Togo, une démocratie à crédit 12 avril 2018

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Togo, une démocratie à crédit                                                                             12 avril 2018
Sena Alipui

Par Sena Alipui

Le 19 février 2018, après d’interminables conciliabules et préalables, un énième round de dialogue s’ouvre à Lomé entre la majorité présidentielle et le courant dominant de l’opposition Togolaise conduite par le chef de fil de l’opposition.

Prévu pour durer dix jours, ce dialogue atteindra deux mois dans quelques jours sur fonds de reprise des manifestations de rue. Depuis bientôt huit mois, le Togo est le théâtre de manifestations de rue pour demander le retour à la constitution de 1992 et le vote de la diaspora.

À ces revendications de fonds, se greffent de nouvelles exigences comme la suspension du processus électoral, la libération de prisonniers, la non candidature du président actuel etc…

À quelques semaines du 58 ème anniversaire de l’indépendance, le Togo, sur le plan politique, reste dans une impasse qui a débuté le 13 janvier 1963 avec l’assassinat du seul président démocratiquement élu.

Le Togo est-il une démocratie authentique ou une démocratie à crédit? La situation actuelle était-elle prévisible? Aurait-on pu l’éviter et dispenser les populations de cette situation pénalisante? Comment sortir de l’impasse?

I- Le Togo, une démocratie à crédit.

En 1963, au lendemain de l’assassinat du seul et unique président démocratiquement élu, un arrangement politique est trouvé pour désigner un nouveau président. Ce dernier n’est pas élu.

Il gouverne pendant 4 ans avant d’être renversé par un autre coup d’état militaire. Le régime militaire dure 38 ans. Ce régime se caractérise par des élections aussi frauduleuses que violentes et au décès du chef de l’État un triple coup d’état (militaire, constitutionnel et électoral) permet à un nouveau président non élu démocratiquement de lui succéder en 2005.

Un nouvel arrangement politique permet au président de conserver le pouvoir avec la bénédiction de l’opposition et depuis lors, aucune élection libre, démocratique, transparente et dont les résultats sont acceptés par toutes les parties n’a eu lieu. Les processus électoraux se sont significativement améliorés depuis 2005 et la violence électorale appartient au passé.

Cependant, les élections au Togo divisent toujours la classe politique et on trouve trop souvent un arrangement politique pour corriger le braquage électoral qui vient d’avoir lieu. C’est une des raisons pour lesquelles nous disons que le Togo est une démocratie à crédit.

Les populations s’acquittent de leur devoir de citoyens en votant et parfois en y laissant leurs vies en sacrifice pour que le verdict des urnes soit respecté et la classe politique trouve une formule, un arrangement qui n’a rien à voir avec le vote, et finalement, le présumé perdant est présenté comme le vainqueur et le présumé vainqueur se contente de la seconde place.

Personne n’apporte des preuves indubitables de sa victoire et les populations restent avec un sentiment qu’elles ont été une fois de plus trichées et abusées.

Fort de ce crédit démocratique acquis auprès de l’opposition et non des populations, la majorité présidentielle gouverne le plus tranquillement possible alternant, ruse, force et fraude selon le scénario auquel elle fait face.

Les problèmes de développement sont gérés avec beaucoup d’efforts et de bonne volonté mais les résultats restent en deçà des besoins et espoirs des populations. Le pays est surendetté et selon la banque mondiale [1], le déficit public est de 80,8% en 2016.Les manifestations de rue qui durent depuis huit mois ont mis l’économie du pays à genoux. À cet égard, la dernière mission du Fonds Monétaire International [2] à Lomé conclut qu’il va falloir revoir le taux de croissance à la baisse. Les robustes réformes économiques engagées depuis 2005 sont compromises par un climat politique tendu.

Le Togo est une démocratie à crédit car des élections libres, transparentes et dont les résultats sont acceptés par toutes les parties n’ont pas encore eu lieu depuis 1963. Les gouvernements de transition et d’union nationale n’ont pas permis d’aboutir à une élection qui ne laisse pas de doute raisonnable sur la transparence du processus.

