TOGO : plan de sortie de crise dicté par Sélom Klassou : De lourdes fautes morales, éthiques, tactiques, civiques des syndicats de l’éducation

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« Toute destruction brouillonne affaiblit les faibles, enrichit les riches, accroît la puissance des puissants » pour affronter ceux qui ont la culture de l’arbitraire, régler les situations d’injustice dont ils se couvrent avec l’illusion de la puissance, il faut être audacieux, fou, lucide, perspicace, méthodique, froid et tranchant. Les autocrates ne cèdent rien sans une véritable coercition. La pression sans répit pour leur arracher le gain du combat est la vraie méthode de l’étouffement et de leur reddition comme le souligne Jean Paul SARTRE, dans Le Diable et le Bon Dieu.

Quand on tient le bon d’une gigantesque mobilisation approuvée par tout un peuple, les parodies de solution, les mesures biaisées, les vérités obscures, les oublis volontaires, les indulgences coupables, les incertitudes fâcheuses procèdent d’un dépérissement du combat

Nous ne disons pas en effet que la lutte syndicale se passe de toutes concessions. Mais, les questions essentielles ne peuvent être savamment écartées pour un remplissage oiseux du subsidiaire. Il faut savoir ce que l’on veut sans fléchir, sans s’abaisser, sans détruire la ligne de défense qui oblige l’oppresseur à s’incliner.

La Coordination des syndicats de l’éducation du Togo (CSET) et la Fédération de l’éducation nationale (FESEN) doivent connaitre parfaitement la fonctionnalité du régime de la liturgie du faux qu’elles affrontent et qui abuse de tous nos concitoyens pour mieux armer la massue à lui briser les mains calleuses de l’oppression et de l’exploitation de masse dont il tire les ressources de sa jouissance dionysienne.

Aucune lutte contre le vampirisme d’Etat n’aboutit en gagnant des chefs du système « cannibaliste » mais en remuant fortement des masses, on parvient à réaliser des mutations substantielles en faveur du droit et des libertés.

Par conséquent, ceux qui tiennent la mobilisation dans le feu de l’adversité et qui paient un lourd tribut de la répression ont besoin de respect, de solidarité, d’accompagnement. Ils sont les vrais héros du combat. Il n’y a aucune raison pour la CSET et la FESEN d’exclure des conditions de possibilité de la reprise des classes la libération immédiate et sans condition des élèves jetés en prison pour réclamation de leurs enseignants grévistes. La CSET et la FESEN ont-elles déjà oublié les martyrs de l’éducation togolaise SINANDARE et SINALENGUE ?

La faillite d’un cran de solidarité avec les élèves ne pose-t-elle pas aux enseignants du Togo une véritable question morale, éthique, civique ?

Quelle dimension humaine les enseignants font-ils preuve et qu’est-ce qu’ils éprouvent en regardant dans les yeux des élèves en classe, ainsi dans ceux des parents d’élèves qu’ils rencontrent fortuitement çà et là ?

Comment peuvent-ils accepter d’aller donner des cours en frappant de privation supplémentaire ceux qui ont perdu leur liberté dans le soutien au mouvement syndical ?

Quel gage la CSET et la FESEN ont-elles sur l’obtention du statut particulier de l’enseignant et de son application au regard du sort de celui des policiers du Togo ?

1) Faute morale

La morale est l’ensemble ses règles de bienséance qu’observe un groupe social pour son harmonie comme par exemple le respect de la vie, le respect de soi et des autres, la culture de la vertu, le courage, la solidarité, la recherche du souverain bien. Chez VOLTAIRE, autant que chez ROUSSEAU, l’idée du bien est naturellement et souverainement en chacun de nous. Nous en faisons l’expérience à travers nos sensations. Il suffit de choisir de la défendre en tant qu’agent moral pour nous préserver et préserver les autres. Nous pouvons être en harmonie avec nous-mêmes et éviter de faire souffrir les autres

L’universalité de la morale est proclamée par Emmanuel KANT, dans La Critique de la raison pratique. Elle se résume en cette phrase avant tout acte : « Et si tout le monde en faisait autant ». Ce guide intérieur nous prête les garde-fous de l’action juste et efficace. Il peut être érigé en règle universelle dans l’autonomie de notre conscience. L’acte raisonnable, propre et efficace est en nous. Nous devons en faire usage pour marquer la valeur de notre action, de nos choix.

