En marge de l’organisation de l’Africa Financial Industry Summit (AFIS) tenue les 28 et 29 novembre 2022 à Lomé, le ministre de l’Economie et des Finances du Togo Sani Yaya a accordé un entretien à Jeune Afrique dans lequel il a avancé des chiffres mirobolants qui sont véritablement sujet à caution.
Ce qui a le plus focalisé notre attention dans son intervention, c’est cette affirmation selon laquelle « les instances internationales devraient tenir compte des réalités de l’Afrique et laisser le temps à son secteur finacier de s’adapter.»
Cette position du ministre Sani Yaya qui est à juste titre, l’inspirateur et le gestionnaire en chef de l’économie nationale et du budget de l’Etat nous laisse pantois et apporte la preuve par l’absurde de la gouvernance par tâtons que font montre les dirigeants de notre pays.
En effet, le fait que le ministre sollicite la magnanimité des instances internationales afin qu’elles puissent tenir compte des réalités de l’Afrique, suppose que nos gouvernants n’ont aucune maîtrise de la conception et la conduite des politiques publiques de nos pays.
Dans son interview, le ministre fait ressortir des chiffres qui ont tendance à montrer que l’économie togolaise va mieux avec un taux de croissance au-dessus de la moyenne alors que le rapport de la BCEAO pour le compte de l’année 2021 dit le contraire en matière des exportations réalisées par l’ensemble des pays de l’UEMOA. De ce rapport, il ressort que la Côte d’Ivoire vient en première position avec 40,6%, suivie du Burkina Faso avec 15,6%, le Sénégal avec 13,9%, le Mali avec 13,6 et dans le peloton de la queue se trouve le Bénin et le Togo avec respectivement 9,3% et 3,7% devant le Niger avec 3,3% et la Guinée-Bissau pour 0,6% des exportations de l’ensemble des pays de la communauté.
En effet, pour le ministre, le taux de croissance du Togo est passé de 2% en 2020 à 6% en 2021 et à 5,8% en 2022, avec une prévision de 6% en 2023. Le dernier rapport de la BAD confirme les chiffres pour l’année 2022 et insiste sur le niveau très élevé de l’inflation à 4,2% alors que la prévision était de 2,5%, surtout qu’il s’agit d’une inflation importée. C’est là que se trouve tout le sens de l’exercice du ministre Sani Yaya et qu’il a manqué de relever. Dans le même rapport, la BAD a aussi relevé que la part de l’agriculture dans le PIB du Togo est dans une tendance baissière et est passée de 37,3% en 2008 à 24,7% en 2021 soit 12% de moins. Et portant l’agriculture avec plus de 40% de la population active ne dispose que d’à peine 1% d’exploitation mécanisée et largement tributaire des aléas climatiques. Ainsi affirmer que « les instances internationales devraient tenir compte des réalités de l’Afrique » dans leurs décisions, n’est ce pas faire preuve d’une négligence intellectuelle ? L’on se souvient encore que lors des négociations de l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endetté ), le Togo s’était engagé à créer deux usines de fabrication d’engrais. De même dans ses rapports de coopération avec l’Egypte, un accord pour la production d’engrais a été signé et de cet accord un agropole est prévu à Abatchang dans la Préfecture de Tchaoudjo, dont la première pierre a été posée par le Chef de l’Etat en présence de l’Ambassadeur de la République d’Égypte au Togo en 2019. Comme le disait le Pr Togoata APEDO -AMAH, « il est temps que la jeunesse se lève pour refuser que les bénéfices de la croissance soit volés par une élite cleptomane.»
Il faut noter que dans son intervention, le ministre Sani Yaya semble se dédouaner et à travers lui, les dirigeants africains. Pour lui, il faut « laisser le secteur financier africain le temps de s’adapter ».Qui s’excuse s’accuse, dit-on. Cette assertion du ministre non seulement est un aveu d’incapacité, mais nous renvoie à la réflexion de Samuel Mathey «et si on repensait l’Afrique ». Pour l’auteur de cette affirmation, la principale plaie de l’Afrique c’est de ne plus croire en elle-même. A travers cette sollicitation exprimée par le ministre, on peut en déduire qu’il veut nous faire croire que l’Afrique n’est capable de rien et qu’elle vit toujours dans un mimétisme constant, toujours tournée vers l’extérieur pour trouver la solution à ses problèmes, un manque de confiance en soit, surtout que c’est le Président de la Commission des ministres des finances de l’UEMOA qui le dit. Thomas Sankara avait raison en demandant de « réinventer le future de L’Afrique ».