Le Togo est une démocratie à crédit parce que la constitution en vigueur, c’est à dire celle de 1992 (version originelle ou modifiée) n’est pas le résultat d’un processus qui ne laisse aucun doute sur sa légitimité. Dans sa version originelle, la constitution de 1992 a été élaborée par de gens qui n’ont pas été élus et n’ont pas eu un mandat direct du peuple à cet effet. Elle a été modifiée en 2002 par une assemblée monocolore issue d’une élection douteuse.

Dans notre conception, les populations doivent élire ceux qui vont lui rédiger une constitution, et une fois celle-ci rédigée, elle soumise au peuple par référendum pour approbation afin d’avoir une constitution du peuple, par le peuple pour le peuple. Quand les populations sont en amont et en aval du processus, nous pensons que la démocratie est plus authentique. Dans ces conditions-là, ce ne sont plus les arrangements politiques et les manifestations de rue qui expriment l’avis du peuple mais des élections organisées par des institutions légitimes.

II- La situation actuelle était-elle prévisible?

La situation actuelle était prévisible car dans tout processus concernant l’ensemble des populations, c’est à dire le peuple, quand celui-ci est exclu du processus, il n’est plus engagé dans ce qui se fait et cela se traduit par un taux de participation aux élections en constante baisse. Selon l’Institut pour la Démocratie et l’Assistance Électorale [3], le taux de participation à l’élection présidentielle (personnes éligibles) est passé de 74,82% à 53.21% entre 1998 et 2015. Une tendance similaire est observable pour les élections parlementaires avec un taux de participation de 69,89% en 1985 contre 57,72% en 2013.

Le désengagement des populations de la chose publique se traduit également par un manque d’adhésion aux politiques gouvernementales, une contestation constante du gouvernement, des grèves sauvages et intempestives, des manifestations de rue de plusieurs couches sociales (élèves, étudiants, fonctionnaires, populations, politiciens, personnel du secteur de la santé, syndicats etc…) et finalement un incivisme et irrespect total de la chose publique qui se traduit par la dégradation de l’environnement, des structures sanitaires et le pillage des ressources publiques et privées. Tous ces mouvements d’humeur sont des symptômes du manque d’adhésion des populations à ce qui leur est offert que ce soit sur le plan politique ou économique.

Le Global Happiness Council(GHC) [4] qui regroupe des psychologues, économistes, gouvernants et autres spécialistes de haut niveau, publie un rapport annuel appelé Global Happiness Report pour mesurer le niveau de satisfaction des populations dans 155 pays. Dans son édition de 2017, le Togo est classé 150 ème sur 155.

Dans un pays où la légitimité des dirigeants politiques est déficitaire, où les populations sont classées parmi les plus malheureuses du monde et où le mécontentement de plusieurs couches sociales est constant, la situation de crise que nous vivons était prévisible.

III- Aurait-on pu éviter cette situation pénalisante aux populations?

La situation actuelle aurait pu être évitée, si la lutte de libération et d’indépendance du Président Olympio n’avait pas été abandonnée voire sabotée, si le dialogue avait été sincère et permanent au niveau de la classe politique, si le peuple avait été impliqué en amont du projet constitutionnel de 1992 et si la lutte pour la démocratie ne se résumait pas à une lutte pour la présidence. Sans aller dans les détails de ce qui aurait pu être fait pour ne pas pénaliser les populations, il incombe de situer les responsabilités des uns et des autres dans la situation actuelle. Une idée largement répandue impute l’entière responsabilité de tout ce qui ne va pas au gouvernement et à la majorité présidentielle. Dans notre perspective, la responsabilité est collective dans la situation actuelle. Pourquoi?

Si au lendemain du coup de force de 1963, les populations Togolaises avaient donné la bonne réponse au coup de force qui avait emporté le Président d’alors, nous n’en serions pas là. Que ce soit par ignorance, insouciance ou complicité active ou passive, nous avons tous contribué à la situation actuelle.

Une minorité, aussi forte soit elle ne peut pas s’imposer à une majorité pendant 55 ans sans que dans les rangs de cette majorité il y ait une forme de complicité active ou passive. Autrement dit, ce ne sont pas des Chinois ou des Béninois qui viennent nous organiser des élections frauduleuses au Togo, c’est bien des Togolais qui dans la poursuite de leur intérêt personnel à court terme sacrifient l’intérêt général. Quand dans un bureau de vote, un citoyen choisit d’empocher 2000F CFA pour signer un faux procès-verbal et que cela résulte en des résultats frauduleux transmis à la commission électorale qui publie de score excédant 100% c’est la faute à qui?

