« Le disparu, si l’on vénère sa mémoire, est plus précieux et plus puissant que le vivant », Antoine de SAINT-EXUPERY dans Citadelle, évoque le poids de la mémoire, la dimension de la reconnaissance, l’impact de la célébration des êtres chers que nous perdons dans la restauration de notre société et de nos vies. La portée du souvenir de réhabilitation de ceux qui nous ont quittés n’a de force que dans leur résurrection éternelle en nous pour une solidarité intégrale qui nous permet d’avancer en évitant des écueils et les chutes de répétition.
L’émoi nous écrase, le choc nous met en vertige, les lacérations de nos cœurs sont saillantes, les entailles dans notre âme sont lourdes, la douleur nous étreint le souffle à l’annonce de la tragédie de nos enfants qui, en une bande de farandole, revenaien t d’une sortie de fête, perdent dramatiquement la vie. Certains sont devenus des handicapés à vie physiquement, psychologiquement.
Le coup des infanticides à vingt-cinq kilomètres de Dapaong est encore une massue sur une société togolaise où les bonnes nouvelles sont extrêmement rares, sans jamais redresser quelque peu la déconfiture de confinement qui nous est faite par la gouvernance des faillites d’effractions et de brutalités perverses. Après Sinandaré, Sinalengue dans les savanes, le cas du petit mécanicien apprenti fauché par un fusil à lunette et du petit de Bè, Jojo, tué lors des marches de protestation de l’Opposition au Togo nous montrent que les malédictions ne tarissent pas de leur tourbillon sur notre pays.
L’innocence de nos enfants est ce qui nous abat le plus et la douleur des parents nous révolte. Les événements des savanes nous mettent debout, spontanément, au nom de l’humanité, de la raison et de la foi dont nous sommes pourvus pour nous unir à l’intention des grandes âmes liquidées si atrocement. Une enquête est annoncée pour élucider les circonstances de ces tueries comme toujours en de pareils cas pour laisser en suspens les conclusions.
N’est-il pas judicieux pour nous au niveau national de soutenir les parents de ces enfants et de former avec eux un bloc patriotique pour la vérité, la justice ?
Notre veille nationale sur l’impartialité des enquêtes ne nous donne-t-elle pas l’aiguillon de nous unir à leur intention, de prier pour le repos éternel de nos enfants et de tous nos disparus dans ces circonstances atroces ?
1) Aux âmes emportées par des infanticides au Togo
Que la foule vienne, à brassée pleine, avec des fleurs pour votre mémoire ! La patrie nous appelle pour être à vos côtés. Sur nos joues creusent des rigoles nos larmes. Vous avez beaucoup de choses à dire de votre innocence, de votre déception, de votre furie contre l’Etat qui n’est pas à la hauteur de ses devoirs régaliens. Dans un pays où la force prime sur le droit et que l’esprit de discernement est totalement vacant, le champ des excès s’étend à perte de vue et engloutit précocement des âmes pures. Vous n’avez pas eu ni les moyens ni le temps de savourer votre enfance et précocement vous nous quittez dans un malheur qui vient sans un trait signalétique de prévention ou d’avertissement.
La soif de votre épanouissement manqué nous met en rage, parce que nous ne savons plus avec qui tracer les sillons de l’espérance pour ce pays. Vous représentez la vie de tous les enfants de ce pays, majoritairement perdus dans les dédales d’une politique aveugle qui distribue des privations et des handicaps lourds aux jeunes qui n’ont que le désir d’un ailleurs pour se donner la chance de cultiver quelque espoir.
Vivre dans un pays où l’enfance et la vie sonnent comme des malheurs ne justifie pas l’atrocité de votre disparition précoce. Le feu des armes dans un pays aux réflexes prompts pour la brutalité sans un micron d’esprit analytique est ce qui nous choque, parce que les bavures sont de l’ordre du fonctionnement d’un Etat fou, malade de lui-même et au cumul effréné d’actes mécaniques, dépourvus d’un soupçon d’éthique.
Là où règne l’impunité ou plutôt un parapluie atomique d’abri pour les coupables des bavures, la prime aux horreurs est certaine. Les manquements dans les rangs des forces de défense et de sécurité foisonnent, parce que les responsabilités ne sont jamais bien situées et les châtiments sont légers et aussi rares qu’inexistants. La multiplication des bavures dans la durée nous met tous en insécurité. Si nous manquons de protéger la mémoire de nos enfants des savanes et de tous ceux qui tombent si fréquemment dans ce pays pour cause d’indélicatesse des corps habillés, nous aurons tué deux fois des innocents et nous manquerons nous-mêmes de nous protéger des méfaits des consciences mortes.
L’avenir de notre pays est dans nos actes de droiture, de justice, d’humanité. L’humanité par laquelle nous nous rassemblons pour protéger nos enfants attire sur nous le voile de sécurité.
Partout dans ce pays, les églises, les temples, les mosquées ont l’impérieux devoir de consacrer un temps de prière aux âmes perdues de la République pour cause de bavure. De même, les Organisations de Défense des Droits de l’Homme doivent s’éveiller autour des parents des disparus pour qu’ils soient rassurés de l’assistance de tout un pays. Nos parents souvent trop ignorants, apathiques et frileux en de telles circonstances sont exposés à une obole de consolation dans notre pays où l’achat de consciences et la corruption pourrissent la vie publique et mettent en sourdine toutes les gravités répréhensibles
Nous sommes conscients que la vie ne s’achète pas et que la douleur éprouvée à la disparition de sa progéniture ou d’un être cher ne disparait pas par une assistance quelle qu’elle soit. Que la réparation des dommages soit propre pour qu’elle ne ressemble pas à une moquerie comme on le note abondamment dans la ronde d’ Awa Nava.