L’acte de convenance peut s’apprendre dans les codes et dans les normes sociales ; nous pouvons aussi le découvrir en nous-mêmes. Par conséquent, le champ de connaissance morale n’est pas du tout étroit. C’est pourquoi nous ne comprenons pas comment des enseignants en sont si dramatiquement sevrés sans activer l’autonomie de leur raison dans le champ de réflexions et d’actions qui sont le leur. Aussi ont-ils refusé des règles de bienséance dans les conditions de reprise des cours en se passant d’une solidarité indéfectible à l’endroit des élèves jetés en prison pour soutien à la grève. Comment ne pas se souvenir de SINANDARE et de SINALENGUE, les martyrs de notre éducation qui ont été tués dans les mêmes conditions de réclamations des professeurs dans les classes pour délivrer, avant toute reprise des cours, ceux qui souffrent dans les cachots insalubres ?

Cette monstruosité comportementale est une cruauté à l’état pour, parce que le supplice des lieux fortement insalubre détruit facilement les plus faibles, et les élèves en font partie. La CSET et la FESEN, quelle honte ! Elles ont failli gravement à leur responsabilité par ce machin de moratoire au gouvernement qui fait pourrir des enfants en prison pour quatre jours supplémentaires avant l’hypothétique réaction en faveur de leur libération. On ne se rachète jamais de l’irréparable !

Ce que les phénoménologues HUSSERL et HEIDEGGER appellent le « mitsein », c’est l’ « entièreté » de nos rapports avec les autres, le caractère inséparable de notre propre définition par rapport aux autres. Les professeurs se définissent comme tels, parce qu’il y a des élèves et inversement. La motivation de réclamation des élèves qui exigent le retour des professeurs dans les classes devrait déterminer les professeurs à être intraitables sur la question de libération sans condition des élèves avant toute chose. Nous ne savons plus dans quelle catégorie morale classer la culpabilité de la CSET et de la FESEN dans leur moratoire adressée au gouvernement. Blaise PASCAL a tout à fait raison de se moquer de l’insoutenable légèreté mentale et des arguments vaseux lorsqu’il écrit dans ses Pensées : « Plaisante raison qu’un vent manie, et en tout sens ».

2) Faute éthique

L’intelligence de règlement de la question humaine est l’éthique. Elle protège la vie, les plus faibles et combat l’inclination à la cruauté, au bouc-émissaire. L’éthique est un pouvoir de discernement qui accorde une primauté à la vie, à sa défense. Elle est le complément indispensable de l’action de justice. La morale sèche et les lois ne suffisent pas à explorer les circonstances particulières des évènements et des décisions. Le sceau de la vertu pour pallier les insuffisances de la loi, du droit est le sens de l’équilibre qui fait l’équité, c’est-à-dire, l’expression de l’éthique. L’exercice de la légitime-défense face à un agresseur qui porte une arme sur moi ne m’autorise pas à des excès, à le massacrer. La proportion de ma réaction à le désarmer sans chercher à lui ôter forcément la vie est le discernement circonstancié qui fait l’éthique.

Ce discernement circonstancié a cruellement manqué à la CSET et à la FESEN qui ont cru avoir obtenu des gains de la grève des enseignants en excluant de facto des conditions de reprise des cours le recouvrement absolument nécessaire de la liberté de ceux qui ont été le moteur des résultats de la grève et qui sont jetés en prison. Comment les syndicalistes peuvent-ils se permettre de jouir des gains de leurs réclamations sans célébrer ceux qui les ont fortement aidés, sans louer leur solidarité ? Ce dessèchement humain est une cruelle absence d’éthique. Quel regard ces syndicalistes ont-ils sur les parents d’élèves et les élèves qui réclament la libération de leurs enfants et de leurs petits camarades ?

