Togo-Matthias Veltin, ambassadeur d’Allemagne, parle de décentralisation et de la guerre en Ukraine

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Principal instigateur de la rupture de la coopération de l’UE avec le Togo en 1993, l’Allemagne revient en force au Togo en 2012 pour soutenir le développement économique. La première puissance européenne est surtout le principal appui au processus de décentralisation, dont elle espère, avec la participation des Togolais, une véritable démocratisation du pays.

Excellence Monsieur l’ambassadeur, après des études de philosophie à l’Université de Tübingen et une formation préparatoire au niveau supérieur du service diplomatique, vous menez depuis 1990, une carrière au ministère des affaires étrangères et dans la diplomatie allemande. De 1993 à 1996, vous étiez chef de mission adjoint à Lomé et depuis 2009, soit 23 ans plus tard, vous êtes de retour au Togo comme chef de mission. Quelle a été votre réaction à votre nomination comme ambassadeur et quels regards portez-vous aujourd’hui sur le Togo ?

Oui, c’est un grand honneur de servir comme ambassadeur n’importe où mais en particulier dans un pays où on a déjà servi par le passé. C’était une grande joie aussi pour mon épouse et moi de revenir au Togo parce que, franchement, le Togo était notre premier pays en Afrique et nous avons été accueillis, à l’époque, les bras ouverts et donc nous sommes un peu tombés amoureux de l’Afrique à ce moment-là. Cela ne présentait pas qu’un intérêt professionnel de revenir et de contribuer à renforcer les relations entre le Togo et l’Allemagne aujourd’hui.

Ex-puissance colonisatrice du Togo, la République Fédérale d’Allemagne a soutenu pendant longtemps, les sanctions de l’Union Européenne contre le Togo pour déficit démocratique. Mais après la reprise de la coopération en 2008, malgré les controverses nées des différentes élections au Togo, l’Allemagne soutient une coopération accrue avec le pays. Comment peut-on comprendre cela ?

La reprise de la coopération s’est faite en 2012 suite aux progrès en développement réalisés par le Togo à ce moment-là, comme l’Accord global politique, les élections, etc… On a constaté ce progrès et la coopération a été reprise dans ce sens. Nous observons et reconnaissons aussi entre temps un engagement du Togo pour des réformes continues dans le secteur économique, dans le secteur social mais aussi un engagement répété du Togo pour des réformes dans le secteur politique parmi lesquels, la décentralisation. L’Allemagne observe les réformes et soutient les progrès réalisés, les développements positifs pour le Togo et fait attention à ce que les Togolaises et les Togolais profitent au maximum de cette coopération.

Selon certaines indiscrétions, Berlin aurait passé un accord avec le régime togolais pour une prise de part de marché par des entreprises allemandes dans les mines ou l’industrie pour garder le silence sur le déficit démocratique au Togo…

(Rires). Non, ça c’est un non-sens absolu. Ce n’est pas la politique de l’Allemagne, ni l’objectif de notre coopération au développement. Vous savez, l’Allemagne a un grand engagement sur un plan global, en ce qui concerne la coopération au développement avec des partenaires pas seulement le Togo mais l’Afrique en général.  Et ceci relève de notre devoir en tant que pays industrialisé et riche de soutenir des pays en développement, comme on le disait auparavant. C’est le fondement de notre politique de coopération : contribuer à un monde développé, prospère et plus sécurisé est gage de stabilité et de paix. Il n’y a pas d’intention d’obtenir de compensations directes, ni d’arrière-pensées. L’arrivée d’une entreprise privée allemande dans l’économie togolaise n’a aucun lien avec notre ligne politique, même si en filigrane, cette entreprise participe au développement global de l’économie togolaise.

L’Allemagne est aujourd’hui très impliquée dans le processus de la décentralisation à travers le programme ProDeGol. Pourquoi la question de la décentralisation importe tant à la coopération allemande ?

Nous sommes convaincus que la décentralisation peut contribuer grandement au développement du Togo en général. Et ce, sur le plan administratif, économique mais aussi et surtout sur le plan politique en ce qui concerne le processus de la démocratisation. Elle conduit à une participation plus active de la population à la vie politique, économique, sociale, culturelle même du pays. C’est ce qui sous-tend en général, l’engagement du Gouvernement allemand et   pourquoi je suis moi-même tellement intéressé par ce processus de réformes au Togo.

