Kantè, ville du nord du pays, est en proie depuis la fin du mois d’août, à des manifestations étouffées par le régime. Les populations boycottent les taxes pour protester contre l’incurie de leur ville.
La fièvre ne retombe pas à Kantè. Depuis la fin du mois d’août, cette ville de 95 000 habitants du nord du Togo (à 450 km de la capitale Lomé) proteste contre l’indigence de l’État. « Nous manquons de tout, témoigne à La Croix Jeanne Adjika, 30 ans, commerçante à Kantè. Notre hôpital est un mouroir à ciel ouvert, incapable de faire la moindre césarienne. Plus de dix personnes sont mortes dans des accidents causés par les nids-de-poule sur la route nationale numéro un depuis janvier 2018. Notre stade, lui, est une rizière où on ne peut mener la moindre activité sportive. Il est temps que notre préfecture soit dotée d’infrastructures modernes. »
« Bien que nous soyons l’une des plus vieilles préfectures du pays, Kantè n’a pas l’apparence d’une ville. L’État nous a oubliés », peste Adji Ronou, 25 ans, cultivateur à Kantè.
25 août, jour de colère
Cette crise a commencé le 25 août avec une marche de protestation contre le délabrement de la ville lancée par le Mouvement des Indignés de la Kéran (MIK), une structure issue de la société civile. La réaction brutale de l’armée a fait une vingtaine de blessées, et elle a mis le feu aux poudres.
En guise de rétorsion, le MIK a appelé à ne plus payer les taxes. « Au lieu de nous envoyer des tracteurs et des bulldozers pour venir nous tracer des routes, ils nous ont envoyé des chars pour nous violenter et nous faire taire, darde Crépin Gnanta, 29 ans, un des leaders du Mouvement des Indignés de la Kéran. Nous avons riposté par le non-payement des taxes, jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution définitive à nos problèmes. »
Crépin Gnanta, accompagné d’autres jeunes, sillonne depuis quatre semaines les marchés des neuf cantons de la Kéran, afin de sensibiliser les populations sur le boycott des taxes.
Un fief du pouvoir mal récompensé
« Nous sommes déterminés à nous battre jusqu’au bout pour le développement de notre milieu », poursuit Adji Ronou. Cette précarité est d’autant plus difficile à admettre que Kantè a été considéré comme un fief du parti au pouvoir dès l’époque de Gnassingbé Eyadema, père du président actuel.
En se comparant à d’autres villes du nord, comme Sokodé et Mango, plus hostiles au régime et pourtant plus développées, Kantè s’est considérée flouée. « C’est parce que nous sommes restés trop longtemps passifs qu’ils nous ont oubliés, tonne Abikou Kpare, 40 ans, revendeuse de boisson locale. Si Mango est plus développé que Kantè, c’est parce que la population de là-bas est debout. Désormais nous aussi nous sommes debout. »
Une crise prévisible et contagieuse
Le pouvoir a été pris par surprise. Même les soutiens de Faure Gnassingbé, habitués à anticiper ces situations, n’ont rien vu venir.
Samir Abi, un des principaux membres du forum social du Togo, avait pourtant prédit cette fronde dès 2013 : « Le mouvement social à Kantè est lié à deux causes. La précarité de la préfecture. Et l’absence de décentralisation de l’État. Les populations ont besoin de connaître les ressources de leur préfecture et de dire où les affecter. » Il avertit : « On peut s’attendre à la contagion de la fronde à d’autres préfectures démunies. »
Source: La Croix
Source : www.icilome.com