Les députés « nommés » de la 6e législature ont adopté, ce mercredi tard dans la nuit, et dans des conditions obscures, les tant attendues réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales. Et c’était, dit-on, à l’unanimité des députés présents. C’est la grande jubilation au sein du sérail, comme si on venait de décrocher la lune pour le bonheur des populations togolaises. Loin de ces émotions, et en attendant les analyses poussées sur l’ensemble de ces réformes plébiscitées par les députés « UNIRcolores » et certains articles, l’essentiel des modifications apportées à la Constitution, avec des aberrations introduites qui suscitent dégoût…
Les réformes enfin adoptées
« Nous l’avons fait avec le souci constant de l’intérêt général. Si tel est le cas, nous pouvons dire avec audace que la véritable sagesse, celle qui guérit les maux et assure la paix, consiste à préférer l’utile à l’éclat contextuel et non structurel. Certes nous n’étions pas d’accord sur tous les points évoqués, mais je salue l’esprit de fraternité et de dialogue dont nous avons fait preuve. Je tiens donc à vous exprimer toute ma reconnaissance pour la belle image que nous avons offerte au monde entier. Soyons comblés pour le travail accompli et que se répande maintenant la lumière qui a guidé nos travaux sur l’ensemble du pays ». Telles étaient les déclamations de la présidente de l’Assemblée « UNIRcolore », Mme Yawa Tségan Djigbodi, à l’issue du vote nocturne consacrant l’adoption des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales attendues depuis l’Accord politique global (APG) du 20 août 2006.
Même son de cloche chez la plus grande gueule du pouvoir. « Bravo à notre Assemblée nationale pour l’adoption des réformes constitutionnelles, dans le strict respect de l’esprit et de la feuille de route de la CEDEAO, à l’issue d’un débat démocratique et républicain qui honore la représentation nationale. La majorité parlementaire a assumé avec élégance et dignité son rôle, exerçant dans leur plénitude mais avec pondération et responsabilité les droits et libertés que lui confèrent la constitution et le règlement intérieur, à travers des amendements (…) Elle est restée à l’écoute des arguments et positions défendus par toutes les tendances et sensibilités qui se sont exprimées dans l’hémicycle et en dehors, sans se laisser distraire par les agitations. Elle a surtout été attentive aux aspirations et attentes de nos concitoyens », a chanté Gilbert Bawara sur son compte Twitter.
Les députés « nommés » de la 6e législature ont en effet procédé, ce mercredi très dans la nuit aux environs de 23 heures, à l’adoption des réformes. Plus qu’un simple vote, il s’agit en fait d’un plébiscite du texte par les députés présents (89 plus une procuration) sur les 91 en tout. Suffisant pour crier victoire. La chose est présentée comme le Saint-Graal décroché par l’Assemblée, la lune décrochée pour le bonheur des populations togolaises. On va jusqu’à parler de modernisation des institutions. Mais ces réformes ont été adoptées dans des circonstances totalement obscures.
Depuis la mi-journée de mercredi, l’on savait que la proposition cocasse de septennat de Pacôme Adjourouvi qui a défrayé la chronique a été retirée – en fait une simple mise en scène pour simuler que les débats ont été houleux – et que le pouvoir RPT/UNIR a réintroduit le quinquennat. Mais il revient que les députés convoqués en session ce jour ne connaissaient pas vraiment l’ordre du jour et surtout la quintessence de toutes les réformes qu’ils seront finalement appelés à voter – ce n’était d’ailleurs pas l’essentiel pour eux. A en croire des sources, le texte était encore au sein de la Commission des lois et le rapport n’était pas encore rédigé. Tout porte à croire que le texte final est venu, comme dans une secte, du grand gourou et les députés nommés ont été simplement appelés à l’adouber. « Ce n’est pas du tout sérieux, la Constitution d’un pays est sacrée (…) », déplore un observateur.
L’essentiel à retenir, au demeurant, c’est que ces réformes sont, enfin, adoptées, mettant un terme au débat qui dure depuis treize (13) ans. Rien de plus.
