« Qui aime bien châtie bien », lance un adage. Le 17 novembre dernier, à l’actif de la coalition des 14 partis de l’opposition togolaise, la rue a repris ses droits comme instrument légal de lutte politique. La coalition ayant, il y a quelques mensualités, fait confiance à une certaine démarche politique de la CEDEAO avait arrêté les manifestations publiques. Devant cette amère expérience, certains pouvaient se dire que l’opposition n’aurait pas dû. Mais les bonnes manières ne verraient pas d’un bon œil un protagoniste qui refuserait de déposer son arme face à la pression de l’intercesseur qui appelle à un dialogue. Mieux, le contexte étant celui d’un système politique qui survie de la ruse, il fallait pouvoir justifier les choix politiques à l’heure du bilan. Le bilan, il est là. Le nouveau climat d’incertitude politique vers lequel avancent les Togolais ne sera que la résultante d’une mauvaise foi politique de la dictature togolaise. Comme le pointait le président national du PNP, PARTI National Panafricain, « la convocation du corps électoral pour les élections législatives fixées au 20 décembre 2018 confirment à suffisance que nous avons en face une dictature qui, en rusant avec le droit, se veut éternelle ». Face à ce constat, l’unanimité est faite sur la nécessité pour la coalition de reprendre son unique arme, les manifestations populaires, qu’elle avait mis en bandoulière par respect à la CEDEAO, même si la dictature se sent moralement à l’aise en restant campée sur ses nombreuses armes: armes à feu, corruption, mensonge et intimidation, pour se limiter ici. C’est avec satisfaction que tout observateur averti arrive à l’heureuse conclusion que les Togolais sont désormais debout à armes égales devant une lutte de libération. Le temps où les uns considéraient les autres citoyens comme des accompagnateurs dans la lutte est drastiquement révolu.
Pour résoudre une crise qui n’a que trop duré, les compatriotes en lutte au Togo ont ensemble fait confiance en une initiative politique qui vient de montrer ses limites. Ensemble, ils sont d’accord qu’il faille remettre la pression, ensemble encore ils sont d’accord pour être d’accord sur un adversaire unique à combattre. Mais avec quels moyens ? Tout comme l’a fait la lutte pour les indépendances, la lutte de libération du Togolais du joug de la dictature écrira son histoire. Pour des évènements à graver, il faut bien que le parcours soit riche en rebondissements afin d’être alléchant à reporter demain. Du coup, la collaboration, parfois en dents de scie, entre les leaders politiques togolais unis par un adversaire commun, ne devait pas surprendre.
Primo : Volte-face du PNP face à la Marche de la Coalition le samedi dernier
D’abord, il faut le dire sans langue de bois. Pour un parti qui a frappé une dictature dans sa partie la plus sensible au point que son leader soit contraint à la clandestinité, nous ne voudrions pas savoir de qui vient ce faux pas. Mais, dans la tenue de la réunion hebdomadaire du PNP à son siège national le même Samedi 17 novembre 2018 où la coalition tenait sa marche, il faut comprendre que c’est de tout droit que les uns y voient une erreur politique même si les sources proches du parti se justifient par un respect de principes et de logique stratégique. Nous pensons qu’il ne faut plus répéter de tels schémas. C’est notre constat de journaliste. Ensuite, nous ne forçons personne à être de notre avis même si de l’autre côté, nous détenons dans un passé récent des preuves de démarches contraires d’un leader de la coalition qui a cru saisir des préfets à Tsévié et à Aného pour que les marches décidées par la même coalition n’aient pas lieux.
