Tsévié : Un marché de plus de 2 milliards, un requérant et un attributaire faussaires déboutés

0
428

Un marché attribué, un recours introduit par un requérant qui sera débouté, la perspicacité des membres du Comité de règlement des différends (CRD) qui permet de remettre en cause l’attributaire désigné, voilà en quoi a consisté la décision n°083-2021/ARMP/CRD rarissime prise par le CRD le 2 novembre 2021. Mais pour en arriver à cette extrémité, il a fallu une mission express hors du Togo pour découvrir le pot aux roses qui a presque permis à un groupement de remporter le marché relatif aux travaux d’aménagement et de bitumage de la voirie d’accès au nouveau marché et à la nouvelle gare de Tsévié. Presque, disons-nous, parce que le CRD a tout remis à plat en déboutant et le requérant, et l’attributaire provisoire.

C’est une décision qui fait 13 pages. Mais la chronologie des faits y relatés n’a souffert que d’un excès de clarté, tant les évènements se sont succédé dans l’ordre. Et même la présence d’un avocat au chevet du requérant n’a pas permis à ce dernier de voir sa cause triompher, bien qu’elle ait été entendue.

Les faits et procédure

De façon succincte, le ministère des travaux publics a lancé, le 20 avril 2021, l’appel d’offres international n°182/MTP/CAB/SG/DGTP/PRMP&DCRR relatif aux travaux d’aménagement et de bitumage de la voirie d’accès au nouveau marché et à la nouvelle gare de Tsévié.

A la date limite de dépôt des offres fixée au 20 avril 2021, la Commission de passation des marchés publics dudit ministère a reçu et ouvert les offres présentées par 09 soumissionnaires dont les groupements ECOSAB /GLOBEX CONSTRUCTION et NECBAPS/OTER.

A l’issue de l’évaluation des offres, la sous-commission d’analyse a déclaré le groupement NECBAPS/OTER attributaire provisoire du marché pour un montant toutes taxes comprises de 2.237.586.359 FCFA.

Non satisfait, le mandataire du groupement ECOSAB/GLOBEX CONSTRUCTION a, assisté de son conseil, par lettre datée du 09 septembre 2021, saisi le CRD pour contester les résultats de l’appel d’offres international sus-indiqué.

L’ARMP a diligenté une mission express à l’Ecole Supérieure Polytechnique (ESP) de Dakar (SENEGAL), aux fins de vérification du niveau d’études supérieures conféré au diplôme d’ingénieur technologue établi au nom de Monsieur AYEKO Marcel, membre de l’équipe d’exécution du groupement ECOSAB/GLOBEX CONSTRUCTION et de demande d’authentification dudit diplôme.

Parallèlement, comme mue par l’instinct, le directeur des transports routiers et ferroviaires a été saisi par l’ARMP aux fins d’authentification des certificats d’immatriculation du matériel roulant proposé par l’attributaire provisoire, en l’occurrence NECBAPS/OTER.

Un marché de plus de 2,2 milliards, le jeu valait la chandelle et le conseil du requérant, sollicité, a développé à l’appui de son recours, une vingtaine d’arguments auxquels le CRD a apporté des réponses, pour peu qu’on veuille juger cette affaire sans parti pris.

L’autorité contractante, en l’occurrence le ministère des Travaux publics a développé une dizaine de moyens pour solliciter en fin la main levée sur la mesure de suspension prononcée le 15 septembre 2021.

Examen du litige au fond

Le CRD, devant les doutes émis par le conseil du requérant, a prouvé qu’une équipe s’est effectivement déplacée pour s’assurer de l’authenticité des diplômes du mis en cause. Les observations du conseil pour tromper la religion du CRD n’ont point prospéré et ont trouvé réponses adéquates.

Toujours selon la décision n°83 du CRD, les recherches effectuées dans les archives de l’Ecole dont on dit avoir délivré le diplôme au mis en cause ont permis à son Directeur général de conclure, par les termes d’une lettre référencée n° Q637/ESP/SCOL/ANG datée du 15 octobre 2021 que « Monsieur AYEKO Marcel est inconnu du répertoire des diplômés de l’Ecole Supérieure Polytechnique de Dakar»; et que dès lors que l’ESP dénie l’existence du diplôme produit dans l’offre du requérant pour le compte du susnommé, il devient sans objet de persister à vouloir faire reconnaître 04 ou 05 années d’études universitaires à un diplôme inexistant voire un pseudo diplôme. Ce qui permet au CRD de déclarer qu’ « il est incontestablement établi que le diplôme de l’ingénieur topographe présumé avoir été délivré au nommé AYEKO Marcel est un faux ».

