Confusion mortelle faite par les Forces Armées Togolaises entre les populations civiles et les colonnes djihadistes ; totale indignation face au drame de Margba et interrogation désormais réelle sur l’efficacité du dispositif de surveillance et de contrôle terrestres et aériens par aéronef !
1. Le Togo, notre cher pays est en deuil. Nul ne choisit véritablement la manière dont il quittera un jour cette terre ; mais trop c’est trop, peut-on s’exclamer face au drame de Margba, car quand vous tuez un peuple par la violence répressive, la confiscation de l’expression de sa volonté et de l’espace politique ; par la faim et le dénuement dans lesquels vous les maintenez, ce peuple vous comprendra-t-il, et prêt à recevoir vos excuses en pareilles circonstances ?
2. À la suite en effet du sinistre évènement ayant causé la mort de sept (07) enfants et les blessures de deux (02) autres à Margba dans la préfecture de Tône, les Forces Armées Togolaises ont dit ouvrir une enquête qui leur a permis de conclure que « c’est au cours des ces opérations [de surveillance et de contrôle terrestres et aériens de la zone indiquée] qu’un aéronef en patrouille nocturne a pris malencontreusement pour cible un groupe de personnes qu’il a confondu à une colonne de djihadistes en mouvement ».
3. Tout en présentant nos sincères condoléances aux familles endeuillées et souhaitant prompt et entier rétablissement aux blessés, il y a lieu cependant de relever notre totale indignation et condamner avec fermeté ce qu’il est convenu d’appeler une bavure militaire, une faute professionnelle d’une gravité exceptionnelle, qui arrache malheureusement, à la fleur de l’âge, de jeunes gens qui étaient des espoirs de leurs familles, de leur société, voire de la nation tout entière.
4. Car il reste à la limite inconcevable et inadmissible qu’un dispositif qui devrait servir à la protection des personnes et des biens, devienne plutôt source de terreurs et de désolations au sein des mêmes populations, déjà laminées par la faim et la répression ; ce qui soulève la question fondamentale de l’efficacité d’un tel dispositif.
5. Il nous paraît alors un peu curieux ce passage du communiqué du 15 juillet 2022 de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) qui “se félicite de la célérité avec laquelle l’enquête a été conduite et salue la transparence et le sens de responsabilité des FAT” !!!, comme si elle était étrangère au contexte togolais ; et à moins qu’elle le fasse dans un sens péjoratif, c’est le lieu de rappeler que, que d’enquêtes ouvertes par le Ministère de la sécurité et de la protection civile, n’ont jamais connu un aboutissement.
6. Si elle feint d’oublier le travail qui a été fait en amont, et comme quoi il n’y a rien sans rien, c’est pour nous autres l’occasion de féliciter plutôt le courage, la lucidité et la persistance des témoignages des parents et des proches des victimes, les réactions vives et spontanées des organisations de défense des droits de l’homme, dont l’Association des victimes de la torture au Togo (ASVITTO) qui a demandé une enquête indépendante, et la pertinence des analyses de journalistes dont l’un, le Directeur de Publication du quotidien “LIBERTÉ”, est déjà invité, dans une précipitation amateuriste comme à l’accoutumée, à une séance d’audition le 20 juillet 2022 par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), au sujet d’un article paru à cet effet dans ledit quotidien et intitulé : “Attaque djihadiste ou bavure militaire ? Des doutes sérieux sur le drame de Natigou”.
7. Ces différents témoignages persistants et concordants, ces réactions et indignations spontanées, et autres analyses pertinentes, devraient conduire le gouvernement togolais à décréter un deuil national en signe de solidarité nationale aux parents et aux proches des victimes, en lieu et place de laisser se poursuivre allègrement des festivités traditionnelles dans la région de la Kara, voisine géographique immédiate de la région de la savane où s’est produit le drame funeste.