Secundo: Un Défi en Attente
Peu avant cette marche qui, présentement, est en train de déplacer le débat, le leader du PNP, Tikpi Salifou Atchadam, du haut de sa vision politique prononçait un discours de recadrage. « Aucun atout ne remplace la stratégie » résumait-il dans sa chute. Plus qu’une simple stratégie de lutte, l’orateur lançait un défi aux Togolais, son peuple. Ce peuple est porté par des leaders regroupés dans ce qui est appelé la C14. Mais avant d’y arriver, son intervention se faisait le devoir de repositionner les balises et arrondir les angles d’une lutte dont il faut tenir compte du contexte à chaque étape. Présentement, disions-nous tantôt, les leaders togolais de la lutte de libération sont d’accord sur une cible à abattre avec des moyens autorisés, c’est l’essentiel. Le reste n’est que bisbilles à recadrer. Le débat s’entretient autour d’une feuille de route. Pour en parler, il part d’un constat, « Tout le monde constate aujourd’hui, sans surprise pour ceux qui connaissent le régime en place au Togo, que le pouvoir s’oppose ouvertement à la mise en œuvre de la feuille de route de la CEDEAO, cette feuille de route là-même acceptée et respectée par l’opposition ». A sa naissance le 31 juillet 2018, tout en portant les gangs, le PNP serra une des rares formations politiques à l’avoir accueilli: « la feuille de route constitue une victoire d’étape, la lutte continue, tout dépendra du comportement du pouvoir au cours de la mise en œuvre de la feuille de route. Le peuple sentinelle est le grand comité de suivi et le grand évaluateur de la mise en œuvre de la feuille de route ». C’est en ces termes que le 18 août 2018 à minuit, en guise de discours anniversaire, le parti du cheval se prononce sur le document de la CEDEAO en posant les bases d’une nouvelle expérience à faire avec les bourgeons d’une naissante feuille qui a désormais fait ses preuves. Il suffit de rouvrir les pages de cette époque pour évaluer les déclarations des uns et des autres après la rencontre des chefs d’Etat à Lomé. Prendre le contre-pied d’un tel document à l’époque aurait pu être un lapin posé à la coalition et c’est le régime qui s’en réjouirait de voir ses adversaires se tromper ainsi de combat.
C14-CEDEAO, à chacun son défi
Désormais, le constat est fait, par rapport à la mise en œuvre des recommandations de la CEDEAO, la « posture du pouvoir constitue, à n’en point douter, un affront à la CEDEAO et une provocation vis-à-vis du peuple togolais. La CEDEAO doit prendre ses responsabilités en tant qu’organisation soucieuse de stabilité, de démocratie et de prospérité pour l’ensemble de la région ouest-africaine ». Déjà à l’époque, pour avoir pratiqué le régime en place à travers des crises à rebondissement, la CEDEAO, estimait le président du PNP, aurait pu par expérience « … aux sortir du sommet…,…au nom de l’apaisement et conformément au protocole de la CEDEAO sur la bonne gouvernance, mais surtout vu la longévité de ce régime imposé aux Togolais par la force des armes, les Chefs d’Etats allaient faire pression pour que Faure Gnassingbé prenne l’initiative de prononcer une déclaration dans laquelle il annonce la libération de tous les détenus politiques, son retrait en 2020, le retour de l’armée dans les casernes, la mise en œuvre intégrale de la feuille de route, et ceci, avant toute élection », peine perdue. Autant l’opposition reprend la lutte la mort dans l’âme, autant la CEDEAO se retrouve couverte d’un affront qu’elle est libre de laver ou de porter au risque de faire jurisprudence. Pendant ce temps, « le grand comité de suivi-évaluation qui est le peuple », a l’obligation d’un barreau d’honneur, mais comment ?