Ainsi, le rejet du recours du groupement ECOSAB/GLOBEX CONSTRUCTION a été rejeté. Mais le CRD ne s’est pas arrêté en si bon chemin.

Du niveau de qualification de l’ingénieur topographe proposé par l’attributaire provisoire

Dans le but de faire triompher le principe d’égalité dans la commande publique, il était devenu impératif d’examiner le diplôme de l’ingénieur topographe proposé par le groupement NECBAPS/OTER, attributaire provisoire du marché.

C’est ainsi qu’il a été découvert qu’à l’examen de ce diplôme, il apparait qu’il y est mentionné que Pindé CAMARA a obtenu le diplôme d’ingénieur sans autres précisions à savoir s’il s’agit d’un ingénieur de travaux ou de conception ; qu’autant pour le requérant, il n’est nulle part mentionné que le diplôme de son topographe correspond à trois (03) années d’études universitaires, qu’autant sur celui du topographe proposé par l’attributaire, ne figure le nombre d’années d’études universitaires à comparer aux exigences du DAO ; que devant cette absence de précision, il devient impérieux de s’adresser à l’auteur présumé l’avoir délivré.

Aussi, par lettre référencée n° 3435/ARMP/DG datée du 18 octobre 2021, l’Ecole Nationale d’Ingénieurs-Abderhhamane Baba Touré (ENI-ABT) du Mali a été saisie aux fins d’authentification du diplôme de Pindé CAMARA ; mais en réponse, le Directeur général de l’ENI-ABT a, par lettre n° 2021-0607/MESRS/ENI-ABT/DG du 26 octobre 2021, indiqué que Madame Pindé CAMARA a fréquenté ladite école et a obtenu le diplôme d’ingénieur à l’issue de son examen de sortie d’août 2014 et non de 2010 avant de conclure que le diplôme soumis à authentification est un faux.

Le CRD a déduit qu’à la lecture de cette réponse, « il est constant que le diplôme d’ingénieur est délivré à dame Pindé CAMARA en 2014 et qu’il a été, toute proportion gardée, contrefait aux fins de lui conférer plus d’années d’ancienneté en y indiquant 2010 ; que dans ces conditions, il est absolument sans intérêt de rechercher à attacher des années d’études à un diplôme inexistant et devant servir de point de départ pour l’acquisition d’expériences professionnelles ».

Il a été également mis en exergue que l’instruction ayant révélé que l’entité NECBAPS appartenant au groupement attributaire provisoire n’a proposé aucun personnel clé sur les cinq experts exigés alors qu’elle dispose d’un matériel roulant important, soit 27 engins, les vérifications ont été étendues aux certificats d’immatriculation desdits engins présumés avoir été délivrés par la direction des transports routiers et ferroviaires (DTRF) ; que cette vérification est d’autant plus nécessaire que certains certificats présentent des numéros identiques. Pire, le directeur des transports routiers et ferroviaires a, par lettre référencée n° 054/MTRAF/CAB/SG/DGT/DTRF du 22 octobre 2021 et transmis au CRD, conclu que tous les certificats d’immatriculation établis au nom de l’entreprise NECBAPS sont falsifiées.

Ainsi, le CRD conclut « qu’il y a lieu de déclarer le recours du groupement ECOSAB/GLOBEX CONSTRUCTION non fondé, de rejeter les offres du groupement ECOSAB/GLOBEX CONSTRUCTION et de l’attributaire provisoire NECBAPS/OTER et d’ordonner l’annulation des résultats provisoires ainsi que la reprise de l’évaluation des offres ». En plus, le CRD « se réserve le droit de se saisir en formation disciplinaire pour sanctionner les violations ci-dessus relatées ». La suite, on la connait. Mais les détails croustillants qui ont confondu le requérant et l’attributaire provisoire sont contenus dans la décision n°083-2021/ARMP/CRD du 2 novembre 2021.

Godson K.

Source : Liberté / libertetogo.info

Source : 27Avril.com