8. Au demeurant, l’actualité de la riposte contre les groupes djihadistes, et la demande de la collaboration de la population civile soulève de nombreuses interrogations au regard du contexte togolais :
9. Comment accepter les excuses présentées par nos FAT et répondre positivement à leurs incessants appels à collaborer alors même que le même peuple est la cible de la même répression de la part des Forces Armées Togolaises lorsque ce peuple sort pour exprimer son exaspération contre la mal gouvernance politique, économique et sociale de notre pays et demander des meilleures conditions de vie et de travail pour tous, y compris les FAT ?
10. L’on se rappelle encore que la région de la savane où sévit aujourd’hui l’avancée djihadiste, est la zone à partir de laquelle, du haut de son piédestal et dans un zèle surdimensionné, le Professeur Komlan Dodzi Kokodoko, lançait le 26 mars dernier, ses pseudos missiles contre les enseignants ; la suite, tout le monde la connaît : des mères et des pères de famille ont été massivement, arbitrairement, abusivement et illégalement licenciés, exclus et révoqués de leurs fonctions, et se retrouvent du jour au lendemain, après des années de sacrifices et du don de soi, sans travail, et donc sans revenu. Aujourd’hui vous appelez ceux-là aussi à une collaboration, malgré la précarité dans laquelle vous les avez laissés ?
11. N’est-ce pas une mauvaise manière de s’en prendre à son propre peuple, et par ricochet, de cultiver et de rendre plus fertile le terreau des groupes djihadistes ?
12. La meilleure illustration de ces interrogations en est que pendant que les populations civiles font l’objet d’attaques meurtrières dans les savanes, toutes désemparées, ne sachant à quel saint se vouer, on assiste ce jour à la présence d’un impressionnant dispositif des forces de défense à Ablogamé, au lieu projeté pour le meeting, d’ailleurs annulé, de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), sans oublier des milliers d’agents des forces de l’ordre et de défense mobilisés pour la sécurité des luttes traditionnelles Évala à Kara où le président Faure Gnassingbé séjourne depuis peu.
13. Il est donc grand temps de poser clairement la question de savoir si l’institution militaire au Togo, si nos Forces Armées Togolaises sont là pour protéger les populations civiles et défendre l’intégrité territoriale contre des forces agressives extérieures, ou bien ont-elles pour seul et unique objectif la sauvegarde du pouvoir d’État incarné par le fauteuil présidentiel, envers et contre la volonté populaire clairement exprimée ? La question mérite d’être posée.
14. De toute évidence et nul ne le refute, la lutte contre l’extrémisme violent reste une affaire de nous tous car nul n’en est épargné. Mais dans le contexte du Togo, les autorités gouvernementales doivent désormais se laisser pénétrer par une fibre patriotique ; elles doivent faire preuve d’une réelle ouverture envers la classe politique de l’opposition et les populations civiles, adopter des comportements et des politiques qui créent moins de frustrations, en vue d’asseoir un processus inclusif de riposte ; car la collaboration ne se fait pas dans la méfiance, mais dans la confiance, et comme l’a répété le leader politique et religieux indien Mohandas Karamchand Gandhi, « Si vous faites quelque chose pour moi et sans moi, vous le faites mal » .
15. Dans un communiqué en date du 10 juillet 2022 produit dans cette même lancée, des organisations de la société civile togolaise avaient formulé des propositions non négligeables dans ce sens à savoir :
– L’ouverture d’un cadre national impliquant toutes les forces vives de la nation en vue de mener des discussions sur les sujets d’importance nationale comme la menace terroriste et toutes les implications y relatives, notamment le traitement accordé à toutes les victimes, y compris les militaires, les populations civiles et leurs familles.
– La création des mécanismes pour favoriser et faciliter une participation et une collaboration citoyenne plus efficiente et plus active dans la lutte pour l’éradication du phénomène djihadiste.
16. Et c’est le Togo, notre Mère Patrie qui gagnerait.
Me Raphaël Nyama Kpandé-Adzaré
Source : icilome.com