La sécurité sans la clairvoyance est une hécatombe dont il faut absolument rompre la chaîne et la spirale malfaisantes dans ce pays. Les bavures font le chaos sécuritaire où personne n’est à l’abri d’une surprise fatale. Ce que nous voulons voir dans nos gouvernants, c’est le respect de la vie, l’exigence de la protéger et non l’aval à la bavure qui ouvre le boulevard à la licence.
L’explosion des bavures dans notre pays vient de la mollesse populaire et de la tolérance des iniquités qui donnent une incitation à l’insouciance de ceux qui ont en charge notre protection, notre sécurité. Où que nous soyons, qui que nous soyons, nous n’avons pas le droit de nous taire sur la mort des innocents. La confiance en soi s’étiole quand l’insécurité est galopante dans notre proximité. La région de Dapaong et la catastrophe sécuritaire survenue nous servent d’aiguillon de conscience et de mobilisation pour des gages sécuritaires à nous-mêmes, à nos enfants, à nos familles. Les enfants de la savane sont aussi nos enfants, ceux de la terre en partage et de notre communauté nationale.
La sécurité mal tournée dans une répétition indigeste devient une cruauté intolérable. Autant que nous n’admettons pas que des bruts venus d’ailleurs viennent enlever la vie aux enfants du Togo, autant nous ne pouvons fléchir sur les bavures répétitives de ceux qui ont en charge notre sécurité. La confiance s’use et disparaît quand jamais la bonne foi sécuritaire ne s’éprouve dans la franchise et la générosité du service.
2) Halte au convoi de la mort !
Nous Togolais, nous pleurons nos morts, nos compatriotes assassinés sans raison dans notre pays et plus particulièrement dans ce regain de massacres de masses dans les savanes. Nous n’avons pas encore séché nos larmes quand le carnage se poursuit dans la pire bestialité. La cruauté de l’abattage des vies sans histoire dans ce pays où le djihadisme s’en prend aux populations sans défense alourdit nos cœurs de détresse, pendant que l’état d’urgence décrété dans la région ne semble résoudre aucun problème.
Aux plaies des bavures intolérables de nos forces de défense se greffe le comble de la cruauté des barbus malgré tout le dispositif de surveillance de la zone. La balade facile des terroristes dans quatre villages dans les Savanes et l’étendue de leurs forfaits sans aucune riposte, aucune intervention de l’armée en forte présence dans ces lieux pose à tous les Togolais de grosses interrogations sur l’efficacité de l’Etat d’urgence dans les Savanes. Si la zone est couverte de drones de surveillance de jour comme de nuit, comme nous en avons la preuve à partir des bavures intolérables à une heure du matin de nos forces de défense, de quel camouflage usent les djihadistes pour échapper aisément aux dispositifs militaires de surveillance dont les Savanes sont truffées ?
Nous n’avons pas le droit de désespérer de nos forces de sécurité et de défense. Mais, nous avons besoin d’elles des garanties et des preuves renouvelées d’assurance et de confiance en ces moments de bouleversements profonds de notre société, de notre survie au risque de voir nos populations dans de gros mouvements migratoires vers le sud du pays à l’instar du « struggle for life » qui s’empare des Burkinabè, des Maliens et des Nigériens dans les régions de grande précarité sécuritaire.
Nous sommes dans le grand abîme dans le Nord du pays et notre solidarité avec les savanes est totale. C’est pourquoi nos pensées, nos prières sont tournées vers nos frères en détresse. Nous ne savons vraiment pas comment ils peuvent continuer à vivre sans perdre le sommeil, sans être cassés de l’intérieur par la hantise de la mort brutale.
Il faut que nous soyons capables de nous mettre à leur place pour nous représenter quelque peu la dimension de leur calvaire et envisager une assistance permanente pour leur redonner un petit goût à la vie. Nous ne sommes pas sûrs que beaucoup d’entre eux veuillent encore vivre la peur au ventre en ces lieux après une suite de carnages indescriptibles qui les touche intimement dans leurs habitats. Peuvent-ils encore vaquer à leurs occupations quotidiennes, vivre des travaux champêtres, de l’élevage et du petit commerce ?
L’Etat togolais a le devoir de déléguer un collège de psychologues, de psycho-sociologues bien protégés pour évaluer l’état d’esprit de ceux qui ont vécu et côtoyé de si près la mort. « La paix et la sécurité sont les fondements de la formation de l’Etat social ».Thomas HOBGBBE a bien raison, dans Le Léviathan, de nous l’enseigner.
A tous nos compatriotes qui ont vu leurs vies basculer dans la jungle de toutes les cruautés, nous prions avec un grand cœur de soutien et de générosité pour soulager leurs traumatismes. Ensemble, donnons le meilleur de nous-mêmes pour venir à leur secours.
Dossavi
Source : L’Alternative / presse-alternative.info
Source : 27Avril.com