Tribune: Le terrorisme face à la fragilité des démocraties africaines

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Le terrorisme est le nouveau fléau des États africains ! Pire que le sous-développement et ses corollaires la pauvreté, le chômage et tous les maux connexes, le terrorisme mobilise désormais l’attention de l’ensemble des dirigeants politiques africains. Il n’y a pas si longtemps, on croyait que la terre de prédilection du terrorisme en Afrique de l’ouest c’est le Sahel et que sa sphère d’influence et de propagation reste les pays à fortes populations musulmanes.

Aujourd’hui, cette perception est démentie par la volonté manifeste des groupes terroristes de s’étendre vers les pays du Golfe de Guinée, et pourquoi pas à tout le continent. Les attaques meurtrières que ces groupes dirigent contre les personnes et les biens dans le nord du Togo et du Bénin sont révélatrices de leur intention de s’installer dans les pays côtiers d’Afrique et d’en faire le champ de leurs entreprises macabres.

Apparu dans le Sahel, au nord du Mali et du Niger, après l’effondrement de l’État libyen en 2011, le phénomène terroriste a pris de l’ampleur en dépit de la lutte tous azimuts déclenchée contre lui par les États malien et nigérien, soutenus par la France dans les opérations militaires Serval et Barkhane et les Nations Unies dans leur mission multidimensionnelle dénommée la MINUSMA. En dehors du Sahel, le terrorisme s’est déjà signalé par sa violence meurtrière en Somalie et au Kenya, avec le groupe armé Al Shabaab, et au Nigeria avec la redoutable secte Boko Haram. La véritable inquiétude aujourd’hui est le déplacement du phénomène vers les pays côtiers (Cote d’Ivoire, Togo, Bénin)qui sont depuis peu les cibles de fréquentes incursions des groupes armées terroristes dans les zones occupées par les Forces de Défense et de Sécurité. Ces incursions armées occasionnent de nombreuses pertes en vies humaines dans les rangs des militaires et au sein de la population civile et endeuillent profondément les familles. Pour venir à bout de ce fléau destructeur, les conférences et les réflexions se multiplient en vue de trouver les voies et moyens de vaincre cet ennemi, qui impose aux États une guerre asymétrique dans laquelle il se trouve partout et nulle part.

Tous conviennent, y compris les plus grands spécialistes de la question, que la lutte contre cet ennemi ne peut se réduire à la seule mobilisation des moyens militaires et moins, à l’élaboration des meilleurs plans de guerre. En d’autres termes, le déploiement des troupes d’élites militaires dans les zones infestées par les attaques terroristes, bien que nécessaire pour protéger les personnes et les biens, il reste l’une des solutions. D’autres approches sont préconisées, notamment la lutte contre l’extrémisme violent, qui constitue le véritable canal d’alimentation du terrorisme en ressources humaine et financière.

L’extrémisme violent qui constitue l’étape de la formation idéologique du terroriste est la véritable source du terrorisme. Il est l’ensemble des constructions idéelles et idéologiques qui créent la radicalisation et fait passer l’individu du statut de citoyen à celui de terroriste. Ceci dit, la lutte contre le terrorisme passe aussi et surtout par la suppression et l’éradication des germes de l’extrémisme violent. Cette lutte nécessite à la fois la mise en place d’un dispositif militaire et de renseignements pour éliminer les groupes armés déjà constitués et leurs matériels de guerre ainsi que la création de conditions sociopolitiques qui détruisent les terreaux des idéologies extrémistes. Il s’agit pour les États de chercher à corriger au sein de leurs sociétés les sources des frustrations et tous les éléments susceptibles de conduire les citoyens à la radicalisation. Ce combat doit permettre à court et moyen terme de couper la passerelle entre les populations et les terroristes, ce qui les empêcherait de bénéficier des complicités pour préparer leurs attaques, et surtout qu’ils rencontreraient des difficultés à trouver du personnel à recruter pour grossir leurs rangs.

La démocratie : la vraie réponse à l’extrémisme violent

La démocratie, en tant que système de gouvernement et forme d’organisation sociale est la solution par excellence au terrorisme. C’est un pacte social qui doit mettre d’accord tous les citoyens d’un État sur la manière de gérer les richesses et les répartir, d’organiser les libertés publiques et individuelles, de supprimer les injustices et faire en sorte que les citoyens aient une égalité de chance, et d’organiser la dévolution du pouvoir. Le système démocratique organise la façon dont les citoyens et les groupes constitués doivent revendiquer leurs droits et exprimer leurs désaccords en recourant aux voies et moyens légaux prévus par les lois. Les revendications, quelle qu’elles soient, doivent se faire au sein du système et non en dehors, et surtout pas par la violence.

Si le terrorisme est défini comme le recours à la violence pour revendiquer un droit ou formuler une revendication politique ou sociale, il apparaît alors comme le rejet de la démocratie, ou à tout le moins, la fragilité du système démocratique. Le citoyen ou le groupe qui utilise la violence comme moyen de revendication politique ou social rejette le pacte social ou en est sorti. Dans ce cas, on peut supposer que dans les pays où le terrorisme s’est installé, des citoyens ou des groupes constitués n’ont pas accepté la démocratie, ou que le système démocratique, tel qu’il fonctionne, comporte des imperfections qui sont sources de frustrations.

