L’exclusion de 137 enseignants la semaine dernière par le ministre Gilbert Bawara porte déjà « ses fruits ». Dans la région des Savanes, un professeur de philosophie est mis à cheval entre les lycées Barkoissi et Nagbéni. Deux localités distantes de 17 km et raccordées par une route en piteux état. Les missiles de Kokoroko sont très dévastateurs pour le système éducatif togolais et pire que ceux lancés en Ukraine.
Une action irréfléchie, injuste et empreinte d’abus de pouvoir. C’est ce que la majorité des Togolais ont déploré à la suite de l’exclusion de la fonction enseignante de 137 enseignants remis à la disposition de la Fonction publique. « Les agents ci-après désignés, en service au ministère des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat, sont relevés du cadre des fonctionnaires de l’enseignement, pour agissements et comportements répétitifs incompatibles avec les aptitudes et exigences attachées au métier d’enseignant et mis à la disposition du ministère chargé de la fonction publique », précise un arrêté.
La note a été signée par le ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social, Gilbert Bawara qui s’en est même vanté sur son compte twitter. « Ce mercredi 30 mars 2022, en application des textes en vigueur, j’ai signé un arrêté portant mesures administratives et excluant du cadre des fonctionnaires de l’enseignement cent trente-sept (137) enseignants désormais mis à la disposition de l’administration générale », a tweeté Gilbert Bawara. Le ministre a estimé qu’ils sont un groupe d’enseignants « qui se sont illustrés de façon répétitive dans des agissements contraires aux exigences d’enseignants en s’obstinant à créer et à entretenir dans ce secteur crucial de la vie nationale qu’est l’éducation, des tensions et perturbations. Ces enseignants ont également continué à faire montre d’une attitude de défiance envers l’autorité de l’Etat. Ces mesures administratives sont sans préjudice des autres dispositions applicables en cas de préavis ou de grèves illicites».
Cette décision qui n’a pas surpris –puisqu’on connaît le caractère arbitraire des actes que posent les autorités togolaises–, mais a écœuré plus d’un, n’est pas sans conséquence. Déjà dans la journée du jeudi 31 mars 2022, les élèves du Lycée de Gando (Région des Savanes) ont manifesté leur désapprobation de la mesure. En effet, la sanction décidée par Gilbert Bawara a emporté un des enseignants de l’école, le seul enseignant de philosophie.
Comme on pouvait s’y attendre, il n’y a pas que les élèves qui sont touchés par cette mesure. Les enseignants le sont également. Une décision en date du 31 mars 2022 le confirme. Alors que depuis qu’il est arrivé à son poste en octobre 2020, le ministre des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat a été le seul à prendre les décisions concernant son département, il fait signer une décision par le directeur régional de l’éducation des Savanes, M. Ourognaou Tchaledji. Il s’agit de la décision N°0062/2022/DRE-S portant mutation intra-régionale d’un enseignant du Second cycle du Secondaire.
« Le Directeur régional de l’éducation, Vu l’ordonnance n°16 du 6 mai 1975, portant réforme de l’enseignement au Togo ; (…) Considérant les nécessités de service ; Décide : Article 1er : Monsieur KOUMA Batassou, n° mle 067840-J, PCEG, spécialité Philo est mis à cheval entre le Lycée Barkoissi et le Lycée Nagbéni à raison de 12 heures au Lycée Nagbéni et 8 heures au Lycée Barkoissi. Article 2 : Le chef de l’IESG Mango est chargé de l’exécution de la présente décision. Article 3 : La présente décision qui prend effet pour compter de la date de sa signature sera publiée et communiquée partout où besoin sera », lit-on.
Un enseignant à cheval entre le lycée de Barkoissi et celui de Nagbéni, cela n’a rien de grave en apparence, mais révèle que le système éducatif du Togo est en manque d’effectifs et qu’il convient de bien gérer ceux qui ont accepté faire ce sacerdoce. D’ailleurs les organisations syndicales du secteur ont toujours porté cette revendication que le gouvernement ne s’est jamais donné la peine de satisfaire dans sa totalité. C’est donc dans ce contexte de sous-effectif que Kokoroko lance des « missiles » contre ses compatriotes et le déclare publiquement.
Pour ce qui concerne la mutation évoquée plus tôt, il convient de dire qu’il s’agit là d’une véritable punition doublée d’inhumanité. En effet, les localités de Barkoissi et Nagbéni sont distantes de 17 km. Ce qui veut dire que chaque semaine, le professeur de Philosophie doit parcourir une distance de 34 km au moins deux fois par semaine s’il habite Bakoissi, et trois fois s’il habite Nagbéni.
En dehors de la distance qui constitue déjà une corvée, il faut mentionner l’état piteux de la route qui sépare les deux localités. Une piste rurale dont l’entretien laisse à désirer. On imagine les courbatures qui vont constituer le quotidien de cet enseignant. Pour se rendre dans l’une ou l’autre des deux écoles, M. Kouma Batassou devra traverser la longue brousse qui sépare les deux villages, avec tous les risques d’insécurité que cela comporte. « C’est une zone où l’insécurité n’est plus à démontrer. Même pendant le jour, il y a danger. Mais à la tombée de la nuit, c’est un autre monde », explique une source dans la localité.
En attendant le recrutement annoncé et dont les résultats vont être publiés probablement fin 2023, les enseignants qui sont sur le terrain vont se démultiplier pour satisfaire la demande. Mais l’autre question, c’est de savoir pourquoi « l’omniprésent » ministre Dodji Kokoroko n’a pas signé lui-même cette note de mutation comme il l’a pratiquement fait depuis octobre 2020. N’a-t-il pas le courage d’assumer les conséquences de ses actes, lui dont les missiles ont des impacts sur l’éducation des enfants ?
Une chose est certaine, cette décision de mettre le professeur de philo entre deux lycées montre à perfection que le problème de sous-effectif est réel, mais surtout que les ministres va-t-en-guerre n’ont pas les moyens de leur politique.
G.A.
Source : Liberté / libertetogo.info
Source : 27Avril.com