Quel est le bilan que fait l’Allemagne, trois ans après la mise en place des institutions locales et la mise en place des communs ?

La question devrait plutôt être posée aux Togolais. Quel est le bilan des togolaises et des togolais ?  Et pour ce faire, quand je rencontre des Togolais, engagés dans la vie publique ou dans le privé, je pose toujours la question concernant le regard qu’ils portent sur le bilan des communes et la décentralisation. D’une façon globale, beaucoup m’en disent du bien, mettent en avant la nécessité. Je reçois surtout des échos positifs des communes. Après un début difficile, certes, quant à certaines orientations, on a l’impression générale d’être sur le bon chemin, malgré qu’il reste énormément à faire.  Les débuts difficiles connaissent toujours de petits pas. Il y a des défis partout mais on m’a confirmé que c’était nécessaire, c’était bien et donc pas d’alternative. Maintenant, il s’agit de développer vraiment les capacités d’apprendre ; Togolaises et Togolais devraient faire l’effort d’inventer, de trouver la voie propre du Togo en ce qui concerne la décentralisation.

 Vous pensez que la décentralisation est une chance pour sauver le processus démocratique au Togo ?

Je pense que c’est important pour le Togo de trouver son propre chemin de la décentralisation. Le modèle allemand est très différent à cause du fédéralisme. Par contre, le modèle français, celui d’un Etat fortement centralisé, est plus proche du Togo au regard de l’histoire de l’administration.  Certains disent que c’est un modèle pour le Togo mais le plus important est de trouver vraiment des solutions appropriées et conformes à l’histoire du Togo, où l’on avait, par exemple, dans les villages avant la pénétration coloniale, une sorte d’autogestion traditionnelle. Vous avez des institutions traditionnelles qui sont encore à observer, à prendre en considération, et ça c’est le processus d’apprentissage typique pour le Togo. Ce que nous souhaitons, c’est une participation plus active de la population, pas seulement de quelques-uns qui veulent faire de la politique mais des citoyennes et des citoyens de la société civile à la vie communale. Nous encourageons aussi en particulier ce processus par exemple par l’installation des bureaux citoyens dans chaque commune qui existe au Togo.

Allons maintenant vers l’Europe, une fois encore au cœur d’un conflit qui pourrait entraîner une nouvelle guerre mondiale. Dites-nous comment l’Europe en est arrivée là malgré la catastrophe des deux conflits mondiaux ?

D’abord, il est important d’assurer que nous faisons tout pour éviter une guerre mondiale. Je crois, tout le monde en Europe est conscient que le risque d’une escalade existe mais on doit faire tout pour éviter une escalade qui mène à la guerre mondiale. Ensuite, nous insistons sur le fait que la Russie porte une lourde responsabilité dans le déclenchement de cette guerre, malgré les accords politiques, les institutions pan-européennes, des conventions commerciales, et des réseaux d’amitié, etc. qui existent encore en Europe et concourent à la stabilité, la sécurité de tout le monde. En dépit donc d’un système en Europe pour empêcher la naissance d’un conflit, la Russie est retombée dans une politique dépassée qui connait la guerre comme méthode de règlements des problèmes entre Etats. Le reste de l’Europe, notamment l’Union Européenne, a surmonté une telle conception de la politique. Par exemple :   concernant le règlement des conflits historiques, comme on ne cesse de le répéter en Russie maintenant, la France et l’Allemagne ont choisi la voie de la coopération et de l’interdépendance malgré les différends historiques entre nos deux pays. Autrement, la France et l’Allemagne étaient ou restaient jusqu’à maintenant des ennemies. Mais on a développé une politique en Europe basée sur la coopération et l’intégration, et je crois que des pays comme la Pologne, la Hongrie, la Roumanie etc., ont bien compris que cette nouvelle conception est avantageuse et ils ont adhéré depuis à l’Union Européenne. C’est cette vision de l’Europe que rejette la Russie en engageant le conflit actuel.