Les années 1970 ont rimé en Europe avec une vague de terrorisme, notamment en France avec Action Directe, en Italie avec les Brigades Rouges et en Allemagne avec la Fraction Armée Rouge encore appelée la Bande à Baader. Ces groupes terroristes ont été à l’origine de nombreux actes de violence et d’assassinats au cours de ces périodes. L’historiographie de ces périodes a révélé que tous ces groupes d’obédience Marxiste-léniniste ou de la Gauche radicale ont rejeté la démocratie. Nourris par la vulgate léniniste de la lutte contre l’impérialisme, ils assimilaient les démocraties européennes à des États capitalistes sous la domination de l’impérialisme américain. En effet, après la libération de l’Europe par les forces alliées (Etats- Unis d’Amérique et ex-URSS) en 1945, ces deux puissances ont exercé leur influence sur l’Europe. L’Allemagne était partagée comme un gâteau entre ces deux puissances politiques et chacune a imposé son idéologie à la partie qu’elle occupe. En République Fédérale Allemande, la partie que contrôlait les États-Unis, les bases militaires américaines y étaient installées et les signes de sa domination sur ce pays étaient ostentatoires. La démocratie italienne était fragile et la France se remettait de l’occupation qu’elle a vécue pendant quatre ans par le régime nazi. Bref, la démocratie européenne avait du plomb dans l’aile. Les groupes armés terroristes de gauche contestaient cette démocratie régentée par les Américains et préconisaient des attentats contre les décideurs politiques (assassinat du Premier ministre italien Aldo Moro en 1978) l’élimination physique des représentants des grandes firmes en Europe (assassinat du PDG de la Régie Renault Georges Besse en 1986) et des actes de violence de toutes sortes ont été perpétrés contre les personnes et les bases américaines en Allemagne.

La répression policière qui a été opposée à ces groupes terroristes et permis de les mettre hors d’États de nuire a été couplée par une lutte acharnée contre les idéologies radicales de gauche. Ainsi, la faillite du Communisme aux travers du perfectionnement du système démocratique et l’extinction de la fascination des idéologies de gauche sur les masses ont mis fin au terrorisme d’extrême gauche en Europe. Aujourd’hui, il ne serait pas vrai de soutenir que le terrorisme qui sévit en Occident soit exempt de toute frustration liée au fonctionnement de la démocratie, mais ce terrorisme islamiste est fondamentalement tributaire du conflit religieux entre chrétiens et musulmans. Bien que le terrorisme islamiste recrute du personnel dans les populations que la démocratie occidentale a laissé sur le bord de la route, il faut reconnaître qu’il reste l’apanage de gens issus de la religion musulmane, plutôt que de citoyens occidentaux revendiquant l’avènement d’un nouvel ordre politique.

En Afrique, les démocraties en construction ne sont pas de vrais pactes sociaux qui organisent des sociétés justes et égalitaires. De larges pans de la société ne se retrouvent pas dans le contrat démocratique d’autant que le fonctionnement du système a accentué les inégalités et ne donne aucune chance à une grande frange de la société de jouir des biens communs que l’État produit pour le bonheur des citoyens. Les injustices et les tares que produit le système sont les causes des frustrations qui créent et nourrissent les idéologies extrémistes. Les coups d’États qui ont eu cours en Afrique de l’ouest dans les périodes récentes, parfois contre des chefs d’État élus(feu Ibrahim Boubacar Keita au Mali et Christian Kaboré au Burkina Faso) sont des preuves de la désillusion du système démocratique en Afrique. La floraison des foyers de terrorisme et la facilité que rencontrent ces groupes pour pénétrer dans les pays et recruter du personnel sont aussi la conséquence de la fragilité des démocraties africaines. Les citoyens qui se font complices de ces groupes armés et se laissent parfois enrôler par ceux-ci sont les frustrés du système démocratique.

Les deux grands préalables à la lutte contre le terrorisme

La lutte contre le terrorisme commence par la mise en place d’un système démocratique qui prend en compte les fondamentaux de cette forme d’organisation sociale et politique. Il s’agit de faire adhérer l’ensemble du corps social d’un pays à un vrai pacte social qui garantit le bonheur à chaque citoyen, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne. Cette démocratie doit organiser en son sein la formulation des revendications à travers des mécanismes pacifiques, excluant toute forme de violence. Cela exige que la société donne une égalité de chance aux citoyens et permette à chacun d’accéder au rêve qui correspond à ses compétences. En seconde position, il faut que les décideurs politiques travaillent pour susciter une véritable union sacrée autour de la lutte contre le terrorisme. A ce moment, il faut que le problème soit posé comme une lutte nationale qui transcende les bords politiques et les divergences. Une entente entre les élites pour lutter ensemble contre le terrorisme et l’extrémisme violent devrait forcément faire naitre une solidarité nationale qui ferait reculer le phénomène et créé la peur chez les terroristes. Dans ce sens, le gouvernement togolais doit aller plus loin que la rencontre qu’il a organisée entre les acteurs de la classe politique le 04 Août 2022 autour de la problématique de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Cette initiative a été saluée et l’ensemble de la classe politique a souhaité que la concertation et les échanges d’idées et d’informations soient poursuivis. Le terrorisme est un fléau dévastateur qui met en péril l’État et la nation. Devant ce péril collectif, qui fait de chacun une victime potentielle, aucune divergence politique ne résiste, aucune démarche individuelle ne trouve raison. C’est ensemble que les citoyens doivent se lever pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent.

Par Fulbert Sassou ATTISSO, Écrivain et Consultant en communication

Source : icilome.com