C’est bel et bien l’indifférence, l’égoïsme et la haine du prochain bien enracinés dans le cœur d’une masse critique de citoyens qui ont permis la situation actuelle.

Si chaque Togolais faisait ce qu’il a à faire correctement et honnêtement, cette situation n’aurait pas de raison d’être, on aurait pu éviter la situation actuelle, pénalisante pour les populations particulièrement les acteurs économiques. C’est de la haine du prochain qu’il y a dans le cœur des uns et des autres que la majorité présidentielle profite et qu’elle exploite pour s’éterniser au pouvoir. Sinon, comment comprendre la violence dont font preuve les forces de sécurité sur les populations? Comment comprendre la violence dont font preuve les populations entre elles-mêmes et envers tout présumé coupable d’une infraction (vindicte populaire). L’intolérance, la mauvaise foi et la violence physique et verbale semblent avoir installé leur quartier général au Togo.

Comment comprendre que pour des discussions portant sur des questions d’intérêt général comme la constitution, on personnalise le débat et on ne se préoccupe que du sort d’un individu ou de la satisfaction de problèmes personnels?

Comment comprendre qu’un accord entre deux parties remette en cause des dispositions constitutionnelles comme le droit de manifester? Que le ministre de l’administration territoriale interdise une marche de la Coalition 14, c’est illégal…de bonne guerre et cela peut se comprendre, puisqu’ils ont signé un accord ensemble… Cependant, cet accord n’engage en rien le Front Citoyen Togo Debout, alors pourquoi interdire leur rassemblement? Aucun accord politique n’est au-dessus de la constitution.

Comment sortir de l’impasse?

Le Togo est le seul pays de la CEDEAO qui traine les pas sur le plan démocratique. Malgré les opportunités d’avancées majeures ratées et les progrès modestes, le Togo n’échappera pas à la démocratie.

Le Togo est appelé à évoluer et ne saurait rester en crise continuellement. La solution à la crise Togolaise se trouve dans le dialogue et l’organisation d’élections libres, transparentes et dont les résultats sont acceptés par toutes les parties. On ne peut pas parler de modifications constitutionnelles et se préoccuper du sort d’un individu. Faisons les réformes et laissons les populations librement choisir leur Président.

Dans notre perspective, tant et aussi longtemps que nous mettons pas en place une nouvelle constitution, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Le Togo de 2018 n’est pas le Togo de 1992. La majorité présidentielle seule n’est pas le peuple Togolais, l’opposition seule n’est pas le peuple Togolais.

Le peuple Togolais c’est nous tous, incluant la diaspora et le meilleur moyen de consulter le peuple dans son ensemble c’est par les urnes dans le cadre d’élections libres et transparentes.
Le dialogue doit nous permettre d’arriver à un gouvernement de transition pour cheminer vers une nouvelle république, gouvernement regroupant l’ensemble des partis représentés au parlement pour organiser (avec l’appui de la CEDEAO et des Nations-Unies) l’élection d’une assemblée constituante qui va nous rédiger une nouvelle constitution. Cette nouvelle constitution, une fois approuvée par les populations par référendum sera la constitution du peuple, par le peuple, pour le peuple.

Sur la base de cette nouvelle constitution, on organisera les élections municipales, législatives et Présidentielles entre 2018 et 2020.

La démocratie que nous appelons de tous nos vœux doit reposer sur des principes démocratiques. Le choix des candidats à une élection et du ressort des militants de ce parti. On ne peut pas arriver à un match de football et décider des joueurs que l’équipe adverse doit aligner. Comme opposant, notre rôle est de bien nous préparer pour le match, nous assurer que les règles du football seront respectées, espérer que l’arbitre soit objectif et nous assurer que les mécanismes de recours soient fonctionnels et indépendants. Cela ne peut se faire qu’en participant activement au gouvernement et aux organes en charge des élections, le tout sous la supervision des Nations-Unies et des partenaires régionaux (CEDEAO, Union Africaine).

