Si le Togo était à son tout premier plan ou programme de développement, on comprendrait encore. Ni les DSRP (Document stratégique de réduction de la pauvreté) successifs, ni la SCAPE (Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi) n’ont nécessité autant de castagnettes, de cymbales et de tambours ; et pourtant, c’étaient des programmes qui, s’ils étaient rigoureusement suivis, allaient profiter au Togo. Depuis mars dernier, le pays ne vit qu’au rythme du Plan national de démocra…, oh pardon, de développement (PND). Mais en réalité, le théâtre a commencé bien avant. Le forum politique de haut niveau (FPHN) de décembre 2018 avait très tôt compris qu’avec ce PND, ce sont 1,5 million d’emplois garantis et qu’il constitue le cadre de référence pour l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD). Autant dire tant pis pour le reste des pays qui n’ont pas de PND !
Comment la « minorité qui accapare les richesses du pays » allait s’y prendre s’il n’y avait pas d’échéances électorales qui pointent à l’horizon ? Mais même avec ces prochains rendez-vous, lesquels se suivent et se ressemblent –à la fin, on sait le parti qui sera gagnant-, le gouvernement n’a pas hésité à procéder à des augmentations tous azimuts de certains biens, corsant le quotidien déjà tendu du citoyen lambda.Sans aucune consultation. Tout comme il est à cheval pour « imposer » le PND de Faure Gnassingbé [Ndlr, « Je suis très confiant pour le Plan national de développement du Président », dixit Tony Blair] aux populations.Or, selon Isabelle Lacroix et Pier-Olivier St-Arnaud, la gouvernance est « l’ensemble des règles et des processus collectifs ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en œuvre des actions publiques. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir ». Malheureusement, le peuple, premier acteur, semble totalement ignoré à l’élaboration du PND, mais se voit appelé à réserver un accueil chaleureux et authentiquement togolais à ce Plan. Drôle de gouvernance.
Un rapport issu d’un Forum politique de haut niveau et portant sur certains Objectifs de développement durable a été produit en décembre dernier. On y découvre par exemple que l’une des initiatives et mesures prises en vue de la mise en œuvre efficace des ODD est l’élaboration et l’adoption du Plan national de développement (PND 2018-2022). Et que « conformément à la vision 2020 de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine (UA) et à l’Agenda 2030 des Nations-Unies pour le développement durable, ce nouveau cadre entend concilier les notions d’« émergence » et de « développement durable » tout en se focalisant sur la transformation structurelle de l’économie, pour une croissance forte, durable, résiliente, inclusive, créatrice d’emplois décents et induisant l’amélioration du bien-être social ». Que des adjectifs reluisants et ronflants. Seulement, et nous l’avons relevé la semaine dernière, sont-ce les 5,5% de projection de croissance qu’on tente de qualifier « forte, durable, résiliente, inclusive, créatrice d’emplois décents » ? Ce n’est pas nous qui inventons ce taux, mais bien les perspectives du FMI à moyen terme.
Mais quand on pousse l’outrecuidance jusqu’à avancer des chiffres de création d’emplois, il y a de quoi demander des clarifications aux concepteurs de ce PND. « A terme, le PND permettra de créer 1 500 000 emplois (y compris les emplois indirects et les activités génératrices de revenus) ». On est où ???
Le passé récent du Togo permet d’afficher des moues dubitatives quant à ce chiffre qui est loin de reposer sur des bases arithmétiques. Possible que ce soit sur des bases politiques, des élections arrivant au galop et de la farine devant être jetée aux yeux des non avertis.
Les DSRP avaient-ils été respectés ? Et la SCAPE ? Les équilibres budgétaires sont-ils tenus ? Les volontaires que le gouvernement avait brandis sont-ils devenus des travailleurs permanents ? Le fameux Programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire (PNIASA) avait-il fait d’heureux cultivateurs et le taux de croissance tant vanté est-il au rendez-vous à l’heure du bilan ? La réponse par l’affirmative à une seule de ces interrogations donnerait de l’espoir que cette fois-ci sera la bonne.
En considérant les données de 2017, le Togo compterait 7,798 millions d’habitants, on peut alors dire sans se tromper qu’avec le PND et à terme, 19,23% de la population totale trouvera un emploi décent. Du jamais vu nulle part ailleurs dans le monde. On comprend mieux le rapport du forum qui dit que « le PND constitue le cadre de référence pour l’atteinte des ODD » ! Comme les Togolais l’avaient chanté dans une totale ignorance, « Sans Eyadema, que serait le Togo » ? « Sans le PND, que seraient les ODD » ?
Dans l’ouvrage « L’envol de l’Epervier/ Le défi de l’émergence togolaise », il est écrit : « Le Togo, quant à lui, ne peut s’inscrire dans un modèle de « dictature émergente » à la chinoise, même si l’idée pourrait paraître alléchante aux dirigeants du pays ».
Une bonne gouvernance politique a assurément des effets sur la gouvernance économique. Et même si « la minorité qui a accaparé les richesses du pays » tente de présenter le PND comme la solution à la situation d’indigence du Togo, l’état du pays démontre que le mal n’est pas économique, mais bien politique. Autrement, il n’y aurait aucune conditionnalité avec les partenaires économiques et financiers ; Paris aurait pu servir de cadre de rencontre pour la mobilisation des ressources auprès de bailleurs et le « PND Tour » n’aurait plus sa raison d’être. « Somme toute, au regard des attentes légitimes des populations et de nombreux défis de développement qui attendent le Togo, la réalisation de toutes ces initiatives et mesures nécessiteront des moyens importants, la mobilisation de tous les acteurs et la synergie d’actions. A cet égard, le Gouvernement togolais entend renforcer ses actions de mobilisation de ressources internes et espère l’appui et l’accompagnement de la communauté internationale notamment les partenaires techniques et financiers », renseigne le FPHN.
Justement, le plus grand défi de développement du Togo commence par l’alternance au pouvoir. L’urgence n’est point le Tour du Togo, que dis-je, le PND-Tour, mais bien la consécration de l’alternance au sommet de l’Etat. C’est la force de redistribution des richesses la plus reconnue : quand après une décennie, une autre équipe dirigeante arrive aux affaires, leurs entourages aussi goutent aux délices de la gestion. Ce faisant, ce ne sera plus seulement une minorité qui accaparera les richesses du pays. Autrement, le risque d’instabilité sociopolitique du fait du chômage alarmant du nombre de jeunes restera suspendu telle une épée de Damoclès au-dessus de la tête des dirigeants.
Pour rappel, ce sont les ODD 6 ; 7 ; 11 ; 12 ; 15 et 17 qui ont fait l’objet du FPHN.
Abbé Faria
Source : Liberté
27Avril.com