La nomination d’un chef canton allogène à Kpariyo est à l’origine d’un bras de fer entre le ministre de l’administration territoire et toute la communauté tem.
L’on a déjà vu des marches de protestation d’un regroupement politique contre un ordre donné, des employés contre leur hiérarchie, des étudiants contre une autorité académique, des marches pour revendiquer plus de liberté et des droits humains, ou celle des indigènes contre l’ordre colonial, bref notre pays a déjà expérimenté toutes les marches. Mais jamais, une marche d’une communauté pour dénoncer l’hégémonie d’une autre n’a été enregistrée. C’est ceux à quoi on assiste entre deux communautés sœurs dans la région centrale, les kabyè et les Tem.
L’instrumentalisation communautaire à des fins politiques est en marche et la machine répond bien pour ceux qui n’ont pas trouvé mieux que ça à faire. Kpariyo est une localité située à environ 12 km de la ville de Sokodé. Territoire tem, il est habité depuis des lustres par des communautés que le reste des Togolais estiment d’ailleurs l’une proche de l’autre surtout au regard des patois. Nous vous disions, il y a deux semaines, que le ministre de l’administration territoriale Boukpessi Bayadowa veut imposer à Kpariyo un chef canton allogène en violation des us et coutumes du milieu et donc des textes régissant la chefferie traditionnelle.
En 1991, Lama-Tessi est devenu canton. En 1998, un citoyen reçoit un décret de nomination qui fait de lui le chef canton de Lama-Tessi au grand mécontentement des populations tem. Feu Eyadema étant ce qu’il fut, la diplomatie a beaucoup compté. Il faut rappeler qu’à cette époque, c’est le général MEMENG qui occupait le ministère de l’intérieur. Des autorités ont donné leur parole d’honneur pour veiller à ce que, après le règne de ce chef kabyè, considéré comme un intrus dans une tradition, les tem reprennent leur chefferie. Mais une fois ce chef canton décédé en 2014, il est présentement refusé aux tem de reprendre la chefferie après l’expiration de la régence. La nomination d’un autre chef canton kabyè fait des vagues.
Monsieur Boukpessi Bayadowa, comme à son habitude dans la région centrale, entre litiges fonciers et communautaires, veut faire un passage en force. Il sait se choisir des appuis dans les cadres tem à l’image du colonel Agadazi Ouro-Koura. Ce dernier pense que, avec sa tenue militaire et ses galons, le tout auréolé de son ronflant titre de Ministre, il peut aligner tous les tem derrière son vouloir. Mais cela n’émeut pas la communauté. Elle est très sensible à la contribution des cadres qui accompagnent ce dossier et considère que, s’il en existe qui ne peuvent pas les aider qu’ils se taisent plutôt que de participer à torpiller la coutume. Les populations estiment que s’il y a des cadres qui sont déjà tombés sur la place du marché et qui veulent participer à déplacer les habitudes séculaires, ils sont aussi libres. Mais elle avertit que leurs agitations dans ce problème ne pourront compter comme une position communautaire. Comme à son habitude, le colonel-ministre, s’investit contre la volonté des us et coutume des siens. Après ses intimidations et menaces aux chefs, le 10 avril dernier était la date indiquée pour imposer le chef controversé. Il n’en faut pas plus pour mobiliser toute la communauté.
Les Tem sont déterminés à rompre avec cette façon de faire qui consiste à leur imposer un chef d’une autre communauté dans leur localité. Peut-être, il y a des cas similaires ailleurs, même en milieu tem, il en a eu par le passé, mais la population tem dit « ça suffit ». Cette nouvelle colonisation et violation des droits peuvent continuer ailleurs, mais les chefs traditionnelles de la région centrale sont unanimes et disent non à une imposition d’un chef allogène à la tête d’un canton sur leur territoire. Il faut rappeler que c’est pour apporter leur soutien aux chefs traditionnelles que les populations tem ont organisé une manifestation dans la ville de Sokodé le samedi dernier afin d’avertir les autorités en charge du dossier.
Après cette manifestation des populations tem, le ministre de l’administration territorial a invité les chefs traditionnels de ladite préfecture à son ministère. Ils y étaient le mardi 11 avril dernier. Trois heures de discutions n’ont pas suffi pour changer de position aux chefs. Le représentant des chefs traditionnels qui n’est autre que OURO-AGORO Bodjo, chef canton de Kpangalam a été sans équivoque à leur sorti de cette audience marathon. Ils ont dit au ministre qu’il n’est plus possible d’avoir un chef canton d’une autre communauté sur un territoire tem à Kpariyo ou ailleurs. Et le ministre BOUKPESSI BAYADOWA de leur dire que les kabyè sont plus nombreux à Lama-Tessi que les Tems, donc il faut un chef canton kabyè dans cette localité. A cette considération, le porte-parole des chefs, citant le gal Memene qui s’est prononcé sans équivoque dans la salle, a repris que « la mer a beau être grande, elle ne noie pas un canard ». Le ministre, fidèle à son schéma, se débat et il est allé même proposer une chefferie rotative.
