Tribune Politique/La quête de la Démocratie vs la quête du Pouvoir : Maître AGBOYIBO M’A DIT…

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Ce matin, à l’église de la Madeleine à Paris 8ème , ils étaient très nombreux, amis, militants, sympathisants, admirateurs, famille, blancs et noirs à se déplacer pour assister à la messe pour le repos éternel de Me Appolinaire Madji  Yaovi Agboyibo.

Les discussions sur le parvis de l’église étaient diversifiées et riches : parcours inachevé d’un bélier noir qui s’est donné en holocauste pour la démocratie au Togo, les acquis du combat, l’état des lieux après sa disparition, les défis, le reliquat, autant  de la lutte que des acteurs, les stratégies nouvelles pour venir à bout d’un régime politique qui s’est enkysté dans une résistance à tous les courants idéologiques, politiques, diplomatiques et civiles en faveur de la démocratie.

Ce matin donc, le consensus qui a toujours été le leitmotiv du combat de Me Agboyigbo a retrouvé son droit de cité. Tous ont salué le passage de l’homme de Kouvé dans le paysage politique du Togo, tous ont regretté, du moins la plupart, le départ d’aussi tôt de Madji Appolinaire Agboyibo, au moment même où on avait encore besoin de lui.

Ce matin, dans la méditation de cette messe de requiem, je me suis encore une fois plongé dans les mémoires de ma complicité horizontale avec le leader du CAR et ai décidé de passer des extraits d’une œuvre que je me plais à titrer ‘’ Me Agboyibo m’a dit…’’

Le 13 janvier 2003, lors d’une rencontre à son domicile de Kodjoviakopé, comme pour se distraire du stress qu’engendre cette date mémorable que Feu le Général Eyadéma se consacre à célébrer dans une  fastueuse provocation, Maître m’invita à échanger encore sur la situation politique dans son éternel humour de respect et d’admiration pour ses interlocuteurs : « Carlos, c’est vous qui avez les grandes oreilles et êtes dans les secrets des dieux…. » Ce jour, le Bélier noir m’a fait  l’insigne l’honneur de me dédicacer son ouvrage ‘’Combat pour un Togo démocratique’’ en des termes flatteurs : ‘’ Bravo pour Radio Victoire, à vous Gilles et Carlos, toutes mes amitiés’’. Cet ouvrage est préfacé, ironie du sort, par l’éminent journaliste et écrivain Adovi John Bosco Adotévi qui a aussi dirigé la Publication du Journal Motion d’Information et dont j’ai été Directeur de Publication pendant 5 années.

A l’époque donc, nous étions deux, Gilles et moi à tourner en boucle l’actualité politique sur la jeune radio ‘’Victoire’’ qui s’était consacrée de façon inédite, avec risque et audace naïve à dénoncer 24h sur 24, les dérives du pouvoir d’Eyadéma, notamment  la détention en prison du leader du CAR, homme politique qui était pour nous le reflet du combat contre l’injustice et la prédation des libertés.

Ce livre est en effet, le manuel idéologique du combat de Me Yawovi AGBOYIBO. Dans les discussions et échanges depuis 1997 que j’ai connu le leader du CAR, il m’a dit ce qu’il pense de tous et de chacun. Ce qu’il veut pour le Togo et ce sur quoi les acteurs politiques devraient s’accorder pour mener à bien le combat pour la démocratie.

Le combat de Me Yawovi AGBOYIBO  est fondé sur une permanente dualité, mieux un dualisme politique et idéologique à plusieurs facettes dialectiques qui sont condamnées à s’attirer en même temps à se repousser.

Ce dualisme selon la méthode AGBOYIBO a été de façon constante la quête pour la démocratie et la quête pour le Pouvoir. Les deux quêtes normalement convergentes deviennent parfois antagonistes et c’est dans la gestion de cet antagonisme que naît la tragédie qui identifie le processus démocratique du Togo. Savoir exercer la force et la faiblesse, savoir combiner l’affrontement et la soumission, savoir alterner le chaud et le froid, bref, savoir exploiter le dialogue et la pression populaire.

De Kodjoviakopé à Adodessewa, de Tokoin Trésor à Kodomé, du Cabinet d’avocat à la Primature, de Kouvé à Tabligbo en passant par Ahépé, de Lomé à Paris, de minuit à 6h et de 6h à minuit, Me AGBOYIBO M’A DIT….

‘’Maître Agboyibo m’a dit qu’il a été toujours d’accord avec le slogan du Professeur Gnininvi qui consiste à dire que la Démocratie d’abord, et le multipartisme après, mais la réalité est tout autre, parce que la quête et l’obtention  de la démocratie devraient passer par une alternance et l’alternance devrait donc signifier le remplacement d’un ordre ancien, aux méthodes anciennes, aux acteurs anciens, à la culture ancienne par un ordre nouveau aux perspectives nouvelles. Et dans la logique de conservation du pouvoir par des réactionnaires, il n’y aura pas le temps d’obtenir l’un d’abord avant de passer à la conquête de l’autre. Les deux quêtes  se doivent donc d’être poursuivies dans cette harmonie des contraires, dans la dialectique hégélienne, le dualisme et les contradictions bachelardiennes.