Les nouvelles dispositions, les aberrations…
On s’attendait à une dizaine d’articles à peine à être modifiés et qui concentrent l’essentiel des réformes attendues : durée du mandat présidentiel, limitation, verrou de cette limitation, scrutin à deux tours, entre autres. Mais le pouvoir Faure Gnassingbé en a fait un fourre-tout. Ce sont au total vingt-neuf (29) articles de la Constitution de 1992 qui ont été l’objet de modifications. Il s’agit, dans l’ordre, des articles 13, 52, 54, 55, 59, 60, 65, 75, 94, 100, 101, 104, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 115, 116, 117, 120, 125, 127, 128, 141, 145, 155 et 158.
Contrairement aux racontars de Bawara, ce qu’il faut déjà relever, c’est que le texte de la CEDEAO qui a pris en compte les aspirations du peuple togolais à l’alternance et a été avalisé par l’opposition et l’ensemble des forces démocratiques, a été mis à la touche. Le texte adoubé est en tout cas à des années-lumière de la proposition de l’expert Alioune Badara Fall et fait les affaires de Faure Gnassingbé. C’était d’ailleurs le dessein de longue date du régime en place, avec les manœuvres enclenchées autour de cette proposition de l’instance communautaire. Mais, comme depuis un moment, c’est le silence de la part de la CEDEAO et de la communauté internationale sur ce tour de passe-passe réalisé par l’ « homme simple ».
Dans le fond, la nouvelle Constitution adoptée consacre bien le quinquennat (article 59), comme on s’y attendait depuis des lustres, et le scrutin à deux tours (article 60), en fait les deux questions phares des réformes attendues. Le texte reste néanmoins moins ferme sur l’intangibilité du verrou, et c’est Faure Gnassingbé qui doit sourire.
Par ailleurs, un clin d’œil a été fait aux députés aussi pour une plus conséquente longévité, avec l’article 52 où leur mandat est porté de cinq (05) à six (06) ans et renouvelable deux (02) fois. « Les députés sont élus au suffrage universel direct et secret pour un mandat de six (06) ans renouvelable deux (02) fois. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière. Tout mandat impératif est nul », dixit l’alinéa 1er dudit article. En clair, un député peut se faire élire dix-huit (18) ans durant. Tout une carrière donc.
Certains articles sont scandaleux et suscitent dégoût et révolte. Le 75 par exemple taille une place excessive aux anciens Présidents de la République et surtout leur consacre l’impunité totale, et pour la vie : « Les anciens Présidents de la République sont, de plein droit, membres à vie du Sénat. Ils ne peuvent être ni poursuivis, ni arrêtés, ni détenus, ni jugés pour les actes posés pendant leurs mandats présidentiels. Ils prennent immédiatement rang et préséance après le Président de la République en exercice dans l’ordre inverse de l’ancienneté du dernier mandat, du plus récent au plus ancien. Une loi organique détermine le statut des anciens présidents de la République, notamment en ce qui concerne leur rémunération et leur sécurité ». Une première sans doute dans le monde.
Autre aberration, l’article 158 nouveau qui annule les mandats déjà effectués par les députés et le Chef de l’Etat, ou ceux en cours. « La législation en vigueur au Togo jusqu’à la mise en place des nouvelles institutions reste applicable, sauf intervention de nouveaux textes, et dès lors qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution. Les mandats déjà réalisés et ceux qui sont en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi constitutionnelle ne sont pas pris en compte dans le décompte du nombre de mandats pour l’application des dispositions des articles 52 et 59 relatives à la limitation du nombre de mandats », statue la nouvelle disposition. En clair, les députés actuels, après avoir bouclé ce mandat de 5 ans, peuvent postuler à trois législatures de six ans de suite, ce qui ferait en tout vingt-trois (23) ans. Faure Gnassingbé lui-même, au terme de son 3e mandat en 2020, pourra donc postuler à deux nouveaux quinquennats sur la base de la nouvelle Constitution ; ce qui lui fera au total vingt-cinq (25) ans de régence, en attendant qu’il avise en 2030…Qui voit le rapport ?
Tino Kossi
Source : Liberté No.2918 du 10 mai 2019
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