Ceci a été rejeté par les chefs traditionnels tem qui estiment qu’on leur a promis qu’après la mort du dernier chef canton qui a été intronisé en 1998, ils reprendront leur droit, car c’était une erreur de parcours à corriger. Les chefs disent ne pas comprendre le pourquoi le ministre insiste à vouloir imposer son chef. Et cela a suscité la colère des hôtes du ministre qui l’on dit que cette fois-ci cela est impossible et que les populations sont en colère. Ils sont les dépositaires de la tradition, ils ne comptent pas répondre si le comportement des autorités accouche des situations difficiles. Les chefs traditionnelles ont eu à rappeler au ministre que chaque communauté a son territoire, ses limites et ses coutumes. Monsieur Boukpessi sait bien où commence le territoire tem et où il se termine. Donc les chefs exhortent chacun à respecter la loi et les coutumes pour que les différentes populations, que normalement rien n’oppose, puissent vivre ensemble en harmonie comme les fils d’une même Nation. Ils estiment que les Allogènes peuvent nommer un chef communautaire à Lama-Tessi mais pas un chef canton. Pour la rencontre du mercredi 11 Avril, il faut noter qu’aucune décision n’a été prise. Du coup, à leur entendement, ce problème de chefferie est un non-évènement, pour eux, il est déjà résolu. Les chefs disent que s’ils ont un débat sérieux à faire avec les autorités compétentes, ce n’est plus cette histoire de chefferie, mais la problématique des terres du territoire tem.
Il faut rappeler que de la partie sud du fleuve Kara à Yoma-Bouwa en passant par la plaine de Mô, les Tem sont de plus en plus acculés par une certaine occupation de leur territoire malgré les signes qui ne trompent pas. A cette rencontre, les cadres tels que le General MEMEN, Le DG FOLIBAZI, le ministre AGADAZI, le DG Moushoud y étaient. Le gal Memene a juste fait une brève participation à cette rencontre pour exprimer, sans équivoque, sa position et se retirer. Il a dit entre autre que, parmi les populations togolaises, il y a les Tem et les Kabyè qui sont fidèles à la coutume du ‘’Kawlissi’’, c’est-à-dire les revers négatifs quand l’on décide délibérément de violer une tradition donnée.
A Kara, du côté sud du fleuve, ce sont les frères kabyè qui vendent les terres jusqu’à quelques encablures de Bafilo. Nous vous disions, tout récemment dans un dossier que c’est la communauté allogène d’Awendjaleou qui a vendu les terres pour l’installation en cours de la cimenterie à quelques coudes de Bafilo. Il y a quelques années, dans un reportage, nous vous relations les problèmes fonciers et l’abus de pouvoir qui l’accompagne dans la partie sud de Kara. Alors que feu Ernest était encore vivant, à coup de bulldozer, une bonne partie des maisons du quartier Adjambissi au Sud-Est de la gare routière de Kara-Sud ont été démolies sur plusieurs hectares sous bonne escorte d’un hélico. La cause, les populations de Pya disputent les terrains à celles de Lama sur cette partie. Le conflit entre ces deux communautés kabyè est encore lattant sur ces terres au Sud de Kara. Les populations de Lama sont, toutefois, celles qui vendent présentement les terres dans cette zone. Dépassé, feux El-Hadj Soulé, à l’époque chef canton de Lama, a tout simplement déclaré que « cette terre sur laquelle Lama et Pya se disputent n’appartient ni à Lama encore moins à PYA, mais aux populations de Bafilo ». Cette vérité lui coûtera ce que tout le monde sait.
Du vivant d’Eyadema, quand il faut faire un passage en force pour imposer son autorité, il sait le faire avec manière. Toutefois, l’homme avait une barrière qu’il ne franchit pas et il n’accepte pas la voir être franchie, surtout quand il est question des sujets ayant trait à la tradition. C’est ainsi que nous avions vu des chefs tels que le chef SAMA se faire démettre de sa chefferie et mis en résidence surveillée dans son village natal à Yadè. Il lui est reproché de bousculer la tradition autochtone et de s’en prendre aux fils Ana et Tem dans la région où il est chef. Après de vains rappels à l’ordre, il sera forcé d’aller vivre chez lui et de ne pas sortir de l’aire de son village. Dans les mêmes périodes, feu Eyadema, sera aussi celui qui a remis les pendules à l’heure en appelant un chat par son nom après le malheureux accident de circulation qui a tué de valeureux togolais à Sotouboua alors qu’ils célébraient leur fête traditionnelle, le Habyè. Depuis, Eyadema a insisté à ce que chacun rentre au bercail pour faire ses traditions, depuis cet évènement suivi de l’intervention du président Eyadema, cette fête traditionnel ne se célèbre plus dans la région centrale mais en terre kabyè. C’est dire que, du haut de sa dictature, il n’acceptait pas certains abus. Mais de nos jours, on semble manquer une autorité morale forte et chacun va avec ses petits intérêts. Il y a peu, un commandant de brigade dans les milieux kamboli s’est retrouvé en détention punitive militaire parce qu’il a osé dire à un allogène qu’il n’avait pas droit à la chefferie dans cette zone.
