Selon des documents consultés par Jeune Afrique, le texte du projet de révision constitutionnelle validé en conseil des ministres le mardi 5 septembre porte sur trois articles touchant aux mandats électifs du président de la République et des parlementaires. Mais alors que l’opposition espérait que son examen au Parlement débute ce mardi 12 septembre, celui-ci a été reporté. À la place, la session extraordinaire sera consacrée au budget. Ce qui n’a pas manqué de provoquer la colère de l’opposition, qui a appelé à manifester le même jour à proximité du Parlement.
L’article 52 porte sur le mode de désignation et la limitation des mandats des députés et des (futurs) sénateurs. C’est une surprenante innovation que le président Faure Gnassingbé veut introduire dans la Constitution. En effet, l’article vise à limiter à deux le nombre de mandats des députés et des sénateurs. Dans une Assemblée nationale dominée par l’Union pour la République (Unir, parti présidentiel) et ses alliés, cette réforme risque de faire grincer bien des dents, même s’il apparaît peu probable que les députés de la mouvance présidentielle remettent en cause la copie du gouvernement. Selon un proche de Gnassingbé, cette modification « vise à renouveler et à rajeunir la classe politique ».
L’article 59 porte sur la limitation du nombre de mandats présidentiels, dont la durée reste fixée à cinq ans, mais ne sont plus renouvelables qu’une fois. Quant à l’article 60, il définit un scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l’élection présidentielle.
La limitation à deux mandats et le scrutin à deux tours sont conformes à la lettre de la première mouture de la Constitution adoptée le 27 septembre 1992, en vigueur dans le pays depuis sa promulgation et aujourd’hui acceptée par tous. Cette disposition de la loi fondamentale avait été modifiée en décembre 2002 par les parlementaires de l’ex-Rassemblement du peuple togolais (RPT) du défunt président Gnassingbé Eyadéma qui a dirigé le pays pendant 38 ans (1967-2005). Celle-ci supprimait la limitation du nombre de mandats et fixait à un seul tour le scrutin présidentiel. Une disposition qui profite depuis 2005 à Faure Gnassingbé, qui a succédé à son père.
Tikpi Atchadam à la manœuvre
La modification des articles controversés de la Constitution, le vote de la diaspora togolaise (non prévu par la Constitution de 1992) et les réformes institutionnelles (refonte de la Commission électorale nationale indépendante – Ceni –, toilettage du fichier électoral, etc.) constituent l’essentiel des revendications de l’opposition.
Essoufflé et en panne de stratégie depuis qu’il a concédé sa défaite électorale d’avril 2015, sans toutefois reconnaître la victoire de Faure Gnassingbé, le Combat pour l’alternance pacifique (CAP 2015), coalition qui a soutenu la candidature de Jean-Pierre Fabre, s’est trouvé un nouvel allié en la personne de Tikpi Atchadam. Ce juriste quinquagénaire, président du Parti national panafricain (PNP, créé en 2014 et non représenté à l’Assemblée national) est le principal organisateur des manifestations du 19 août et des 6 et 7 septembre 2017. Il a redonné un nouveau souffle à la contestation populaire. Celle-ci s’est accompagnée de la mort de deux personnes et de dizaines de blessés, dont des agents des forces de l’ordre. Plus de 80 opposants ont été arrêtés.
C’est dans ces conditions que le pouvoir sous pression a adopté le projet de réforme constitutionnelle qui doit être soumis au vote des députés. Il reste toutefois quatre inconnues. La première est la date précise du vote à l’Assemblée nationale. La session extraordinaire qui s’ouvre ce mardi 12 septembre était déjà programmée pour débattre de questions d’ordre budgétaire et l’ordre du jour n’a pas été modifié pour prendre en compte le projet de réforme constitutionnelle.
L’ONU impatiente
L’Organisation des Nations unies qui a dépêché la semaine dernière son représentant spécial en Afrique de l’Ouest, se montre impatiente. « L’Assemblée nationale est déjà convoquée, a déclaré Mohamed Ibn Chambas. Je pense que ce sera utile de prolonger cette session. Bien sûr, en prenant en compte le texte et les procédures. Mais ce sera utile de prolonger cette session, qui va se tenir le 12, et aussi discuter de l’avant-projet sur l’amendement de la Constitution ».
Deuxième inconnue : l’attitude des députés de l’opposition au Parlement. Avec ses 62 députés sur 91, Unir ne dispose pas de la majorité des 4/5e requise pour amender la Constitution. Le silence du projet qui sera soumis aux députés sur le vote de la diaspora risque de fâcher les députés de l’opposition.
Troisième inconnue : le sort de Faure Gnassingbé. Alors que l’opposition exige un retour à la constitution de 1992, une façon pour elle de faire savoir que Faure Gnassingbé en est à son dernier mandat (élu en 2005, il a été réélu en 2010 et 2015), le pouvoir souligne la non rétroactivité de la loi. Ces derniers jours, la position des opposants, à la suite du succès des manifestations, s’est radicalisée et certains se sont laissés aller à des déclarations aux accents révolutionnaires. C’est ainsi que Fabre a demandé à Gnassingbé « de prendre la pleine mesure des aspirations du peuple togolais souverain qui exige l’ouverture immédiate de discussions relatives aux conditions de son départ ».
Manifestation prévue vendredi
Quatrième inconnue : la réaction de la rue. L’opposition, avant d’appeler à manifester ce mardi pour protester contre le report de l’examen de l’avant-projet de loi portant sur les réformes, compte réinvestir la rue ce vendredi. Une manifestation qui pourrait être interdite par le ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales. En cause : l’absence d’information, cinq jours avant sa tenue, conformément à la loi, sur la date, le lieu et surtout l’itinéraire de la marche.
Les autorités se montrent de plus en plus fermes à l’endroit des manifestants, dont la mobilisation rencontre un succès croissant. Dans la nuit du mardi 5 septembre, après l’annonce de l’adoption en conseil des ministres de l’avant-projet de loi de réforme constitutionnelle, internet a été coupé dans le pays. Quelques heures plus tard, les SMS ont été suspendus. Le black-out a duré cinq jours. Cette décision, critiquée par la société civile et l’opposition ainsi que par des supporteurs de Faure Gnassingbé lui-même, n’a ni découragé les manifestants, ni empêché la propagation de rumeurs.
Jeune Afrique