Cinquante ans d’immobilisme, cinquante ans de passage à vide, de misère, de calvaire, de colère et de faim, il y a plus de cinquante ans que le peuple togolais ploie sous le joug d’un régime impopulaire qui, de génération en génération, hypothèque l’avenir de toute une nation. Plusieurs fois, la nation togolaise s’est soulevée, lasse des infamies qui font son quotidien, elle s’est engagée pour le combat de la liberté et de la démocratie. Mais jamais, elle n’est parvenue à son principal objectif, celui de l’alternance politique. 2020, étant une année de décision pour ces millions de Togolais qui, il y a encore quelques mois, battaient le pavé contre Faure et son régime, l’heure a alors sonné pour ces Togolais de sanctionner ce régime dans les urnes, tout en se mobilisant, se préparer pour défendre leur vote.
Des 22 engagements souscrits en avril 2004 auprès de l’UnionEuropéenne par le régime du général Gnassingbé Eyadema pour opérer les réformes nécessaires pouvant lancer le Togo sur la voie de la démocratisation, il a fallu attendre août 2017, soit 13 ans (encore le chiffre 13 au Togo, dira-t-on) pour que le régime de Faure Gnassingbé qui a pris la succession de celui d’Eyadema, soit contraint d’opérer à minima lesdites réformes. C’est, faut-il le rappeler, à la suite de véritables conflits politiques soldés par des centaines de Togolais tués, 2005 compris. Ainsi, en 2019, au lieu de vraies réformes politiques telles que souhaitées par le peuple dans sa majorité, le régime de Faure Gnassingbé concéda quelques réformettes pour se donner des béquilles pour avancer en clopinant. Partiellement satisfaits, certains leaders de l’opposition parlaient de « victoire d’étape » avec la sacralisation de la limitation du mandat, désormais à deux, et la question des deux tours du scrutin présidentiel, définitivement résolue. Qu’à cela ne tienne, le régime impopulaire continue de susciter de la déception et du dégoût, car la plupart des Togolais estiment que limités dans sa marge de manœuvre pour sauver la nation togolaise au bord du précipice, Faure Gnassingbé et ses affidés doivent sans condition vider le plancher. Pour cela, ils sont des millions de Togolais à manifester leur courroux dans la rue. Aujourd’hui, une occasion leur est encore offerte, celle de pouvoir manifester leur courroux dans l’isoloir pour provoquer l’alternance par les urnes. C’est possible, beaucoup y croient. Mais cela doit passer par une mobilisation générale le jour du vote. C’est aussi ça la mesure.
Circonscrire l’abstention…
Dans une interview accordée à la rédaction du journal La Manchette au dernier trimestre de 2019, le leader du MCD, Me Tchassona fit le diagnostic des maux qui retardent l’échéance de l’alternance politique au Togo. Logiquement, il cita l’abstention et délivra une ordonnance : « Que les Togolais prennent conscience qu’en réalité, si ce régime perdure, c’est qu’ils sont en partie responsables. Qu’ils cessent d’écouter les discours défaitistes, décourageants qui font qu’ils s’abandonnent à la fatalité, disant que les jeux sont déjàfaits alors que rien n’est fait. Rien ne vaut le vote, rien ne vaut la volonté populaire. Cette volonté populaire peut s’exprimer par la mobilisation de l’ensemble du corpus togolais…qu’on cesse ce jeu malsain d’abstention au moment du vote », conclut-il. Apportant de l’eau au moulin de Me Tchassona, M. Ouro-AkpoTchagnao, ancien député et membre du Bureau politique de l’ANC déclara : « Lors du recensement en novembre 2018, il y a beaucoup qui se sont faits recensés. Ça, il faut le reconnaître. Beaucoup n’avaient pas respecté le mot d’ordre de l’opposition, mais ils n’ont pas été votés. Lors des élections locales, il y a eu beaucoup d’abstentions. Si je prends l’exemple de Tchaoudjo, il y a eu plus de 68 mille inscrits à Tchaoudjo, mais seulement 21 mille votants. Ça veut dire que le taux d’abstention était très élevé, à peine 30% des électeurs se sont déplacés. Donc notre travail aujourd’hui, est de comment faire pour réduire le taux d’abstention. Beaucoup avaient leur carte (d’électeur, ndlr), mais ils ne sont pas allés voter… ».
En effet, du fait des échecsrépétés dans la quête de l’alternance par les urnes, nombreux sont les Togolais qui baissent la garde à chaque élection, ce qui explique le taux d’abstention qui croit considérablement et ce,depuis le scrutin présidentiel de 2005 avec une légère baisse constatée en 2007 concernant les élections législatives de cette année-là. Mais depuis 2010, la remontée du taux devient spectaculaire et effroyable rendant l’alternance presque irréalisable.
