L’annonce a été faite lundi au cours du journal de 20 heures sur la TVT. Le gouvernement s’inscrirait dans une logique d’apaisement, après une vingtaine de morts depuis le début de la crise politique, et a pris certaines dispositions dont l’ouverture d’un dialogue avec l’ensemble de l’opposition. Mais en réalité des « mesurettes » criées sur les toits comme un exploit. Au sein de l’opposition, on ne semble pas emballé par cette sortie qui, à tout point de vue, ressemble à une simple manœuvre de démobilisation de la contestation. Comme pour illustrer le manque de sincérité du pouvoir, sa soldatesque a repris la répression sur les populations de Sokodé.
Les dispositions du gouvernement
« La remise en liberté de 42 personnes interpellées, jugées et condamnées par diverses juridictions dans le cadre des récentes manifestations violentes ; la restitution des motocyclettes saisies, à Lomé, lors de la manifestation du 7 septembre 2017 et ce, après 22 heures ; la levée de la mesure de contrôle judiciaire de Monsieur Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition dans la procédure des incendies », telles sont les mesures phare annoncées par le gouvernement, dans un communiqué rendu public lundi dernier au journal de 20 heures sur la TVT. Ce n’était pas tout. « En plus de ces mesures d’apaisement, le gouvernement prend également les dispositions nécessaires pour l’ouverture, à Lomé, d’un dialogue avec l’ensemble de la classe politique togolaise et espère donc que tout ceci conduira les partis politiques concernés à agir avec la plus grande retenue et responsabilité et à œuvrer pour l’intérêt national par la sauvegarde de la paix et de la cohésion nationale ». Ces dispositions visent, à en croire le gouvernement, à « assurer la préservation et le respect effectif de la liberté de manifestation et réaffirmer sa détermination à promouvoir le retour au calme ainsi qu’un climat d’apaisement et de sérénité indispensable pour la recherche de solutions crédibles et durables à la question des réformes politiques ». Amen !
Le gouvernement a profité de l’occasion pour tancer les leaders de l’opposition d’avoir gardé le silence sur les présumées violences exercées par leurs militants et manifestants, et légitimer l’interdiction scélérate de manifestations publiques en semaine par le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, Payadowa Boukpessi, comme s’il se reprochait quelque chose. « (…) Ces manifestations ont été émaillées de graves violences ayant entraîné des pertes en vies humaines ainsi que de nombreux blessés et d’importants dégâts matériels, notamment des atteintes à l’intégrité physique des personnes, destructions et dégradations de biens publics et privés. A aucun moment, les leaders des partis politiques concernés n’ont déploré, regretté ou condamné les violences et les exactions commises en marge des manifestations. Le caractère violent imprimé malheureusement aux marches organisées ces derniers temps s’inscrit en porte-à-faux à l’esprit non équivoque de la loi n°2011-010 du 16 mai 2011 fixant les conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques publiques. C’est dans ce contexte que le Gouvernement avait été amené à restreindre les manifestations afin d’éviter les marches et les cortèges en semaine au profit des meetings et de réduire ainsi les conséquences préjudiciables de celles-ci à la paix sociale y compris les impacts négatifs sur les activités économiques », relève le communiqué.
Des « mesurettes » pour casser la mobilisation
On s’y attendait, ces mesures prises par le pouvoir sont brandies par ses caisses de résonance et journalistes membres du supporting club de Faure Gnassingbé comme l’exploit du 21e siècle ou du 3e millénaire, et leur champion peint comme un Nobel de la Paix. Et pourtant il ne s’agit que de correction des aberrations commises, des agissements dignes du moyen-âge…
Les libérations attendues constituent un non événement car, faut-il le rappeler, parmi ces personnes arrêtées, il y a des citoyens qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment, et tout ce beau monde a été jugé au cours de procès expéditifs, à huis clos et sans assistance d’avocats. Elargir d’ailleurs seulement quarante-deux (42) détenus sur quatre-cent (400) environ qu’ils sont dans les prisons sur toute l’étendue du territoire, c’est se moquer de l’opposition et du peuple. « Lever le contrôle judiciaire de Jean-Pierre Fabre dans le dossier des incendies est un fait divers. Tout le monde sait que le monsieur n’a rien à voir avec cette affaire dont le pouvoir connaît les vrais auteurs et commanditaires. D’ailleurs une levée du contrôle judiciaire ne signifie en rien qu’on l’a innocenté (…) Et puis, qu’est-ce que les motos saisies au-delà de 22 heures dans la nuit du 7 au 8 septembre ont comme rapport avec les manifestants de l’opposition pour que leur restitution à leurs propriétaires soit présentée comme un exploit ? C’est ridicule à la fin ! », réagit un leader d’opinion.
