Les coups d’État militaires se suivent en Afrique mais ne se ressemblent pas. Celui intervenu au Niger le 26 juillet 2023 a tellement soulevé de réactions et fait couler d’encre que le sujet mérite qu’on s’y attarde. Ce n’est pas tant le coup d’État au Niger qui turlupine que la difficulté à comprendre le feuilleton de coups d’État en cours dans cette Afrique engagée depuis plus d’une trentaine d’années dans un projet démocratique.
Du Mali en 2021, en passant par la Guinée la même année, le Burkina Faso en 2022, le feuilleton déroule un de ses épisodes au Niger en 2023. Tous ces coups d’État militaires qui sont venus interrompre la marche de régimes issus du “suffrage universel” ont soulevé diverses polémiques sans pour autant qu’une position claire et unanime ne soit dégagée à leur propos. Au demeurant, la question qui se pose est celle-ci : est-on pour ou contre les coups d’État militaires en Afrique ?
Les institutions africaines, notamment la CEDEAO et l’Union Africaine, ne vont pas plus loin que les positions de principe et la prise de sanctions qui, dans l’un ou l’autre cas, restent sans effet. La communauté internationale (ONU et grandes puissances) qui dit accompagner les décisions des instances africaines, reste impuissante devant l’incapacité des dirigeants africains à adopter une position claire et tenable. L’incapacité de la CEDEAO à sévir contre les juntes militaires et à arrêter le cycle de coups d’État peut s’expliquer par son impopularité (elle est accusée d’être un syndicat de chefs d’État) et la forte popularité dont jouissent les régimes issus des putschs. Les peuples affirment que la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’accompagne guère les processus démocratiques dans son espace. Elle rechigne à sanctionner les Etats irrespectueux des règles de la démocratie, et parfois quand elle réagit, c’est à la carte. Au lieu d’agir en amont, elle a choisi de fermer les yeux sur les entorses à la démocratie et de surgir en aval pour brandir un chapelet de sanctions, alors que sa passivité ou complicité a créé déjà le ferment des coups d’État militaires.
Les peuples des pays dans lesquels interviennent les coups d’État se mettent généralement en travers du chemin de la CEDEAO et deviennent les boucliers des juntes militaires. La forte mobilisation des populations du Niger en faveur de la junte militaire constituée en CNSP(Conseil National de Sauvegarde de la Patrie) a édulcoré la position va-t-en guerre de la CEDEAO et tend à rendre ses sanctions sans effet. Les populations africaines, acquises à l’idéal panafricaine dans leur écrasante majorité, n’y sont pas allées de mains mortes pour soutenir et défendre sans réserve le CNSP.
Pourquoi les peuples Africains soutiennent-ils les coups d’État militaires ? Il y a quelques décennies, ces mêmes peuples ont rué dans les brancards contre les régimes militaires et revendiqué à cor et à cris la démocratie. De plus, tout le monde sait que les militaires n’ont pas pour mission de gérer les États et que, à quelques exceptions près, leur gestion tourne au désastre. Qu’est-ce qui pousse alors les peuples africains à applaudir les coups d’État militaires ?
La faillite du projet démocratique en Afrique
La première justification des coups d’État en Afrique est la faillite du projet démocratique africain. Il est évident pour tout le monde que les processus démocratiques initiés en Afrique dans les années 1990-1991 ont tourné à la désillusion. Ces processus politiques ont dérouté de leur chemin et se sont mis aux antipodes du système démocratique, tel qu’il se déroule chez ceux qui l’ont imposé à l’Afrique. Les fondamentaux de cette forme d’organisation politique (la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme, l’existence d’une opposition en face du pouvoir, l’organisation d’élections libres et transparente…) sont piétinés s’ils ne sont pas inexistants. Tout se passe sous le regard complice de la France. Cette même France qui a imposé aux États francophones d’Afrique, au sommet France-Afrique de la Baule en 1990, d’aller vers la démocratie. Elle s’est érigée derechef en soutien des régimes africains qui refusent l’accommodement avec la démocratie et continue de proclamer qu’elle est pour la démocratie en Afrique. A l’heure du bilan, plus d’une trentaine d’années après l’amorce des processus, la démocratie est inexistante en Afrique, et pire, le système politique en cours n’a réglé aucun des problèmes auxquels les peuples étaient confrontés hier. Seule une petite élite politique proche des milieux du pouvoir a réussi à tirer les marrons du feu, en faisant fortune. Au fil du temps, les pays s’enlisent et les perspectives pour la jeunesse africaine de se donner un avenir radieux en Afrique s’assombrissent. Même les pays dans lesquels des alternances ont permis à de nouvelles classes politiques d’accéder au pouvoir n’ont pas apporté les solutions, ni en terme de construction démocratique ni en matière d’émergence économique. Dans ces conditions de désespoir où il est évident pour tous que le projet démocratique africain a culbuté, peut-on s’opposer à une intervention qui met fin à cette descente aux enfers? Même si on sait à l’avance que le coup d’État n’est pas la solution à long terme, doit-on le rejeter? Tout bien mesuré, les Africains considèrent les juntes militaires qui mettent fin aux expériences démocratiques dans les États africains comme un recours, un début de solution.
