Togo : Révision constitutionnelle proposée par le pouvoir, Du pur mépris pour le peuple !

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Ce vendredi, devrait commencer à l’Assemblée nationale l’étude du projet de loi introduit par le gouvernement portant révision des articles 52, 59 et 60 de la Constitution du 14 octobre 1992 et qui aboutira à son adoption. Si l’initiative est à saluer, le contenu de l’article 59 consacré à la durée et à la limitation du mandat présidentiel a de quoi désoler. Le gouvernement a volontairement omis le point fondamental, la nuance selon laquelle nul ne saurait faire plus de deux mandats. Les desseins sont simples : arranger les affaires de Faure Gnassingbé.

Togo : Révision constitutionnelle proposée par le pouvoir, Du pur mépris pour le peuple !

La nuance essentielle omise

Ce sont au total trois (03) articles qui sont concernés par le projet de modification introduit par le gouvernement à l’Assemblée nationale. D’abord le 52 consacré à la durée et à la limitation des mandats des députés et des sénateurs (le Togo n’en dispose pas encore). A ce niveau, il est spécifié que leur mandat est de cinq (05) ans ; mais la nouveauté introduite, c’est que ce mandat est « renouvelable une seule fois ». Ensuite l’article 59 relatif à la durée du mandat du Président de la République et à sa limitation. La nouvelle mouture stipule : « Le Président de la République est élu au suffrage  universel direct et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une  seule fois. Le Président de la République reste en fonction jusqu’à la prise de fonction  effective de son successeur élu ». Enfin, le 60 est consacré au mode de scrutin. Le nouveau est ainsi libellé : « L’élection du Président de la République a lieu au  scrutin uninominal majoritaire à deux (02) tours ». Le hic se trouve à l’article 59.

Le constat a sans doute échappé aux yeux du commun des Togolais, et c’est sur l’article 59. Si on peut se réjouir que le pouvoir ait enfin accepté limiter le mandat présidentiel, et aussi opté pour le traditionnel quinquennat, contre les desseins obscurs de septennat nourris entre-temps par le Prince et qu’il voulait imposer, en plus d’une remise des compteurs à zéro en 2020, il y a quand même une nuance fondamentale de cet article dans la Constitution originelle du 14 octobre 1992 qui est absente, mieux, a été étêtée : « En aucun cas, nul ne peut faire plus de deux mandats ». Cet alinéa essentiel donc omis par le gouvernement dans son projet de loi de révision adopté et envoyé à l’Assemblée nationale. Et pourtant, c’est un garde-fou essentiel introduit dans la Constitution originelle de 92 adoptée par le peuple par référendum à 97,4 % des suffrages, dans le souci d’empêcher quiconque viendrait à le vouloir, de continuer au pouvoir. L’intention du gouvernement est claire : permettre à Faure Gnassingbé de jouer la prolongation en 2020, du moins ne pas l’empêcher de candidater de nouveau à la magistrature suprême.

Du mépris pour le peuple togolais

Retour à la Constitution originelle du 14 octobre 1992, voilà la réclamation fondamentale du peuple togolais depuis un moment. Et c’est pour rester fidèle à cette exigence et la défendre que les partis et acteurs de l’opposition qui se bouffaient sur tout et rien, ont fait la paix des braves et se sont coalisés autour de ces revendications. La société civile n’est pas en reste. Elle partage ces vœux et aspirations du peuple, et c’est ce qu’une délégation de ses membres est allée dire ce mercredi au Président de la Commission de la CEDEAO, Marcel de Souza, qui est au Togo depuis quelques jours pour tenter d’éteindre le feu. L’alternance au pouvoir, c’est ce que veulent les populations à travers cette exigence et qui les pousse dans la rue depuis bientôt un mois.

Le RPT n’avait déjà pas demandé l’avis du peuple en décembre 2002 avant de sodomiser sa Constitution, et le bon sens voudrait que le régime saisisse l’occasion pour solder le passif moral et lui restituer SA Constitution, intacte. Le présent projet de révision à l’étude à l’Assemblée nationale est une aubaine pour Faure Gnassingbé personnellement, qui se prétend adoubé par le peuple depuis 2005,  de le lui rendre et sortir de l’histoire par la grande porte. Mais bien qu’ayant concédé la limitation du mandat présidentiel et le scrutin à deux tours, il a tout fait pour omettre la nuance essentielle qui restituerait à la Constitution de 1992 toute sa quintessence : « En aucun cas, nul ne peut faire plus de deux mandats ». Un mépris total pour le peuple. Preuve de plus de ce mépris, c’est la même mouture de projet que le gouvernement avait introduite et que les propres députés du pouvoir avaient rejetée le 30 juin 2014, contre toute attente. Hier, alors que l’urgence voudrait que l’on planche prioritairement sur le projet de loi introduit parle gouvernement, le président de l’Assemblée nationale, Dama Dramani a refusé d’ouvrir les débats sur cette question brûlante. Ce qui a décidé les députés de l’opposition, ceux de l’Union des forces de changement (UFC) y compris, à vider la salle où se tenait la session plénière. Visiblement, Faure Gnassingbé et le pouvoir RPT/UNIR n’ont que faire des aspirations du peuple togolais.