Mais, comment comprendre la lassitude et la passivité d’un peuple qui tient à son avenir et sa survie ? L’interrogation vaut son pesant d’or. Car, de 2017 à 2018, dans la dynamique de rejet du régime des Gnassingbé, des millions de Togolais aussi bien de l’intérieur que de l’étranger étaient restés dans la rue des mois durant, fiers et dignes de combattre une dictature avant qu’une nouvelle fois, la situation ne tourne au vinaigre, tout en défaveur du peuple en lutte. Sans résultats escomptés, l’on retiendra pour l’essentiel à l’échelle mondiale que le régime Faure est foncièrement vomi. C’est un point non négligeable qui a sans nul doute pesé dans la balance pour que le pouvoir togolais soit forcé d’opérer les réformettes de l’année dernière. Ainsi, il va de soi que le peuple reste vigilant et mobilisé pour d’autres« victoire d’étape » dans sa quête d’alternance et du changement. Mais, la réalité est tout autre.
Déçu de n’avoir toujours pas satisfaction pleine et entière de ses revendications, la dynamique unitaire observée lors des deux dernières années au sein du peuple en lutte pour l’alternance, s’est volée en éclats avec deux visions politiques du changement qui se heurtent dorénavant.
Appelant à tout prix au boycott de toute élection organisée par le régime Gnassingbé avec la conviction que les jeux sont déjà faits et qu’il n’y a plus d’enjeux, les tenants de cette vision, c’est-à-dire les abstentionnistes deviennent progressivement légion du fait de l’évolution de l’actualité sociopolitique au Togo, en plus de l’inimitié et la rancœur qui définissent la classe politique de l’opposition. Tirant à boulets rouges sur ceux qui, dans les conditions actuelles, croient à l’alternance par les urnes et s’y engagent et, en les traitant de participationnistes, les abstentionnistes estiment que l’illusion de l’alternance prônée par les participationnistes est suicidaire pour la nation togolaise. Ainsi, le fossé se creuse davantage du fait de la guéguerre entre participationnistes et abstentionnistes. Or, il est connu de tous que « tout combat mené dans la division et le désordre est toujours voué à l’échec ». C’est dire qu’en restant dans la logique d’abstentionniste ou de participationniste, chacun se croyant plus illuminé que l’autre, dans ce schéma, aucun changement nepourrait être espéré. Par contre, dans la synergie des efforts avec les nouvelles vagues de contestation du régime déclenchées le 19 août 2017, le pouvoir togolais a pu lâcher du lest. Aujourd’hui, bien que ce soit une satisfaction à minima, certains parlent de « victoire d’étape ».
Alors, imaginons un seul instant que dans une bonne organisation sur l’ensemble du territoire national, le peuple togolais qui en août 2017, s’est soulevé comme un seul homme contre le régime des Gnassingbé, se retrouve cette fois-ci engagé dans la dynamique des présidentielles 2020 en occupant du terrain, votant et se mobilisant pour défendre de leur vote, n’y a-t-il pas espoir de créer quelque chose de sans-précédent ? « L’avantage de ressources humaines et de moyens pour la sécurisation des résultats des urnes passent forcément par la synergie des forces opposées à ce système. Mais on nous dira qu’il n’est pas possible que les crabes et les grenouilles cohabitent ensemble. Alors, on attend le seul hercule politique qui pourra tout seul un jour nous permettre de nous libérer avant l’an 3000 », ironise un observateur de la politique togolaise avant de crever cet autre abcès : « Nous savons tous quoi faire pour provoquer l’alternance mais les leaders de l’opposition sont trop imbus de leur personne pour travailler dans le sens de l’union… UNIR a du boulevard si les gens n’arrivent pas à se recréer alors qu’il est encore temps ». En se mobilisant, il y a quelques mois pour crier : Non au 4e mandat de Faure Gnassingbé, l’occasion s’offre alors au peuple togolais de matérialiser cela par un vote sanction. L’heure du peuple a donc sonné. Alors, non à l’abstention, parce que, historiquement, chaque boycott d’élections a toujours profité au système RPTUNIR. Ainsi, la participation de l’opposition à l’élection présidentielle 2020 ne saurait être interprétée comme un acte de légitimation du pouvoir togolais. Le mot d’ordre aujourd’hui est de voter et de rester mobilisé. Le reste sera plus tard décidé.
Syvestre Beni
Source : La Manchette
Source : 27Avril.com