Ici le PNP sort une stratégie
Toute cette démonstration prise en compte, « Voilà qui justifie la reprise des manifestations. Nous tenons là un motif sérieux pour reprendre les marches. Et personne ne nous le reprochera sans apparaître comme un soutien de la dictature». Fort de l’expérience des stratégies de mobilisation qui marchent, de sa clandestinité, Tikpi Atchadam estime qu’on ne marche pas pour marcher, on marche pour une « ALTERNANCE ». « Nous devons éviter à tout prix de vacciner, par nous-mêmes, le régime contre notre ultime arme : LA MARCHE PACIFIQUE. Les initiatives isolées, localisées, géographiquement circonscrites, même si elles ont leurs effets qu’il faut saluer, au final, contrairement à l’objectif poursuivi par les organisateurs, contribuent à l’avortement de la dynamique d’ensemble portée par l’unité d’action ». En politique, il n’existe qu’un homme de terrain pour savoir choisir à chaque cible son arme. Une dictature cinquantenaire devait évidement être une cible particulière, il la fauta une arme à la hauteur de son entêtement. L’intervention de Tikpi propose alors, « …nous devons penser à éviter l’usage alternatif de nos villes. Il convient alors de mettre simultanément à chaque marche, tous les réacteurs. Ce qui manque à la lutte pour la victoire, c’est justement cette complexe généralisation de la mobilisation à l’ensemble du territoire national ». Ceci n’est pas du nouveau, c’est cette stratégie à l’époque individuellement portée par le PNP qui a plongé la monarchie dans son actuel état comateux. Elle a accouché d’une date que rien ne pourra gommer de l’histoire d’une lutte de libération, le 19 Août 2017. Une date qui a fait et continue par faire effet. Cette date née d’une initiative individuelle a enfanté d’une coalition de 14 formations politiques. L’initiateur du 19 Août estime alors que, face à un adversaire toujours le même, avec le même peuple désormais débout, dans le même environnement, ce qui a marché pour une formation politique peut marcher pour 14 : « A la reprise des manifestations, il nous faudra apporter la preuve de notre capacité, en tant que coalition de quatorze (14) partis politiques, qu’une marche gigantesque susceptible de mettre fin à leur pouvoir est possible avec ou sans les villes assiégées qui sont Mango, Bafilo et Sokodé ». « Réussir des marches gigantesques, avec ou sans les villes assiégées, est un défi à notre portée. Et si nous le réussissons, c’est la fin de ce régime. C’est leur donner le message que c’est fini. Ce sera la reddition totale. La fin de la lutte consacrée à la victoire du peuple togolais sur la dictature cinquantenaire ». Me Salifou ne s’arrête pas à un simple défit lancé, il va loin pour en proposer les armes à sa disposition et qui lui ont déjà permis de faire la différence. « Nous avons la capacité de réussir de façon synchronisée aux mêmes dates au Togo, en Afrique, en Europe, en Amérique et en Asie. Pourquoi alors nous en priver » ? Et comme manifester au Togo est singulier, à ses militants et aux Togolais en général, il souhaite un minimum de couverture « en vue de protéger les populations contre la barbarie, des dispositions doivent être prises ». « Chat échaudé craint l’eau froide », son parti ayant payé un lourd tribut comme d’autres avant lui, il ne faut plus multiplier les occasions pour une machine politique qui ne comprend que le langage de la force.
Après avoir suffisamment fait preuve, pendant plus d’une année de lutte, du caractère pacifique de ses manifestations, «Pour la reprise des manifestations, connaissant les manœuvres du pouvoir à travers le ministère de l’Administration territoriale, notre simple obligation légale sera le dépôt de la lettre d’information par la Coalition. Nous nous passerons des rencontres avec le ministre car, nous ne discuterons pas d’itinéraire ». Le chef du parti avance tous ces pillons en continuant à faire confiance à la CEDEAO. «La CEDEAO n’est pas notre adversaire. Elle est médiatrice dans la crise qui nous oppose à la dictature. La CEDEAO sait parfaitement que le peuple togolais conserve le droit de se libérer de la dictature. Au contraire, si nous parvenons à mettre fin à ce régime, ce dont nous sommes capables, la CEDEAO et l’Union africaine constateront avec satisfaction et soulagement la fin du régime qui a fait tant de mal au peuple togolais et à l’Afrique ».
