Au Togo, l’histoire semble se plier aux caprices du pouvoir, au mépris de la mémoire collective et des cicatrices non refermées. Alors que sa décoration le 26 avril 2016 avait suscité une vague d’indignation au sein de l’opinion et des condamnations dans les rangs de la société civile togolaise, feu Major Kouloum, puisque c’est de lui qu’il s’agit, vient d’être immortalisé par la dictature de Faure Gnassingbé. Une salle de conférence de l’École Normale Supérieure d’Atakpamé vient d’être dédiée à ce personnage controversé, dont le nom reste associé aux heures sombres de notre pays.
C’est un véritable affront à la quête de justice, de réconciliation et de paix véritable. Le Major Kouloum est tristement connu pour son rôle dans les violences post-électorales de 2005, ayant coûté la vie à près de 500 Togolais, selon le rapport de l’ONU. Ces massacres, qui ont marqué la ville d’Atakpamé, ont laissé des plaies profondes dans le tissu social et alimenté une méfiance généralisée envers les institutions étatiques. Mentionné à plusieurs reprises lors des auditions de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) en 2011, le nom de cet officier reste synonyme de barbarie et d’impunité.
Le choix de nommer une salle de conférence en son honneur, dans une institution censée former les enseignants, piliers de l’éducation et porteurs de valeurs éthiques, est une décision qui interroge. Attribuer cet espace à une figure aussi controversée revient à légitimer, voire glorifier, une page noire de l’histoire nationale.
Dans un pays où les appels au pardon et à la réconciliation sont souvent proclamés par les autorités, cette décision semble aller à contre-courant. Comment encourager les victimes et leurs proches à pardonner lorsque les responsables des violences sont non seulement protégés, mais également célébrés ? Cette glorification apparente d’un si sinistre personnage envoie un message désastreux : la mémoire des victimes importe peu face à la volonté de réécrire l’histoire à l’avantage du régime en place.
La réconciliation nationale exige des actes forts : reconnaître les torts, honorer les victimes et éviter de glorifier ceux qui incarnent la violence. Or, dédier une salle au Major Kouloum fragilise davantage les efforts déjà précaires en matière de cohésion sociale.
Un affront à la mémoire de Monseigneur Barrigah
Cette décision est d’autant plus troublante qu’elle intervient quelques mois après le décès de Monseigneur Nicodème Barrigah, président de la CVJR, qui s’est investi avec conviction pour restaurer la vérité, la justice et la réconciliation au Togo. En dédiant une salle de conférence à un personnage comme le Major Kouloum, le régime tourne le dos à cet héritage et donne raison à ceux qui accusaient Monseigneur Barrigah d’avoir mené un combat vain.
Cet acte constitue un affront à la mémoire de ce prélat et à son engagement pour un Togo réconcilié. Faure Gnassingbé montre ainsi un mépris flagrant pour le travail de Monseigneur Barrigah et pour les idéaux qu’il portait. Cette décision risque de renforcer la désillusion des victimes, tout en assombrissant l’héritage de la CVJR et ses promesses de justice.
Une leçon amère pour les générations futures
Cette décision ne sera pas non plus sans conséquences pour les générations futures. Les étudiants et enseignants qui passeront par cette salle porteront le poids symbolique d’une injustice institutionnalisée. Comment enseigner aux jeunes la valeur de la justice et des droits humains dans un environnement qui célèbre ceux accusés de les avoir bafoués ?
Cette situation illustre une fois de plus le mépris des dirigeants pour l’histoire et les valeurs morales essentielles à la construction d’une société harmonieuse. Elle contribue à renforcer le sentiment que l’impunité est la règle d’or au Togo et que la justice reste un luxe réservé à ceux qui ne s’opposent pas au pouvoir.
Les institutions éducatives doivent rester des lieux de transmission de valeurs universelles et non des monuments à la gloire d’un passé marqué par la violence.
François Bangane
Source: lalternative.info
Source : 27Avril.com