Togo, Tournée du président de la Cour suprême : Akakpovi Gamatho « légifère » au lieu de prouver son innocence dans l’affaire des 10 lots

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Les droits et devoirs des justiciables sont du domaine de la loi. Les relations entre les justiciables et les juridictions sont fixées par avance par la loi et non par des mesures d’ordre intérieures.

Togo, Tournée du président de la Cour suprême : Akakpovi Gamatho « légifère » au lieu de prouver son innocence dans l’affaire des 10 lots

Le président de la Cour suprême persiste et signe. Il a entrepris une grande tournée pour divulguer le Guide des droits et devoirs des justiciables. Comme si lui-même était le plus propre des magistrats. Or, ses propos sont en totale contradiction avec les actes qu’il a posés. Même des articles de ce Guide demandent que lui-même se soumette aux textes de loi qu’il entend divulguer. Combien de temps jouira-t-il encore des privilèges d’une fonction qu’il a souillée ?

Les justiciables qui se présentent devant les juridictions sont guidés par le Code de procédure pénale pour les cas pénaux et le Code de procédure civile pour les affaires civiles. Et ces deux instruments constituent des lois adoptées depuis par l’Assemblée nationale. Ce ne sont donc pas des directives. Aussi, à quoi servira la directive du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) chère à Gamatho si ce n’est pour enfariner les non avertis, ou faire dépenser l’Union européenne et monter les populations contre ceux qui officient dans les tribunaux sur toute l’étendue du territoire national ? Les deux Codes de procédure ont déjà tout réglé, même des litiges qui peuvent subvenir entre le juge et le justiciable. « Mais si Gamatho estime que ces codes sont insuffisants, il peut aller faire ses propositions et les déposer à l’Assemblée nationale comme le ferait tout citoyen, plutôt que de chercher à se substituer aux élus ou à monter les justiciables contre ceux que lui-même a affectés dans les tribunaux du pays », a fait observer un magistrat admis à la retraite et qui a du mal à cerner l’objectif poursuivi par un tel projet.

Les fonds de l’Union européenne ou d’autres artifices suffiront-ils pour noyer sa supposée responsabilité « intéressée » dans le litige foncier encore pendant devant la justice togolaise ? Pour avoir cautionné un jugement frauduleux rendu le 19 décembre 1997 sur la base d’un faux plan cadastral par le juge Assogbavi, le président actuel de la Cour suprême s’est fait rétribuer de 10 lots dans un jugement N°037/2009 du 9 janvier 2009 de reddition des comptes de la Chambre civile et commerciale.

Une charge contre les autres magistrats

Pour un président qui apparaissait comme le plus « clean » du corps des magistrats, l’effet de surprise est toujours de mise chez beaucoup de ses pairs juges qui étaient loin d’imaginer que celui qui ne jure que par la Bible puisse aussi être atteint par le virus de la corruption. Surtout au regard des propos tenus par l’homme lors du séminaire-atelier tenu fin mars 2018 à Lomé.

En effet, le mensuel Reflets du Palais, dans sa parution de juin 2018, est revenu sur le discours du président de la Cour suprême et dont des pans sont tous plus crédibles les uns que les autres : « est-il indépendant, le juge qui cède à la crainte de déplaire ou au désir de plaire aux autres pouvoirs, à la hiérarchie, aux médias, à la famille, à ses amis ou à l’opinion publique; Est-il indépendant, le juge qui, pour faire face aux frais de réparation de son véhicule, sollicite le financement d’un avocat ou d’une partie dont le dossier est pendant devant sa juridiction et, sachant bien que c’est lui ou elle qui aura gain de cause, vient à donner raison à l’adversaire qui, au final, a pu lui donner satisfaction contrairement au premier contacté? Peut-il prétendre à l’indépendance, le juge qui se fait signer un acte de donation d’un ou de plusieurs lots par l’une des parties dans une affaire foncière qu’il n’a pas encore tranchée? Est-il indépendant, le juge qui oblige l’une ou l’autre partie au procès foncier à vendre une partie du terrain litigieux et à lui apporter le prix de vente avant le prononcé de la décision en sa faveur? Est-il indépendant, le juge qui agrée, après le règlement d’un litige foncier, un ou des lots de terrain octroyés par la partie gagnante ? Est- indépendant, le juge qui reçoit à son domicile, l’une ou l’autre partie au procès foncier? Peut-il se sentir indépendant, le juge qui entretient des relations avec des démarcheurs qui lui introduisent des parties dont le règlement des dossiers fonciers lui est soumis ? Sommes-nous indépendants lorsque nous entretenons des relations avec des membres des réseaux identifiés et dont la tâche quotidienne et réelle est d’accaparer les terrains d’autrui? ».

