un des trois membres du Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale, chargé par le président Gnassingbé de mettre en œuvre les recommandations de Mgr Barrigah. Au total, il promet qu’une enveloppe de 35 milliards sera versée aux survivants. À quelle échéance ? « Aucun calendrier n’est fixé pour l’instant », répond ce responsable.

Devant ces imprécisions, la plupart des membres de la société civile ne croient plus à l’action de cette commission gouvernementale. C’est le cas de Magloire Kuakuvi, ancien professeur de philosophie à l’université de Lomé et cofondateur de la Ligue des droits de l’homme dans le pays. Il prône plutôt la résolution de conflits locaux, comme il le fait dans sa paroisse des saints martyrs de l’Ouganda, dans le nord de la capitale togolaise.

Des « clubs de la paix »

Avec d’autres bénévoles de la commission Justice et Paix, il reçoit toute la journée des habitants de Lomé confrontés à des litiges fonciers, à des héritages inéquitables ou à des conflits familiaux. Lui qui craint qu’une « étincelle embrase le pays » mise sur une « lente conscientisation du peuple », à travers des actions de sensibilisation, dont « Justice et Paix », une émission interactive très populaire qu’il anime tous les mercredis soir sur Radio Maria. Il projette de créer dans les lycées et les collèges des « clubs de la paix ». Il veut y croire : « Tout cela finira bien par porter ses fruits. »

Des difficultés pour mobiliser

Dans un pays où le pouvoir multiplie les pressions, notamment financières, pour faire cesser les mouvements de protestation, les syndicats togolais ont du mal à mobiliser. « Le gouvernement réussit à nous diviser en utilisant la corruption », explique Atchi Wallah, secrétaire général du Synphot, qui réunit les praticiens hospitaliers du pays.

Selon Amnesty International, en 2016, les forces de sécurité togolaises ont eu recours à « une force excessive face à des manifestants ». « Les arrestations et détentions arbitraires, la torture et les autres formes de mauvais traitements » ont toujours cours au Togo, selon l’ONG.

Loup Besmond de Senneville (à Lomé) (croix.com)

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