Togo : Togocom et comptes bloqués par AFRIATECH

0
499

Togo : Togocom et comptes bloqués par AFRIATECH

Les conclusions auxquelles la justice est parvenue en mars 2016 sont assez rares pour ne pas être relayées. Si depuis jeudi 14 septembre 2017, il n’est plus possible à la Direction générale de Togotélécom d’accéder à ses comptes logés dans les banques de la place, c’est suite à une action menée par la société AFRIATECH. La raison en est que depuis l’arrêt rendu le 2 mars 2016 par la Cour d’appel, et sa signification le 16 novembre de la même année à la Direction générale, Togotélécom et ses responsables dont la ministre Cina Lawson ne semblent pas avoir pris toute la mesure de la chose. A l’heure de la transformation à pas forcés vers TOGOCOM, la « mère » de cette transformation saura-t-elle trouver les ressources pour solder cette dette à temps ? Bref aperçu des points saillants dudit arrêt.

Le dispositif de l’arrêt N°93/2016 du 2 mars 2016

« Par ces motifs, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en appel ; en la forme, reçoit l’appel de la société Togotélécom ; reçoit également l’appel incident de la société AFRIATECH SARL ;

Au fond, rejette la demande tirée de la violation de l’article 39 par le premier juge ; rejette également la demande d’expertise des terminaux litigieux, déclare l’appel incident non fondé et le rejette ; déclare partiellement fondé l’appel principal ; infirme en conséquence le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Togotélécom au paiement des frais de recouvrement ;

Statuant à nouveau, Dit et juge que la demande de l’intimée tendant à la condamnation de l’appelante au paiement des frais de recouvrement n’est pas fondée et la rejette ; confirme le jugement en toutes ses autres dispositions non contraires ; condamne Togotélécom aux dépens dont distraction au profit des Maîtres Lare Damitart Paul et Dandakou Modjona-Esso T., avocats aux offres de droit ».

Voilà les conclusions de l’arrêt N°93/16 du 2 mars 2016 auxquelles la Cour d’appel est arrivée. De façon pratique, Togotéléom est condamnée à payer le montant du reliquat dû, soit 352.240.000 FCFA, les intérêts produits par ce reliquat au taux légal à compter du 16 décembre 2008, et la somme de 100.000.000 FCFA à titre de dommages-intérêts. Lorsqu’on sait que pour calculer le taux d’intérêt, les avocats disposent d’un barème fixe compris entre 5,7 et 3,54 % selon le taux légal de la BCEAO et que ce taux varie d’un trimestre à l’autre, on peut imaginer à peu près de combien Togotélécom sera légalement délestée, la faute à un Directeur général atteint de boulimie financière, un certain Sam Bikassam de triste réputation. Comment est-on arrivé là ?

La source du litige

Le 24 décembre 2007, sous la direction de Sam Bikassam, la société Togotélécom a commandé suivant le bon N°200702296 auprès de la société AFRIATECH (dénommée la concluante) des terminaux ILLICO pour un coût de 552.240.000 FCFA. Après avoir reçu une avance de 50 millions de FCFA, AFRIATECH commande des spécimens pour analyses et certification de la conformité selon les besoins et attentes de Togotélécom. Une commande de 8154 terminaux fut lancée et livrée le 19 juin 2008. Mais moins de deux mois après, plainte de la société Togotélécom pour des motifs « légers ». Toutefois, la concluante s’était exécutée et a procédé à la mise à jour, bien que les griefs relevés par Togotélécom ne soient pas compris dans les spécifications techniques de la commande du 24 décembre 2007. Ce qui a permis le versement d’un acompte de 150 millions de FCFA à AFRIATECH. Bien que Togotélécom ait déjà écoulé près de 3000 terminaux, le reliquat de 352.240.000 FCFA était demeuré en souffrance.

Initialement, AFRIATECH prétendait avoir droit à un paiement évalué à 1.597.751.280 FCFA, le tout assorti d’intérêts au taux légal à la date du 16 décembre 2008. Ce montant était composé du reliquat, des frais de recouvrement, de la TVA sur ces frais, des intérêts du prêt bancaire, et d’un manque à gagner et trouble commercial. Mais la justice a dit le droit.

Les traits saillants de l’arrêt de la Cour d’appel

Ainsi, la Cour, dans ses remarques phares, a relevé par exemple que, contrairement aux prétentions de l’appelante (Togotélécom), la concluante a fait dresser le 14 avril 2009 par Maître Ama ATAKPLA, un constat qui atteste que les terminaux par elle livrés sont bel et bien vendus par l’appelante à des abonnés qui les utilisent à des fins d’exploitation de cabines téléphoniques, et ceci sans aucun problème; qu’elle a envoyé quelqu’un dans l’un des bureaux de vente de l’appelante à ADIDOGOME le 21 novembre 2008 où il lui a été vendu du combiné qui fonctionne parfaitement.

