Il fait partie des ministres du gouvernement togolais dont la seule évocation de son nom suscite indignation, colère et réprobation au sein de la population au regard des multiples casseroles qu’il traine surtout dans la réalisation des infrastructures routières au Togo. La route Lomé-Vogan-Anfoin et le grand contournement de la Faille d’Alédjo demeurent des scandales de la République à son actif. Lui, c’est Ninsao Gnofam, ministre du Transport et des Infrastructures. Son passage à l’Assemblée Nationale le jeudi 28 juin dernier pour répondre à l’interpellation du gouvernement dans l’affaire Bolloré, a démontré que le Togo est devenu une proie facile à la merci des individus peu recommandables.
Jeudi à l’Assemblée Nationale, les députés Jean Kissi du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) et Me Isabelle Améganvi de l’Alliance Nationale pour Changement (ANC) ont interpellé le ministre Ninsoa Gnofam sur l’affaire Vincent Bolloré.
Au cours des débats de la 9ème séance plénière de la première session ordinaire de l’année 2018, les deux députés de l’opposition ont demandé à connaître la nature et le contenu du contrat de concession du port de Lomé au groupe Bolloré Africa Logistics, notamment la procédure de concession, les éléments ayant trait à l’appel d’offres, les montants des redevances annuelles versée par la société à l’Etat, la composition des actionnaires des sociétés intervenant au port de Lomé et la communication de tous les documents de cette concession à la représentation nationale.
Le ministre Ninsao Gnofam, en tentant de répondre aux questions des députés, a d’emblée précisé que les ennuis judiciaires que connaît le milliardaire français n’a rien avoir avec l’Etat togolais.
« Cette affaire est une affaire franco-française. On dit corruption d’agent public étranger, est-ce que nous sommes vraiment concernés ? Non. Ce n’est pas parce qu’on a cité le port de Lomé dans le dossier qu’on doit se culpabiliser. Rien ne nous inquiète. Puisque nous disons que si les autorités judiciaires françaises, dans le cadre de la coopération judiciaire internationale, demandaient aux autorités judiciaires togolaises de coopérer, nous allons coopérer. Nous ne nous reprochons de rien. Les domaines d’intérêts stratégiques n’ont pas besoin d’appel d’offres », a lancé le ministre.
Selon l’émissaire du gouvernement, « le groupe Bolloré a versé plus de 14 milliards FCFA d’impôts à l’Etat et 84 milliards FCFA au titre de redevance au Port Autonome de Lomé pour un chiffre d’affaires cumulé de 370 milliards FCFA. Dans le cadre de la construction du 3ème quai, Bolloré a réalisé des investissements pour un peu plus de 150 milliards FCFA. Mais par contre, le Terminal à Container économiques au PAL. Il y a le groupe Bolloré à travers sa filiale de Togo Terminal et le groupe MSC à travers sa structure de Lomé Container Terminal. Et les investissements ne sont pas les mêmes ».
Parlant de la concession de 35 ans faite au Groupe Bolloré, le ministre Gnofam a préféré ironiser. Pour lui, le secteur concerné n’est pas comparable à la « vente de cacahouètes» au bord de la route dans laquelle le vendeur peut faire un retour sur investissement à la fin de la journée.
« Quand on réalise des investissements de cette taille, il ne faut pas demander à l’opérateur qu’il doit rester pour 10 ans. Personne ne vous acceptera cela. Vous n’aurez pas de partenaire pour des investissements de ce genre. On n’est pas dans le domaine du commerce, où on va acheter de cacahouètes, vendre au bord de la route et dire que je suis sûr que s’il y a le marché, je peux vendre mes cacahouètes, et à la fin de la journée, je serai en mesure de rembourser. Ici, c’est des investissements lourds », a-t-il justifié.
Des révélations contradictoires
Pour le banquier Gnofam, l’Etat togolais n’a pas à opiner sur une affaire franco-française et que la corruption d’agent public étranger dont on parle, le Togo n’a rien à se reprocher.
Comment peut-on banaliser un dossier aussi grave de cette manière ? Une affaire de corruption au Togo est sanctionnée par la loi contre la corruption et les infractions assimilées adoptée en 2016. La justice togolaise doit se saisir de cette affaire pour investigation.
En outre, pour lui, la construction du 3ème quai relève d’un avenant qui résulte de la Concession du Port Autonome de Lomé (PAL) accordée en 2001 à la société Bolloré, concession qui concerne une emprise au niveau du Port destinée à la construction du MAD.