Balle à terre
La derrière actualité a enfanté d’un nouveau-né, c’est la stratégie proposée par le PNP. En faisant le bain du nouveau-né, celui-ci a peut-être déféqué dans la bassine, la dernière bourde. Le nouveau bébé, sous réserve d’une autre stratégie miracle qui nous échappe, se porte bien. Faut-il jeter l’enfant avec l’eau de bain parce qu’entre temps il y a déféqué ? En tout cas, fort de cette formule qui a déjà marché hier, le géniteur estime, qu’ «Avec un peuple aussi conscient, mobilisé et déterminé comme le peuple togolais en ce moment, perdre la lutte serait difficile à expliquer. En d’autres termes, il nous serait difficile d’expliquer notre échec que d’expliquer notre victoire ».
Les leçons d’une bourde
Sur un autre plan, à l’aune de cette dernière posture que nous avons condamné plus haut, le peuple peut, fort heureusement, en récolter des lauriers. Il vous souvient que, malgré les incessants appels du PNP aux différentes composantes de la coalition de façon à ce que chacun mobilise ses bases, dans certaines localités, pourtant fers de lance des contestations dans un passé récent, la mobilisation est restée plombée. Un membre non négligeable de la coalition, dont nous gardons le nom, élu du peuple de son état, aura d’ailleurs le courage et l’honnêteté politique de faire une confidence à ses prochains, « chez moi, je ne suis pas sûr de mobiliser 100 personnes dans une marche ». Voilà une situation qui doit cesser. Il vous souvient aussi qu’à un moment donné des marches, il fallait commencer une chaîne par Agoe et une autre par le quartier de Bè pour se croiser à un niveau convenu. Mais il est arrivé qu’il ne reste plus que la chaîne d’Agoè qui mobilisait. C’était un triste constat qui n’est donc pas normal. Compte non tenu du fait que les partisans du PNP ont aussi répondu à cette dernière marche, si aujourd’hui, par un coup de tête, la chaîne d’Agoe s’arrête pour observer et qu’une telle attitude est considérée comme un défi au point d’obliger la coalition à mettre les moyens pour mobiliser, comme on a pu le constater, avec des bus disposés ici et là, c’est le peuple qui sort gagnant. La science dira que le besoin a créé l’organe. Que chacun mouille désormais le maillot en maintenant en marche la machine de mobilisation qui a servi la dernière fois. Quand une lutte devient longue, rien ne vaut la stratégie.
‘’Big-up’’ alors à la coalition pour sa dernière marche, mais le défi est encore devant, les 14 sont-ils prêts à le lever? La coalition est-elle prête pour mobiliser? Fini la mobilisation à sens unique. Pour le 29 novembre et 1er décembre prochains, la coalition est en discussion depuis ce mardi. A ces dates, le PNP et 11 autres formations politiques dont la coordinatrice Adjamagbo proposent mobiliser 22 villes du Togo, quelques pays d’Afrique dont le Nigéria. L’Amérique, l’Allemagne et Bruxelles dans le compte du BENELUX sont déjà prêts. Ils motivent leurs propositions par le fait que le nombre est un facteur de protection pour les manifestants et ne trouve pas d’handicape financier à ce sujet. L’ANC et le PSR pour leur part proposent juste 9 villes du Togo plus les autres localités de la diaspora en avançant les motifs financiers. L’ANC propose aussi des marches à Sokodé, Bafilo et Mango (villes assiégées). Dans ces localités, le PNP propose une opération ville morte. Les échanges se poursuivent aujourd’hui jeudi pour trouver une solution définitive. C’est ici le débat, trêve de spéculations, il faut ratisser large. Au parlement les députés de l’opposition se sont retirés puisque le pouvoir a introduit pour vote un texte traficoté, alors que l’opposition et la CEDEAO attendaient voir le texte proposé par l’expert sénégalais.
Abi-Alfa
Source : Le Rendez-Vous No.335 du 22 Novembre 2018
27Avril.com