Plus loin, la Cour constate que c’est après la mise à jour, qui est de nature à satisfaire les volontés de l’appelante quant aux spécificités voulues, qu’elle a fait établir par exploit du 19 mars 2009, de Maître AGBOLY-ATAYI Ayi, Huissier de justice à Lomé, un constat de défectuosité des appareils qui venaient à peine d’être mis à jour à sa demande; « que curieusement, l’on relève dans ce constat d’une part que le nombre des appareils dits défectueux est de 5.443 sur un total de 8.154 livrés, et qui sont tous censés avoir été mis à jour à en croire les courriers en date des 5, 18, 22 septembre, 7 octobre et 1er décembre 2008, omis ceux qui sont physiquement défectueux et qui ont été retournés au fabriquant; que d’autre part les termes du dysfonctionnement sont une reprise pure et simple des réclamations antérieures à la lettre du 31 juillet 2008 de l’appelante qui sont censés avoir été satisfaits par la mise à jour pour laquelle le second acompte a été payé, mais aussi ce dysfonctionnement a été relevé en des termes vagues et contradictoires: « il n’est pas aisé aux clients de mettre à zéro le cumul des impulsions de tous les appels », alors même que l’appelante soutient elle-même que ce sont des produits non conformes, impropres à la consommation et donc non vendus; qui plus est, aucune preuve matérielle n’est produite (plage photographique tout au moins) pour soutenir l’exactitude des dysfonctionnements qu’aurait relevés l’huissier instrumentaire ». Conclusion de la Cour sur le paiement du reliquat du prix de la commande, il y a lieu de dire que c’est à bon droit que l’appelante a été condamné à payer le reliquat du prix de la commande litigieuse avec toutes les conséquences de droit qu’il en a souverainement déduit; que sur ce point le jugement incriminé est légalement justifié et doit être confirmé.

Sur le paiement des frais de recouvrement, les dommages-intérêts et l’appel incident, le juge dit, entre autres, quant au grief relatif au dommages-intérêts, qu’il est établi au vu des pièces du dossier, que la résistance de l’appelante à servir à l’intimée le reliquat du prix de la commande est une résistance abusive et non justifiée au vu des développements précédents ; que de plus, cette réticence a été source pour cette dernière de sérieux préjudices économiques et financiers dans ses relations avec ses autres partenaires; que c’est donc à bon droit que le premier juge a condamné l’appelante à servir à l’intimée des dommages- intérêts; que sur ce point, le jugement est légalement justifié.

S’agissant de l’appel incident de l’intimée sollicitant la revalorisation du montant des dommages-intérêts et le paiement par l’appelante du montant des intérêts des prêts bancaires, la Cour a estimé que le montant de 100.000.000 FCFA de dommages-intérêts fixé par le premier juge est une juste appréciation de tous les préjudices confondus dont a souffert l’intimée au vu des montants en jeu et de la relation des faits en cause; qu’il y a lieu de dire n’y avoir lieu à revalorisation dudit montant.

A propos des intérêts du prêt bancaire, la Cour pense que la condamnation de l’appelante au paiement de dommages-intérêts répare d’ores et déjà la demande de paiement des intérêts de prêt bancaire, prêt auquel l’appelante n’est même pas partie et dont les effets ne sauraient lui être opposables, sinon les conséquences de ses propres manquements; par conséquent, ce moyen de l’appel incident n’est pas aussi fondé et doit être rejeté.

Que va faire Togotélécom ?

Nous apprenons que la plupart des sociétés créancières de Togotélécom sont sur le point d’être soldées. AFRIATECH qui a obtenu une décision de justice sera-t-elle aussi soldée à moins de 100 jours de la naissance au forceps de TOGOCOM ? Où bien Cina Lawson usera-t-elle de sa « position » pour narguer le créancier et la justice, le Togo étant ce qu’on connaît ?

Nous l’avions déjà relevé qu’outre cette dette, Togotélécom doit quelques milliards de FCFA à ses employés qui ont demandé la liquidation de leur épargne salariale. Sans faire référence aux comptes de la CNSS qui ne seraient pas aussi clairs. Mais Togotélécom aurait pu éviter une fin aussi triste et honteuse pour une société ayant toujours le monopole dans la téléphonie fixe, si le népotisme n’avait pas guidé le choix du Directeur général en la personne de Sam Bikassam, l’homme n’étant pas un parangon de vertu. Pour s’en convaincre, il suffit de se demander les raisons du retrait de signature à lui infligé à une période de sa gestion, et de fouiner dans les comptes de cette société en 2007. La gestion n’était pas loin de causer un infarctus aux non avertis et c’était Togo Cellulaire qui était souvent sollicitée pour jouer au sapeur-pompier.

Si les comptes des sociétés pouvaient être audités un trimestre après un exercice, on aurait pu prévenir les ardoises laissées par Sam Bikassam. Aujourd’hui, il n’est plus aux affaires, mais ses dégâts continuent d’impacter la société. A quand alors « the right man at the right place » (l’homme qu’il faut à la place qu’il faut) ? En attendant, la société créancière attend d’être soldée pour que les comptes soient débloqués. Affaire à suivre.

Abbé Faria  

Source :  Liberté No.2523 du 25 septembre 2017

27Avril.com