L’ouverture du dialogue annoncée est peut-être la seule véritable mesure à retenir, d’autant plus qu’elle est attendue depuis longtemps pour décrisper la crise. Mais là aussi, l’on doit prendre cela avec des pincettes lorsqu’on lit entre les lignes – « un dialogue avec l’ensemble de la classe politique togolaise » – et sait qu’aucune date n’est indiquée pour son démarrage. Il s’agit visiblement d’un dialogue fourre-tout, d’un véritable panier à crabes où l’on retrouvera de ces opposants recto-verso – suivez nos regards – et béquilles du pouvoir en place. L’autre aspect, c’est le sérieux des protagonistes, notamment les délégués du parti au pouvoir. On se rappelle le dialogue Togo Télécom où ses émissaires avaient fait les sourds muets, disant d’aller rendre compte à leur mandant d’abord lorsqu’il s’agit de prendre des décisions. Tout porte à croire à un dialogue annoncé pour détourner l’attention de la coalition de l’opposition, démobiliser ses militants et les populations qui contestent le pouvoir de Faure Gnassingbé. Dans l’immédiat, personne n’est dupe, il s’agit de casser la mobilisation autour des manifestations des trois jours débutées depuis hier sur toute l’étendue du territoire national. Le timing de l’annonce est loin d’être fortuit.
Au sein de la coalition de l’opposition, on ne s’emballe d’ailleurs pas devant cette annonce. « En libérant 42 prisonniers pour ouvrir un dialogue avec l’opposition, l’exécutif togolais prouve que les détenus ne l’étaient pas en conformité avec le droit. Quand la libération de prisonniers est sujette à des négociations, on parle de kidnapping ou de prise d’otage. Aucun futur dirigeant du Togo ne négociera avec des preneurs d’otage. Ceux qui voudront le faire le feront en leur nom et non en celui du peuple togolais. Pour finir, il est nécessaire de rappeler au gouvernement togolais que la lutte dont se fait l’écho l’opposition togolaise concerne un peuple et son chef d’État dont l’exercice de la fonction est jugée illégitime. Ledit chef d’État s’est arrogé les pleins pouvoirs dans sa constitution taillée sur mesure, ramenant le Premier ministre et son gouvernement au rang de valets. En quoi ce gouvernement peut-il mener une quelconque négociation engageant un départ du chef intouchable ? Nous saluons l’effort du gouvernement togolais pour tenter de ressembler à autre chose qu’un exécutif bananier, mais rappelons que la libération de 42 détenus ne ramènera pas de la tombe ceux à qui la vie a été ôtée impunément. Le chef de l’État dans sa seule allocution a dit qu’il n’était coupable de rien et est victime de manipulation des réseaux sociaux. Qu’il assume son entêtement jusqu’au bout. Nous assumerons le nôtre. Si Faure Gnassingbé ne reconnaît pas qu’il est non seulement à l’origine, mais aussi partie intégrante de la crise togolaise, le directoire du Parti des Togolais considère ce communiqué comme un non évènement », a réagi le Parti des Togolais, par la plume de sa chargée de communication Delali Attiopou.
On peut légitimement déjà s’interroger sur la sincérité du pouvoir lorsque l’on crie à l’apaisement et annonce de prétendues mesures, et au même moment la soldatesque du pouvoir violente encore les populations de Sokodé, Bafilo, etc. comme c’était le cas hier, pour des manifestations qu’on n’a plus interdites cette fois-ci.
Tino Kossi
Source : Liberté No.2553 du 08 novembre 2017
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