Les syndicalistes n’ont pas du tout compris la fonctionnalité de ce régime vindicatif qui veut leur couper tout soutien, la base grouillante dans la rue et qui frappe son sommeil de cauchemars. Partout sur les réseaux sociaux, le monde a plutôt vu, trente sept jours durant, des élèves envahir les rues de nos principales villes et agglomérations. Les syndicalistes n’ont impressionné personne, pas plus que le régime d’effraction, des transgressions. On s’interroge sur l’état d’âme des syndicalistes qui ont si vite oublié le mérite des élèves et le devoir de solidarité qui leur incombe. Dispenser uniquement le savoir, c’est trop peu pour être un enseignant. Susciter l’intelligence en toutes circonstances, c’est former à l’efficacité du choix, de la décision, de l’action. Cette dimension de l’éducation fait gagner partout dans la vie. Elle est la seule qui inspire le respect, l’administration de la fonction enseignante. Les syndicalistes de l’éducation se sont exposés sans s’imposer, parce qu’il leur manque ce supplément de l’intelligence qui est l’éthique, l’art de formuler la sentence sur la base de l’équilibre, de l’équité. Ils ont fait une plate révolution en contraignant l’oppresseur à céder sur certains points de leurs revendications et en reléguant à la périphérie de leurs préoccupations la vie de ceux qui les ont notablement aidés. SAINT-JUST, dans les Fragments sur les institutions républicaines les prévient : « Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau ».

Par manque de lucidité éthique des enseignants, le pouvoir a retourné les élèves contre eux, autant que les parents d’élèves. On verra comment la CST et la FESEN, dans le volet des promesses, les leviers dont elles se serviront pour forcer la main à un pouvoir réfractaire au bon sens.

3) Faute civique

L’éducation est un droit inaliénable à la condition citoyenne. Les syndicats ont le devoir de faire prendre conscience aux Togolais de la valeur de ce droit. Les élèves, dans leurs motivations de réclamation des enseignants dans les classes ont fait la preuve d’une haute conscience citoyenne. Leurs manifestations bruyantes pour inciter leurs camarades des écoles privées à sortir pour les soutenir se comprend en ce sens qu’ils n’admettent pas « l’apartheid » dans l’éducation en République.

Au lieu de s’inscrire dans le même schéma civique, les syndicats se sont détournés de la grandeur civique et se sont dévoyés dans une étroitesse d’esprit égocentrique fort répréhensible pour sérier leur auditoire en abandonnant les héros de la pression citoyenne dans le gouffre du désespoir.

Le devoir de mémoire pour ceux qui sont morts pour l’éducation ou pour la République est aussi un acte civique. Anselme SINANDARE, cet enfant de douze ans tué dans la répression fauve pendant qu’il réclamait le retour des enseignants dans les classes, il y a peu, n’est pas non plus une référence de protection syndicale des élèves. Comment pouvons-nous oublier SINANLENGUE, tué dans les mêmes conditions? Le civisme fonctionne dans le respect de l’histoire commune et des souvenirs qui servent à donner une référence à la République pour construire le vivre-ensemble et l’avenir. Comment fonctionnent-elles la CSET et la FESEN sans le respect des martyrs de l’éducation ? C’est ce respect qui doit les éveiller à la protection des élèves.

Si le socle des martyrs de l’éducation ne constitue pas pour les syndicats des ressorts précieux dans leur combat, ils ne sauraient tenir leur rang de grandeur. Ils ne peuvent, par voie de conséquence, intégrer dans leur lutte l’indispensable complétude éthique, morale, civique.

Kanfoire KINANSSOA, Kanloklare SAYABIA, Gbiak MINDARE, au cœur lacéré au purgatoire de la prison, n’avaient pas besoin d’y passer une minute de plus, quand la CSET et la FESEN avaient décidé la suspension de la grève. MONTHERLAND, dans Le Cardinal d’Espagne, nous apprend que « Les jeunes gens n’ont pas besoin des maîtres à penser, mais des maîtres à se conduire ». Nous disons qu’ils ont autant besoin des maîtres à, penser que de maîtres à se conduire. L’attitude des syndicats de l’éducation vis-à-vis des héros de la mobilisation est une cruauté. Il n’est pas civique d’éduquer un enfant à la légèreté, à la cruauté.

Le séjour des élèves en prison sans l’exigence de leur libération comme condition de suspension de la grève est une culpabilité inexpiable pour les syndicats. Le manque de discernement, l’absence de dignité et de responsabilité, l’impuissance de l’intelligence font courir à l’homme le risque de tout perdre. Le contentement de peu dans une obscure stratégie a flétri le combat. Le statut particulier de l’enseignant est renvoyé à l’année scolaire prochaine. Il risque de subir le même sort que celui des policiers qui ne disposent d’aucun moyen de pression pour son application.

Source : Alternative

 

 

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