Le chantier tant attendu des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales va enfin être entrepris par les députés. C’est en tout cas ce qu’il convient de noter, à l’ouverture de la session extraordinaire vendredi dernier à l’Assemblée nationale. L’étude du projet de réformes est censée débuter le 2 avril prochain. Le train de la mise en œuvre de ce chantier sera ainsi lancé. Mais le chemin jusqu’à l’adoption est encore long.
Processus lancé à partir du 2 avril
C’était LA promesse faite par les gouvernants et les députés new brand qui s’étaient engagés à en faire la toute première préoccupation de la nouvelle législature. Le commun des Togolais s’attendait ainsi à ce que ce soit vraiment le tout premier chantier engagé. Mais à la rentrée parlementaire, les honorables nommés députés se sont consacrés à autre chose, ignorant royalement la question des réformes alors qu’elle devrait être prioritaire non seulement au regard des promesses, mais aussi et surtout des enjeux de leur matérialisation. L’apaisement du climat politique en dépend énormément. Qu’à cela ne tienne, après plusieurs semaines de congés, les « élus du peuple » ont repris vendredi le chemin de l’Assemblée nationale, à la faveur de l’ouverture de la session extraordinaire, et le chantier de la mise en œuvre des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales devra enfin être entrepris.
Mme Yawa Tsegan et les siens n’en ont pas fait une priorité. Ils ont préféré procéder à l’élection des membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et des membres de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH). Mais l’essentiel à retenir, c’est que la question des réformes sera aussi au menu de cette session. « Les réformes font partie de nos priorités et elles seront à l’agenda », a déclaré la Présidente de l’Assemblée nationale, et d’appeler ses camarades à un « sursaut patriotique » pour leur adoption. Et selon les informations, l’étude du projet de réformes est censée débuter dès le 2 avril prochain. Un processus qui devra aboutir à l’adoption de ces réformes attendues depuis l’Accord politique global (APG) du 20 août 2006. Le commun des observateurs et des Togolais ne peut que se réjouir que ce chantier préoccupe enfin le pouvoir.
Quel texte de réformes ?
Quel type de projet sera-t-il soumis à étude des députés ? La question mérite d’être posée lorsqu’on connait les antécédents sur ce chantier et l’état des lieux. En effet, il existe un projet de texte confectionné par l’expert de la CEDEAO, le Prof Alioune Badara Fall, au cours du processus électoral devant aboutir au scrutin du 20 décembre dernier. Ce texte, au regard de son contenu, avait le mérite de satisfaire un tant soit peu les attentes. L’expert s’était employé à tenir compte des aspirations légitimes du peuple togolais à l’alternance au sommet de l’Etat. L’essentiel de ces réformes concerne le mandat présidentiel, sa limitation, le mode de scrutin, les institutions électorales dont la Cour constitutionnelle. Le Prof Badara Fall avait proposé un mandat de cinq (05) ans, limité à deux (02), assorti de la clause d’impossibilité de faire plus de deux enchainés sous quelque prétexte que ce soit et de modifier cette disposition. Pour la Cour constitutionnelle, il avait suggéré une composition avec différents corps de métiers liés au droit en général, pour sa crédibilité et son impartialité. Cette proposition de l’expert avait toute la caution de la CEDEAO.
On sait que le pouvoir en place avait depuis longtemps son propre texte taillé sur mesure pour le Prince et dont la quintessence a été rendue publique en septembre 2017 au moment fort de la crise politique et des manifestations de rue. Ce texte annulait curieusement les mandats déjà effectués et ceux en cours. Et on se rappelle toutes les manœuvres du régime tout autour. Il s’était employé, après avoir tenté d’associer la Coalition de l’opposition à une violation du texte de l’expert, à le contourner au moment fort des pressions sur la mise en œuvre de ce chantier avant le scrutin. Un projet a émané du sérail, présenté comme une version améliorée de celui de l’expert de la CEDEAO. Et dans celui-ci, le verrou de la limitation n’est pas intangible. Il y a été inséré qu’il peut être modifié par un référendum.
Quel texte sera alors au finish soumis à étude des députés ? La réponse va peut-être de soi. La Coalition de l’opposition n’a plus de représentant aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour contester le pouvoir s’il soumet son texte à lui à adoption. Mais la CEDEAO qui a recruté un expert pour proposer un projet traçant la voie à l’alternance va-t-elle laisser faire ?
Du rythme de la mise en œuvre des réformes
Avec l’annonce de l’étude du projet de réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales, une question se pose néanmoins : ces réformes peuvent-elles être mises en œuvre avant la tenue des locales ? Une chose est de commencer l’étude du projet, une autre est de l’adopter à temps. Même si aujourd’hui le RPT/UNIR n’a plus aucun obstacle à l’Assemblée nationale pour se mettre en travers de sa route, tout se réduira à sa seule volonté. Et c’est ce qui lui a toujours manqué.
On le sait, la Coalition de l’opposition ou bien certains de ses partis ont conditionné leur participation aux élections locales à leur matérialisation. Mais on sait également que le pouvoir mise encore sur un boycott de ce scrutin par l’opposition. En tout cas, cela lui donnerait les coudées franches pour partager encore avec ses béquilles et accompagnateurs, les sièges des communes après ceux des députés. L’absence des réformes fait partie des raisons de la non participation de la C14 aux législatives.
Dans les rangs de l’opposition, on ne se fait plus tellement d’illusion sur la mise en œuvre de ce chantier avant les locales. « Aujourd’hui, les réformes seront difficiles à obtenir », concédé le 13 mars dernier au cours d’une intervention médiatique le Secrétaire chargé à l’information de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), Eric Dupuy, et de nuancer, tenant compte des manœuvres du pouvoir et du piège du boycott et de ses conséquences : « Aujourd’hui, nous devons veiller à ce que, si le gouvernement ne veut pas faire les réformes, il faut qu’on ait un minimum qui puisse permettre la transparence de ces consultations électorales (locales, ndlr), de manière à ce que les élus soient les émanations du peuple ». Son de cloche similaire chez Gabriel Dosseh-Anyroh, Président du parti Le Nid et partenaire de la Coalition : «Se batailler pour obtenir les réformes en ce moment, je crois que c’est un coup d’épée dans l’eau. Nous devons nous organiser plutôt pour aller et gagner la présidentielle de 2020. Une fois cette élection gagnée, nous allons nous-mêmes faire ces réformes »…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2887 du 26 mars 2019
27Avril.com