Akakpovi Gamatho reconnaît lui-même que le juge est aussi soumis à la loi : « Mais l’indépendance n’exclut pas la responsabilité ou le sens du devoir. Elle ne met pas le juge au-dessus de la loi. Au contraire, tout manquement du juge aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse, à la probité morale ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ». Au vu de ces quelques propos, le juge Akakpovi Gamatho, rapporteur au moment des faits et aujourd’hui président du CSM doit passer en conseil de discipline. D’autres juges n’avaient pas été coupables de moitié de ce que lui même a posé comme acte avant d’être sanctionnés par ses soins.

Une justice décrédibilisée

Depuis l’éclatement de cette affaire, le CSM apparaît décrédibilisé. Retenez qu’un de ses objectifs prioritaires à travers les droits et devoirs des justiciables semble d’empêcher les journalistes à venir enquêter sur des sujets fonciers dans lesquels lui et certainement ses proches sont impliqués. Aussi loin qu’aient pu remonter nos recherches, aucun président de ladite n’a osé aller au-delà des prérogatives du CSM qui, au demeurant, se résument à deux rôles : la discipline au sein du corps des magistrats, et leur carrière. Il nous a été rapporté que c’est la première fois dans l’histoire de la magistrature togolaise qu’un président d’institution légifère à la place du parlement. Lui seul peut dire la prochaine étape.

Que se passerait-il si tous les corps de métiers devraient se mettre à réglementer à la place du parlement ? Les députés –dont d’ailleurs un membre siège au CSM, mais brille par son silence coupable- devraient-ils changer d’attributions ? Les Policiers et les gendarmes aussi exercent la fonction de justice. Et pourtant, leurs corps n’ont jamais pris de directive ou produit de guide pour régir les droits et devoirs des justiciables.

Si on continue de penser que le président du CSM devra passer en conseil de discipline, c’est assurément parce qu’au moment de sa forfaiture, il n’était pas encore à la tête de cette institution et qu’à ce titre, il devrait être considéré comme un magistrat lambda. Et si aujourd’hui encore, on reparle de cette affaire, c’est parce que l’homme a toujours fait croire que lui et le terme corruption ne se sont jamais donné rendez-vous dans une quelconque affaire foncière. Et parce qu’il avait pris les 10 lots en guise de retrocommission au moment où il n’était pas président de cette cour, Akakpovi Gamatho devra passer en conseil de discipline en tant que magistrat rapporteur de la Cour suprême.

Un Guide des droits des justiciables qui tacle Gamatho lui-même

Parlant des droits du justiciable, quelques points invitent le président à se mettre lui-même à la disposition de la justice : le devoir d’éviter la trop grande familiarité avec le magistrat en charge d’un dossier dans lequel on est partie ; le justiciable doit éviter d’intéresser le magistrat ou d’exercer quelque pression que ce soit sur lui ; le justiciable doit s’abstenir de propos diffamatoires ou excessifs à l’endroit du magistrat, même par voie de presse interposée. Les populations sauraient-elles des dessous du président de la Cour suprême si la presse n’avait pas joué son rôle de « chien de garde » ?

Quatre articles parmi les droits du justiciable plaident également pour une suite à la corruption présumée du président : le droit à un recours contre le comportement fautif d’un magistrat ; le droit de recours au chef hiérarchique du magistrat dont le comportement frise l’indélicatesse et la probité [Ndlr, absence] ; le droit de recours au garde des sceaux, ministre de la justice ; la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Il existe le mot jurisprudence dans le jargon juridique. C’est au nom de ce mot et par rapport à deux juges de la Cour suprême qui étaient déjà passés en conseil de discipline bien qu’ils fussent magistrats à cette cour, que Akakpovi Gamatho aussi doit subir la rigueur de la loi. Et ce ne sera que justice !

Abbé Faria

Source : Liberté No.2728 du Lundi 06 Août 2018

27Avril.com