IV- Conclusion

Le Togo est une démocratie à crédit où la légitimité est octroyée à la majorité présidentielle par l’opposition par le biais d’arrangements politiques pour corriger des élections frauduleuses ou des coups d’état. La complicité active ou passive, la haine du prochain, l’égoïsme et la poursuite du gain personnel et immédiat d’une masse critique de citoyens nous ont conduit à la situation d’impasse actuelle. Si la responsabilité de la majorité présidentielle est lourde dans la situation actuelle, il n’en demeure pas moins que nous sommes tous responsables de la situation actuelle. Seul État réfractaire à la démocratie dans l’espace CEDEAO, il est évident que le Togo n’échappera pas à la démocratie. Ce n’est qu’une question de temps.

Il nous faut donc sortir de cette démocratie à crédit basé sur des arrangements politiques pour aller à une démocratie authentique où le crédit, la légitimité est obtenue du peuple par le biais d’élections libres, transparentes et dont les résultats sont acceptés par toutes les parties.

Dans notre perspective, et étant attaché aux principes démocratiques, nous ne saurions encourager une révolution populaire ou toute forme de coup d’État ou changement de régime qui n’implique pas les populations dans leur ensemble.

Nous encourageons donc l’ensemble de la classe politique à faire preuve de dépassement pour mettre l’intérêt général en priorité.

Notre approche pour sortir de l’impasse actuelle est de partager le pouvoir d’État entre les forces qui ont déjà une forme de légitimité (partis représentés au parlement et sur la base des suffrages obtenus lors des dernières législatives de 2013) afin qu’ils organisent l’élection d’une assemblée constituante qui va nous rédiger une nouvelle constitution qui sera approuvée par référendum et sur la base de laquelle toutes les élections à venir seront organisées sans histoires de rétroactivité et avec la participation de la diaspora.

Nous devons passer d’une démocratie à crédit à une démocratie qui repose sur des principes démocratiques, sur les principes du libéralisme politique et dans laquelle les règles élaborées ensemble et acceptées par tous.

Dans un monde globalisé, le Togo ne peut pas se permettre des manifestations de rue chaque semaine, des grèves intempestives et des crises sociales.

Le dialogue doit être permanent ainsi que le débat afin d’éviter les crises. D’importants progrès ont été réalisés sur le plan politique et économique, mais nous devons faire mieux, nous devons régler les questions de fonds comme les élections libres et le changement de mentalité des populations afin d’évoluer. C’est une exigence de notre environnement régional, c’est une exigence pour notre survie. La culture démocratique s’apprend et nous n’aurons pas de démocratie fonctionnelle si nous refusons de devenir démocrates et respectueux de la constitution et des engagements que nous prenons.

Le Togo doit être économiquement compétitif et le libéralisme politique et économique sont notre voie de salut. Les réformes qui doivent nous amener à une démocratie libérale et une économie de marché sont plus qu’urgentes et le dialogue reste la voie royale pour y parvenir ensemble plutôt que divisés.

La démocratie Togolaise doit reposer sur des principes démocratiques et les urnes restent le meilleur moyen pour consulter le peuple dans son ensemble. Préparons les élections sérieusement et battons-nous pour des élections propres.

Comme en 1958, c’est par des élections libres, transparentes et dont les résultats sont acceptés par toutes les parties que nous irons vers la liberté, l’indépendance, l’Ablodé.

La lutte continue.

Références :

  1. The world Bank in Togo (2016). Overview Togo.
    http://www.worldbank.org/en/country/togo/overview
  2. Fonds Monétaire International (2018). Communiqué de Presse, 10 Avril 2018,
    http://www.imf.org/fr/News/Articles/2018/04/10/pr18123-imf-staff-team-completes-review-visit-to-togo
  3. Perspectives monde (2018). Participations aux élections présidentielles Togo (1998-2015)
    http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=TGO&codeStat=STATE.PRE.PARTIC.ELIGI.ZS&codeStat2=x
  4. World Happiness Report (2017). Tableau à la page 24.
    http://worldhappiness.report/ed/2017/

Togo-Online.co.uk