Me Agboyibo m’a dit qu’il est d’accord avec Gilchrist Olympio dans sa méthode de conquête du pouvoir par la popularité et la pression populaire (qu’il lui a reconnue) et le populisme mythique qu’il a développé pendant dans années contre feu Gnassingbé Eyadéma. Mais que vaudraient tous ces atouts naturels sans consécration par le dialogue, la concertation, la compréhension et l’obtention des acquis dans la concession ? Bourse sans argent, selon le dicton, je l’appelle cuir. Gilchrist Olympio l’a appris à ses dépens en tentant cette méthode, mais tardivement, alors qu’il avait œuvré avec détermination à neutraliser toutes les tendances qui préconisaient cette méthode en les ayant traitées d’initiatives satellites du RPT. 

Me Agboyibo m’a dit, qu’avec Feu Edem Kodjo, les relations étaient mi-figue, mi-raisin. Le leader de l’UTD, a réduit le changement au Togo à la portion congrue de la quête du pouvoir, par tous les moyens : du compromis à la compromission, du sacrifice des libertés à la ruse contre la raison. Ceci est inadmissible. Les accords et les ententes à propos des élections législatives en 1994 corroborent la porosité de la méthode Kodjo et la dangerosité de la priorité de la quête du pouvoir sur la quête de la démocratie.

Me Agboyibo m’a dit que ses relations avec Feu Gnassingbé Eyadéma  n’ont jamais été celles de bonnes ententes successives, jamais celles d’un fleuve tranquille. Elles ont été constamment celles des chocs, et des apaisements. Avant toute concession, du genre libération des prisonniers, libéralisation de la presse, création de la CNDH et d’autres institutions etc., le Général devrait s’assurer de deux choses : l’impact que cette décision avait sur son fauteuil et l’appréciation de la population et de la communauté internationale. Si l’un ou l’autre de ces aspects lui semblait défavorable, il s’opposait systématiquement à l’initiative. Seulement de tout son règne, Feu Gnassingbé Eyadéma a été influencé par les jeux d’intérêts et de sabotage de son entourage qui l’avait presque pris en otage. Lorsqu’il s’en rendait compte, le Général sévissait, mais les courtisans étaient trop nombreux et trop véreux pour lui permettre de tout contrôler.

C’était la faiblesse du pouvoir de Gnassingbé Eyadéma qui avait le sens de l’écoute et l’autorité de décider quand il le fallait.

Me Agboyibo m’a dit que Aboudou Assouma était l’un de ses meilleurs alliés dans l’obtention des concessions auprès de Gnassingbé Eyadéma ; même si parfois, il se laissait entraîner de gré ou de forces dans les résistances de ses collègues de la Présidence, dont Kpotivi Djodjogbé Laclé, Gbégnon Amégboh, le Général Amegee, Yao Kunalé Eklo, Assila etc. En sa qualité à l’époque  de Procureur de la République et influent magistrat, aujourd’hui indéboulonnable Président de la Cour constitutionnelle, Aboudou ASSOUMA a aidé à des missions de facilitation pour la création de la CNDH et l’ouverture de plusieurs espaces de liberté. Il est resté son ami jusqu’à sa mort. 

 Me Agboyibo m’a dit beaucoup, sur le pouvoir et ses  risques, la politique, l’économie, les sciences, la philosophie  et la métaphysique ; sur l’argent, sur la femme, sur la vie, sur la mort, sur les épreuves.

De tous ces concepts, Maître m’a toujours confié de rester ancré dans l’esprit d’humilité, de pardon et de partage. Ce sont ces aptitudes qui restent quand on n’aura plus rien et quand on ne sera plus… C’est donc cela qui a mobilisé ce matin à La Madeleine à Paris toutes ces personnes qui l’ont aimé et qui, sans doute l’aiment encore.

Maître Agboyibo dans son idéologie politique dualiste, définit en definitive la démocratie comme une valeur commune tandisque le pouvoir est une valeur particulière à usage commun.

Il compare la démocratie à ce que représente la pluie pour les paysans. Tous en ont besoin pour leur culture. Et lorsque la saison sèche vienne à se prolonger au point qu’il faille que tout le village se retrouve sur la place publique pour solliciter la faveur des dieux, personne n’éprouve de réticence à s’y rendre. Par contre la quête du pouvoir divise.

La démocratie se raréfie-t-elle au Togo d’aujourd’hui, si oui, tous les togolais devraient donc se rassembler, invoquer les dieux pour l’obtenir, en attendant l’inhumation de Me Yaovi Agboyibo prévu pour début décembre dans son fief, à Kouvé.

 Maitre AGBOYIBO m’a dit…….. à suivre

Repos éternel Daglamata…..

Carlos KETOHOU

Le 20 novembre 2021

Source : icilome.com