A des années-lumière de l’apaisement

Dans l’exposé des motifs à l’appui du projet de révision introduit, le gouvernement, à travers le Premier ministre, a présenté Faure Gnassingbé comme un réformateur hors pair, un as du dialogue, un homme de paix…autant de vertus qui l’auraient décidé à engager cette initiative de révision constitutionnelle. On y parle d’une certaine volonté de « maintenir le dialogue démocratique, seule et unique voie de  développement économique et social du pays », « prôner la politique  de la main tendue » et « préserver la paix sociale ». Malheureusement, les actes posés ne s’inscrivent vraiment pas dans cette dynamique. Faure Gnassingbé n’est pas dans une logique d’apaisement.

L’autre illustration, c’est son mutisme retentissant devant les violences meurtrières et la montée dangereuse de la tension depuis le 19 août dernier. En effet, sa soldatesque a réprimé dans le sang la manifestation organisée par le Parti national panafricain (PNP) pour exiger le retour à la Constitution de 1992, le droit de vote pour la diaspora et les réformes électorales, et surtout tué deux (02) compatriotes dont le crime est d’avoir participé à ces manifestations. Mais Faure Gnassingbé, qui est très prompt à écrire aux dirigeants du monde, compatir aux malheurs qui frappent leurs peuples et jouer l’affligé, n’a pas daigné adresser un mot aux familles des victimes. Pas de discours officiel, ni communiqué de la présidence de la République, ni tweet, contrairement à ses habitudes. Il était censé faire un discours d’apaisement au plus tard le dimanche 3 septembre dernier ; mais on attend depuis lors. Dans la nuit du 7 septembre, au second jour des manifestations de la coalition de l’opposition, sa soldatesque a violé les domiciles privés à Bè, frappé des citoyens sans ménagement…La tension monte dangereusement, mais le chef  reste muet, laissant pourrir la situation. Ce sont ses conseillers qu’il a envoyés se produire mercredi dernier. On est tenté au finish de se demander s’il y a vraiment un président au Togo…

Tino Kossi

Source : Liberté No.2516 du 14 septembre 2017

PROJET DE LOI PORTANT MODIFICATION DES DISPOSITIONS DES ARTICLES 52, 59 et 60 DE LA CONSTITUTION DU 14 OCTOBRE 1992

Adopté par le Gouvernement

Article premier: Les dispositions des articles 52, 59 et 60 de la Constitution  du 14 octobre sont modifiées comme suit:

Article 52 nouveau: Les députés sont élus au suffrage universel direct et  secret pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable une seule fois.  Chaque député est le représentant de la Nation tout entière. Tout mandat  impératif est nul.

Les élections ont lieu dans les trente (30) jours précédant l’expiration du  mandat des députés. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le  deuxième mardi qui suit la date de proclamation officielle des résultats.

Tout membre des forces armées ou de sécurité publique, qui désire être  candidat aux fonctions de député, doit, au préalable, donner sa démission des  forces armées ou de sécurité publique.

Dans ce cas, l’intéressé pourra prétendre au bénéfice des droits acquis  conformément aux statuts de son corps.

Une loi organique fixe le nombre des députés, leurs indemnités, les conditions  d’éligibilité, le régime des incompatibilités et les conditions dans lesquelles il  est pourvu aux sièges vacants.

Une loi organique détermine le statut des anciens députés.

Le Sénat est composé de deux tiers (2/3) de personnalités élues par les  représentants des collectivités territoriales et d’un tiers (1/3) de personnalités  désignées par le Président de la République.

La durée du mandat des sénateurs est de cinq (05) ans renouvelable une  seule fois.

Une loi organique fixe le nombre des sénateurs, leurs indemnités, les  conditions d’éligibilité, le régime des incompatibilités et les conditions dans  lesquelles il est pourvu aux sièges vacants.

Une loi organique détermine le statut des anciens sénateurs.

Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat sortants, par fin de mandat ou dissolution, restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs  successeurs.

Article 59 nouveau: Le Président de la République est élu au suffrage  universel direct et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une  seule fois.

Le Président de la République reste en fonction jusqu’à la prise de fonction  effective de son successeur élu.

Article 60 nouveau: L’élection du Président de la République a lieu au  scrutin uninominal majoritaire à deux (02) tours.

Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages  exprimés.

Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé, le l5ème  jour après la proclamation des résultats définitifs du premier tour, à un second  tour.

Seuls peuvent se présenter au second tour, les deux candidats ayant recueilli le  plus grand nombre de voix au premier tour.

En cas de désistement ou de décès de l’un ou l’autre des deux candidats, entre  les deux tours, les suivants se présentent dans l’ordre de leur classement.

Au second tour, est déclaré élu, le candidat qui a recueilli le plus grand nombre  de voix.

Article 2 : La présente loi sera exécutée comme loi fondamentale de l’Etat.

Fait à Lomé, le 05 septembre 2017

Komi Selom Klassou


EXPOSE DES MOTIFS DU PROJET DE LOI PORTANT MODIFICATION DES DISPOSITIONS D’ES ARTICLES 52,59 et 60 DE LA CONSTITUTION

DU 14 OCTOBRE 1992

Délibéré en Conseil des ministres

Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,

La volonté du Président de la République a toujours été de prôner la politique  de la main tendue en vue de permettre la recherche du compromis par le  dialogue et le respect des institutions.

Dans cet esprit, plusieurs réformes ont été adoptées pour assurer la  consolidation de l’Etat de droit.

Il doit être rappelé que le Président de la République a été à l’origine en 2006  du cadre de discussion politique ayant abouti à l’Accord Politique Global (« APG »).

Cette initiative avait non seulement permis d’apaiser le climat socio-politique  du pays, mais aussi de renouer avec la communauté internationale et de  relancer le dialogue national.

Le gouvernement d’union nationale alors mis en place et l’organisation du  scrutin législatif d’octobre 2007 ont créé une dynamique ayant permis:

– La mise en place du Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation  (« CPDC »);

– Le renforcement et l’amélioration du cadre électoral;

– L’amélioration du cadre sécuritaire ;

– La création de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (« CJVR »).

La mise en œuvre des réformes institutionnelles et constitutionnelles prévues  au point 3.2 de  l’APG n’a pu aboutir malgré la volonté constante des  gouvernements successifs de mettre en œuvre ces réformes dans le cadre du  CPDC, car ces initiatives ont buté sur les objections et autres exigences de  certains partis politiques de l’opposition.

Malgré cela, le Président de la République et le gouvernement ont persévéré  dans leurs intentions de promouvoir le dialogue et la concertation.

En dernier lieu et en application de la recommandation n°8 des travaux de la  CVJR, qui avait proposé « l’organisation d’une large réflexion sur la question des réformes, associant personnalités politiques, – juristes, sociologues,  historiens, organisations de la société civile …», le Président de la République a  mis en place en janvier 2017 la Commission de réflexion sur les réformes  institutionnelles et constitutionnelles (« la Commission»).

Après concertation avec différentes autorités civiles et militaires et entités  économiques, sociales et religieuses, la Commission a entrepris une large  consultation nationale à travers le pays afin de permettre à tous les fils et filles de notre patrie de prendre part au débat sur les réformes politiques.

Afin de préserver la paix sociale, le Président de la République, garant de l’unité  et de la stabilité nationales, après consultation des Présidents des institutions de la République, et après avoir félicité la Commission, a fait interrompre la tournée entamée un mois auparavant.

Les troubles constatées le 19 août dernier ont en effet gravement porté  atteinte à la paix publique, de même que certains mots d’ordre lors de ces  évènements ont de façon délibérée appelé à porter atteinte à l’ordre  républicain.

Toutes ces violations, contraires à l’Etat de droit, doivent être sévèrement  condamnées.

Afin de maintenir le dialogue démocratique, seule et unique voie de  développement économique et social du pays, le Président de la République a  jugé opportun de saisir l’Assemblée nationale d’un projet de loi de révision  constitutionnelle destinée à traduire à nouveau la volonté constante du  Président de la République et du gouvernement d’appliquer l’APG et d’assurer  le peuple togolais de leur intention inébranlable de poursuivre les réformes.

Ce projet de révision constitutionnelle porte essentiellement sur la limitation  des mandats du Président de la République, des députés et des sénateurs et  sur le mode de scrutin à l’élection présidentielle.

Il est vivement souhaité que chaque parti politique contribue pacifiquement à  l’adoption de cette réforme constitutionnelle.

La recherche de l’intérêt supérieur de la Nation par la poursuite du  développement harmonieux de notre pays dans la paix et le respect des  institutions de la République doivent être les seuls guides de notre action  politique.

Tels sont, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, l’esprit et la lettre  du projet de loi que j’ai l’honneur de soumettre à la délibération de  l’Assemblée nationale.

Fait à Lomé, le 8 septembre 2017

Komi Sélom Klassou

27Avril.com