L’affranchissement de l’Afrique francophone de la domination de la France
La seconde justification du soutien des peuples africains aux coups d’État militaires est la haine viscérale qui est nourrie contre la France et l’idée que l’arrivée au pouvoir des juntes militaires va sonner le glas de sa domination sur l’Afrique francophone . Les putschs contre les régimes africains qui sont accusés d’être des protégés de la France, dont ils garantissent en retour les intérêts en Afrique, sont accueillis comme une libération. Le refus de la France d’accompagner le projet démocratique africain dont elle est pourtant l’initiatrice et son soutien ostentatoire aux régimes en place ont cristallisé le sentiment anti-français dans les pays d’Afrique francophone au cours de la dernière décennie. Les ressentiments des peuples à l’égard du vrai-faux positionnement de la France vis-à-vis du projet démocratique africain et le double langage qu’elle tient sont venus se greffer sur sa volonté de rester une puissance néocoloniale qui veut continuer à dominer et exploiter l’Afrique.
Il est clair pour tout le monde aujourd’hui que les indépendances octroyées par la France à l ‘Afrique francophone au début des années 1960 sont nominales et n’ont pas véritablement affranchi les États de la domination et l’explication. Les rapports entre la France et l’Afrique sont restés inégalitaires : les échanges commerciaux sont déséquilibrés, la coopération politique et militaire est biaisée, et pour couronner le tout, la monnaie africaine, le franc CFA, est contrôlée par la banque de France. Cet embrigadement de la politique et de l’économie des pays africains par la France ne laisse place à aucune possibilité de développement et d’émergence des États francophones d’Afrique.
Depuis une décennie, toute une vague de panafricanistes a investi les réseaux sociaux pour faire prendre conscience aux Africains de la nécessité de mettre fin à la domination de la France sur l’Afrique. Tous les débats sur la France-Afrique et ses méfaits sur l’Afrique, les critiques à l’égard du franc CFA et sur les déséquilibres dans les rapports entre la France et ses anciennes colonies ont préparé les peuples africains à la rupture avec cette puissance. Du coup, les coups d’États contre les chefs d’États qui sont reçus à l’Élysée sont apparus comme une délivrance, une volonté des auteurs de ces putschs d’ôter ces pays du giron de la France.
La redistribution de cartes qui s’opère au plan international par le fait de la Russie qui cherche à bouleverser la géopolitique mondiale profite bien aux auteurs des coups d’État en Afrique. Afin de se prémunir contre une éventuelle revanche de la France, les Africains saisissent la volonté de puissance qu’affiche la Russie pour réaliser une alliance avec cette puissance montante. Cette alliance tactique est une caution bourgeoise pour les juntes militaires d’autant que l’arrivée en Afrique de la Russie est très appréciée par les populations. Même si les élites panafricanistes sont conscientes qu’aucune puissance étrangère n’est l’amie de l’Afrique, elles veulent nouer cette alliance pour s’affranchir d’une autre qui s’est révélée clairement malfaisante et infructueuse. Personne n’a oublié les déboires des États Africains qui ont choisi l’idéologie communiste et se sont mis sous la coupole de l’ancienne URSS dans les années 1960-1990. Cependant, les élites militaires et leurs soutiens ne peuvent pas réussir le pari de sortir leurs pays du giron de la France, qui a décidé de rester en Afrique contre vents et marée, si elles ne réalisent pas de nouvelles alliances politique et militaire. Pour l’heure, personne ne peut aller contre les coups d’États, même si tout le monde a compris qu’ils ne sont pas la solution à long terme pour l’Afrique.
Par Fulbert Sassou ATTISSO
Consultant en Communication
Source : icilome.com