M. Gnofam affirme que la Concession d’un Terminal à Containers au Groupe Bolloré a été faite entre 2001 et 2003 au moment où il n’y avait pas de texte règlementant l’attribution des marchés publics et les règles en vigueur à l’époque avaient été appliquées par l’Etat togolais.
La même personne déclare que « les domaines d’intérêts stratégiques n’ont pas besoin d’appel d’offres ». Voilà des argumentaires unijambistes facilement démontables. Que de contre-vérités ! En réalité, c’est la décennie de guerre en Côte d’Ivoire qui a orienté le transport maritime vers le PAL entraînant le décuplement du trafic grâce à ses atouts. C’est à la suite de ces avantages spontanés que le Groupe Bolloré a trouvé opportun en 2009 la construction du 3ème quai. En clair, le Projet de la construction du 3ème quai n’a rien avoir avec la concession de 2001. Il s’agit d’un nouveau projet pour la simple raison qu’un simple avenant ne peut aucunement dépasser le contrat initial si ce n’est le bradage du patrimoine de l’Etat.
Contrairement aux 300 milliards annoncés le jour de l’inauguration du 3ème quai remboursable en 35 ans, le contrat désormais aux mains de la justice française, le ministre Gnofam parle de 150 milliards. Et si c’est le cas, pourquoi ne pas dévoiler le contrat qui lie l’Etat togolais au Groupe Bolloré au lieu d’ironiser que le secteur concerné n’est pas comparable à la vente de cacahouètes ?
Plus cocasse, l’ancien agent de la BTD a informé la représentation nationale que jusqu’au 28 avril 2018, le Groupe Bolloré a versé pour le compte des impôts 14 milliards et 84 milliards de redevance au Port ces dernières années.
Malheureusement, aucune trace de ces fonds n’a jamais été retrouvée dans les documents officiels notamment les différents budgets de l’Etat depuis 2014 au moins.
Plus grave, le suffisant Gnofam renvoie les députés dans les bilans du Port pour vérification. Ce qui a d’ailleurs agacé le chef de file de l’opposition Jean-Pierre Fabre qui lui a rappelé que conformément à la loi N°2016-006 du 30 mars 2016 portant liberté d’accès à l’information et à la documentation publique, il est de son devoir de fournir les informations aux députés. Toutes les contributions des grandes sociétés sont retracées dans le budget de l’Etat. En 2017 par exemple, la Brasserie BB Lomé a contribué à hauteur de 3 milliards 749 millions, Shell Togo 62 millions 586 mille, Ecobank-Togo 227 millions 685 mille FCFA… Pour le ministre Gnofam, le Groupe Bolloré avait versé 14 milliards entre 2011 et 2018 soit en moyenne 1 milliard 100 millions par an. Et cela devait figurer dans les différents budgets, mais rien du tout. Cela suppose qu’il existe alors des recettes parallèles qui ne rentrent pas dans le budget pour les dépenses publiques. La semaine dernière, ce sont 8 milliards de crédit sur TVA de la SNPT non retracés. Aujourd’hui, 14 milliards du Groupe Bolloré. Et après ?
On comprend facilement les récriminations de General Financial Investigate de Hellen Clark qui indiquent qu’en moyenne il y a mille milliards de flux illicites au Togo par an.
S’agissant des 84 milliards de redevances de Bolloré au Port, des députés étaient choqués que depuis quatre ans, les dividendes du Port versées au budget national n’ont jamais dépassées 1,5 milliards par an. Si Bolloré seul verse plus de 9 milliards en moyenne par an à titre de redevance, il y a lieu de réfléchir sur les procédures d’encaissement au PAL.
Le même Gnofam avait déclaré aux députés en 2016 que les bateaux en rade au niveau du PAL qui sont une activité connexe portuaire rapportent 1500 dollars par bateau chaque deux semaines avec en moyenne cent bateaux. Un simple calcul rapide donne 2 milliards 300 millions par an pour une simple activité connexe.
Comment comprendre alors qu’avec tout cela, le PAL n’est même pas en mesure de verser au moins 2 milliards au budget national ? En 2017, il a encore envoyé 1,4 milliard moins que les activités connexes relatives aux bateaux en rade. Où sont les fonds de stockage, magasinage, capitainerie, débarquage, de transfert ? Que rapportent finalement toutes ces activités ? Il faut que ceux qui détournent les deniers publics se mettent dans la tête que tôt ou tard, ils seront rattrapés par leur passé.
Quant à Ninsao Gnofam, son show malodorant n’a fait qu’enfoncer le pouvoir qu’il a rejoint armes et bagages au détour de l’élection présidentielle de 2010.
Kokou Agbemebio
Source : Le Correcteur No.826 du 02 juillet 2018
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