Tout récemment, dans la plaine de Mô, nous vous avions relaté les élucubrations du Sieur Tchodiè, actuel commissaire du service matériel de l’OTR. Alors qu’il n’est pas saint dans le départ sur la pointe des pieds de Gapéri, il n’a pas fini de faire marcher la tradition sous son autorité dans sa zone. La, un chef Bassar a été sollicité par les allogènes afin de procéder à des cérémonies pour raison de raréfaction de pluies. En toute honnêteté, le chef, a fait savoir qu’il est chef par nomination politique, mais qu’il n’est pas celui qui doit faire des cérémonies dans la zone, mais plutôt la communauté tem, dépositaire des us et coutumes dans la zone de Djarikpaga-Tindjassi. Ils se sont entêtés, mais ils n’ont pas pu le faire, parce que la communauté Losso s’est opposée en défendant le droit des autochtones tem. Il y a des signes qui ne trompent pas.
Notre Rédaction n’a jamais fait des problèmes de terres un souci de premier ordre. Nous considérons que la terre a rendu certains oisifs et ils deviennent même un souci social ici et là dans le pays. A moins de s’organiser pour en faire une exploitation rationnelle, aucune communauté, que ce soit au Togo ou ailleurs, ne s’est jamais développée en se basant sur la vente de ses terres. La preuve, les propriétaires terriens, comment finissent-ils ? Même dans notre capitale où la terre a pris de la valeur, certains propriétaires vendent tout sans jamais changer socialement et ils finissent par devenir des ‘‘sans domicile fixe’’. En fin de compte, ils logent sur les aires des cimetières. C’est aussi parmi eux qu’on recense ceux qui occupent le plus souvent les voies publiques avec des abris de fortune parce qu’ils n’ont plus rien malgré. Vous verrez la plupart d’entre eux malheureux dans leur quotidien. La terre n’est pas un fonds de commerce dans sa conception traditionnelle première sur le continent noir. Les terres, quand on en fait un capital à marchander, deviennent souvent un sujet de division entre les propriétaires. Ceci accouche d’une jeunesse souvent oisive, fainéante qui attend hériter de la terre.
De ce fait, nous ne sommes pas en train de défendre le droit d’un quelconque propriétaire terrien dans la région centrale. D’ailleurs, les propriétaires terriens de cette région, jusqu’à un passé récent où les nouveaux colons ont commencé par proposer des offres d’Achat de 500 voire 1000 hectares, ne sont pas une communauté qui fait de la vente des terres une caverne d’Ali Baba.
Toutefois, une réalité est certaine, la terre a toujours eu son propriétaire depuis la nuit des temps. Personne ne revendique une propriété terrienne pour la transporter sur sa tête comme un voyageur transportait sa valise. Mais c’est une question de fierté familiale, de fibre communautaire, de conservation d’une tradition que rien ne peut ébranler. Certes, la politique est venue tout bouleverser, mais il existe une structure sociale qui reste inaltérable en milieu tem, cette communauté étant une communauté politiquement en avance dans la gestion des affaires de la Cité bien avant le colon.
Ce qui se passe en milieu tem est extrêmement dangereux, et les considérations dépassent la fibre politique. Cette population qui est sortie ce jour à Sokodé en dizaine de milliers pour dire halte aux abus est composée de toutes les familles politiques. Les arguments politiques ne tiendront plus la route. Que la race des autorités qui jouent sur la fibre ethnique dans cette affaire sachent que c’est un débat déplacé de vouloir monter les peuples les uns contre les autres. Les Tem et les kabyè ont déjà dépassé ces considérations. Ces communautés savent que tous les Togolais ont été victimes d’un régime cinquantenaire, mais des dérapages peuvent dégénérer, donc il faut éviter que ça commence. Quand on se rend dans certains milieux en territoire kabyè, on n’a rien à envier à cette communauté.
Si les tem ont des raisons de s’estimer lésés par le régime, le fait que les Kabyè aient géré le pays pendant 50 ans, n’a pas construit un eldorado en pays kabyè. Il faut vivre ces milieux pour se rendre à l’évidence que tous les Togolais portent la même croix. D’où les populations ne se battront pas, nous croyons en la valeur de nos communautés qui savent évaluer les contextes. Si certains sont fatigués de leur propre gestion de la république et des Gnassingbé, c’est leur droit. Mais nous ne croyons pas qu’ils peuvent prospérer en opposant des communautés sœurs. Un affrontement interethnique, il commence, mais il ne finit pas et personne, quelle que soit sa force, ne l’a jamais remporté. On dirait qu’il existe de plus en plus une race d’autorités qui ne croient en rien si ce n’est aux biens matériels qu’ils ont acquis. C’est un choix, néanmoins pour renforcer leurs acquis, soient-ils politiques ou matériels, qu’ils se désengagent de la fibre ethnique.
Source : Abi-Alfa, Le Rendez-Vous N° 303 du 13 avril 2017
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