La guerre a relancé quasiment la course à l’armement et l’Allemagne est en passe d’avoir aujourd’hui le plus gros budget militaire d’Europe. La politique de l’OTAN à l’égard de la Russie est-elle la meilleure pour la paix sur le vieux continent ?

Avec un voisin aussi imprévisible que la Russie, le constat   fait en Allemagne, après le 24 février, est qu’on devrait se préparer au mieux pour une guerre conventionnelle. D’où la nouvelle politique d’augmenter et de renforcer nos capacités militaires.  C’est ce qui explique pour des pays aux traditions de neutralité séculaire comme la Suède, la nécessité de rejoindre l’OTAN pour améliorer leur sécurité et leur protection. Il en est de même pour la Finlande. Ceci est très nouveau pour le développement de l’Europe, et souligne une évaluation de la situation qui mène à une meilleure protection, en ce qui concerne la sécurité militaire conventionnelle pour notre continent.

La guerre en Ukraine a des conséquences en Afrique, sur le plan alimentaire par exemple, avec la hausse du prix de la farine de blé. Mais c’est surtout au sein de l’opinion africaine qui semble soutenir la Russie, et en témoigne le vote de l’Afrique à l’Onu, laisse croire que l’Europe et l’Amérique sont les seules contre la Russie. Qu’en pensez-vous ?

Primo, l’Europe, les États-Unis, le G7, sont très préoccupés par la situation alimentaire dans le monde, qui est le résultat, bien sûr, de la guerre de la Russie contre l’Ukraine. On est en train d’élaborer un système d’assistance internationale, de soutien pour les pays dans l’urgence alimentaire. La guerre n’impacte pas seulement les exportations de blé mais a d’autres effets indirects comme le renchérissement des prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité.

Deuxio, l’Europe et les Etats-Unis ne sont pas seuls contre la Russie dans leurs soutiens actifs à l’Ukraine, comme les livraisons d’armes et le soutien aux populations.

Quant à l’Afrique, nous savons très bien, que presque tous les pays du continent condamnent l’agression russe. C’est déjà le principal. Pour le reste, il s’agit (pour les pays de l’Afrique) plutôt de se positionner politiquement et ouvertement dans un conflit qui, bien sûr, tout d’abord, prend place en Europe.

Aujourd’hui des pays africains comme la RCA, le Mali, le Soudan privilégient la coopération avec la Russie. L’Afrique est-elle en train de devenir un terrain d’affrontement entre les puissances comme au temps de la guerre froide ?

Il faut éviter qu’une telle situation se reproduise, et notre intention n’est pas de recréer la confrontation de la guerre froide. L’approche de l’Europe est de continuer notre engagement pour la stabilité, la paix et le développement aussi sur le continent africain. Nous invitons donc les autres partenaires à faire de même. Mais, bien sûr, on peut voir les différences entre les partenaires, et nous ne pensons pas seulement fournir ou offrir des solutions aux conflits armés, et nous ne sommes pas du tout à la recherche de marché d’assistance militaire. Nous insistons sur le fait que l’engagement- ça c’est notre conviction- des partenaires doit, aller à tous les secteurs du développement pour la prospérité de ce continent.

 En ce qui concerne l’offre des différents partenaires, en particulier l’offre de l’Europe, quels sont les partenaires dont la coopération inclus aussi l’accompagnement de la décentralisation comme au Togo ? Quels sont les partenaires qui offrent un accompagnement dans le secteur de la recherche et des sciences comme je viens de le mentionner le programme WASCAL de la République Fédérale d’Allemagne, un réseau scientifique dans la sous-région ?  Quels sont les partenaires qui s’engagent avec la société civile notamment, aussi avec les organisations des droits de l’homme ? Sans citer d’autres engagements dans le secteur économique, des infrastructures etc. Donc nous restons convaincus que l’offre de l’Allemagne comme partenaire, que l’offre des européens comme partenaires est beaucoup plus élargie et par cela, répond beaucoup mieux aux besoins de ce continent que ce que d’autres partenaires font qui sont beaucoup plus concentrés sur quelques secteurs particuliers et aussi sur quelques intérêts individuels.