En ce qui concerne la lutte contre la pauvreté qui reste la priorité du gouvernement, le ministre Sani affirme que, dans le budget de 2023 les secteurs sociaux voient leur part augmenter de 4% à 5% avec beaucoup de projets pour mieux cibler les aides que le gouvernement apporte aux populations. Cette pratique qui est devenue récurrente au Togo doit être dénoncée car elle ne met pas fin à la pauvreté de cette population qui, en réalité a été plutôt appauvrie par plusieurs années de pratiques d’une classe fermée de la minorité qui a mis en coupes réglées, les pans entiers de l’économie et qui « accapare toutes les richesses » de notre pays . Tout pour eux et les miettes pour le reste de la majorité de la population. Cette pratique de l’aide de l’Etat qui n’a jamais pu « aider à assainir l’aide» a toujours été l’occasion pour quelques privilégiés, pontes du pouvoir qui n’hésitent pas à sillonner le Togo profond à grand renfort de propagande politique pour faire des dons en jetant des miettes au nom du Chef de l’Etat. Comme l’a su bien dire François Xavier Verchave, dans son livre « Negrologie, pourquoi l’Afrique se meurt ? », il se passe comme si les richesses qui devraient aider à développer notre continent, constituent une malédiction pour nous. Tout compte fait, le ministre lui-même sait très bien que, ces aides dont il se gargarise ne créent pas de la richesse mais sont plutôt destinées à gérer la mise, ce qui n’est pas le rôle d’un gouvernement responsable. Sauf si c’est une méthode pour garantir la longévité au pouvoir. Pour nous, la meilleure manière de créer la richesse, c’est de mettre en place un fond de soutien à l’innovation et à la création d’industrie dans le secteur très porteur de l’agriculture avec des conditions pour une économie qui profite à tout le monde.
L’autre question qui a le plus embarrassé le ministre Yaya est la question posée sur la dette publique du Togo. A ce niveau, il a affirmé d’une manière laconique que, la dette publique du pays «reste soutenable et représente 61 % du PIB » pour un plafond de 70 %. Ce que le ministre a oublié de dire, c’est que le ratio service de la dette publique reporté aux recettes internes est de plus de 45% alors que la norme est de 15%. Ce qui fait qu’à ce jour, la politique d’endettement pratiquée par les gouvernements successifs depuis l’avènement de Faure Gnassingbe au pouvoir n’a pas permis de créer des économies supplémentaires. A ce sujet, comme le disait Confucius, lorsque l’objectif ne paraît pas atteignable, on ne change pas l’objectif, mais la méthode. C’est pourquoi il est salutaire pour nous, comme l’a si bien dit le ministre, la solution c’est de se soustraire et de se démarquer du « bon vouloir des banques internationales ». Sauf que pour nous, et il faut rester ferme là-dessus, toutes propositions à l’échelle continental qui s’éloignent de celles préconisées par le NEPAD n’est que de la danse de la valse, pour ne pas dire perte de temps.
Les choix des politiques publiques qui ne tiennent pas compte de la problématique de la qualité de la gestion administrative, de la bonne gouvernance, de la construction des infrastructures transnationales de transport et de l’accumulation du capital fixe supranational permettant à priori de réduire les coûts des facteurs de production et leur mobilité, resteront des choix hasardeux.
Pour le cas du Togo, comment peut-on expliquer qu’un pays dont la population est majoritairement agricole puisse importer en 2021, selon le rapport de la BCEAO cité plus haut, plus de 23,4 milliards de FCFA de riz, 43,8 milliards de FCFA pour le compte de l’huile , 200 milliards de FCFA d’animaux vivants, 7,4 milliards de FCFA de viande, 23,6 milliards de FCFA de poissons alors que le Togo regorge de terres très fertiles et une hydrographie favorable à toutes sortes d’initiative. C’est la preuve de l’absence d’industrie agroalimentaire dans le pays qui ne peut se vanter d’une expérience avérée d’une ferme agricole compétitive.
T out ce qui précède justifie un manque de vision politique pour asseoir une vraie politique de l’autosuffisance alimentaire, sur fond d’une véritable réforme, pour une production à cycle court et un modèle de production financé avec un accompagnement fiscal incitatif. C’est ce que le peuple attend de nos gouvernants Monsieur le ministre de l’Economie et des Finances, Président de la commission des ministres des finances de l’UEMOA.
Kokou Agbemebio
Source: Le Correcteur / lecorrecteur.info
Source : 27Avril.com