L’Europe et la France sont en train de dégager leurs dispositifs militaires du Mali, à la suite de désaccord avec les autorités de Bamako. Est-ce que la force Takuba a un avenir au Sahel ?

Permettez que je me limite à la position de l’Allemagne dans la situation au Mali et dans le Sahel en général. Ici, encore une fois aussi, je voudrais répéter, l’engagement de l’Allemagne à contribuer aussi activement à la sécurité régionale. Et nous avons notre engagement sur le plan international avec la participation à la MINUSMA. Il appartient sur ce plan aux Nations-Unies de décider des conditions de notre engagement. Dans le cadre des interventions européennes au Mali, nous faisons vraiment face à la situation politique et sécuritaire. L’Allemagne a commencé aussi à délocaliser des activités. Le Chancelier fédéral Scholz a visité dans ce sens, il y a une semaine, le Niger pour aussi y’confirmer notre engagement et pour voire sur place une mission de l’Allemagne qui fait partie des missions européennes. Nous devions rassurer les pays de la région que nous restons engagés aussi très activement. Nous espérons surtout un accord de la CEDEAO avec les autorités maliennes sur une vraie transition démocratique au Mali.

Le Togo vient de connaître une première attaque terroriste meurtrière sur son sol. Que fait la coopération allemande pour aider le Togo ?

Nous déplorons l’attaque et exprimons à cette occasion notre compassion pour les familles des victimes et souhaitons tous nos vœux de prompt rétablissement aux blessés. Mais je voudrais souligner aussi notre approche de la coopération en général qui sert à améliorer les conditions de la vie au Togo, et à accompagner les activités du gouvernement. Çela contribue et devrait contribuer à une réponse. Deuxième élément, nous sommes déjà engagés depuis quelques années à renforcer les capacités du Togo dans le secteur du contre-terrorisme, à travers des ateliers spécialisés pour une meilleure formation des forces de sécurité, pour la prévention et pour un meilleur contrôle des frontières, et aussi pour le suivi juridique après les arrestations. Nous mettons aussi dans ce cadre, l’accent sur l’observation des droits internationaux, y compris le respect des droits de l’homme dans ce secteur. Donc il y a aussi, les activités qui ont soutenues l’établissement de réseau CIPLEV.  L’Allemagne a aussi envisagé d’autres mesures : bientôt, on va assister à l’ouverture d’un poste frontalier cofinancé par l’Allemagne. Il y a donc une multitude d’activités pour contribuer à améliorer la sécurité en général au Togo. Finalement nous pensons qu’il faudrait encore plus de progrès pour la décentralisation, notamment au nord. On sait que le succès des terroristes au Sahel se base sur la négligence de l’Etat en ce qui concerne les régions éloignées. Une présence active (de l’Etat) dans les communes, dans des communautés locales va sans doute donner encore   plus de chance à activement réduire les risques d’implantation des terroristes.

Pensez-vous que le Togo en l’état actuel est à même de combattre le djihadisme ?

Le Togo a déjà une stratégie qui, pour nous, est convaincante parce que basée non seulement sur la sécurité directe, assurée à la fois par les forces armées, la police et la gendarmerie, déployées sur place, mais aussi sur le développement économique et social de la région des Savanes. On a maintenant présenté un plan d’urgence avec une priorisation de quelques projets pour améliorer la condition de la population. On pourrait aussi développer le système CIPLEV, une synergie d’action entre les acteurs nécessaires pour combattre le terrorisme. C’est-à-dire, un renforcement des liens entre les représentants de l’administration, les représentants des forces de sécurité et aussi avec les représentants des communautés locales y compris la jeunesse, les groupes religieux etc…  Ce qui manque évidemment dans d’autres régions du Sahel. Avec cette approche, nous pensons que le Togo est sur le bon chemin ; Sans toutefois négliger les coopérations régionale, transfrontalière et internationale, efficaces pour combattre avec succès le terrorisme en général.

Votre dernier mot ?

Je voudrais vous remercier de vos questions, qui sont assez directes. Je profite de l’opportunité de cette interview pour adresser un message à l’endroit de vos confrères, qu’il ne s’agit pas d’un privilège accordé à L’Echiquier. L’Ambassade d’Allemagne et son chef de mission sont disponibles pour échanger avec tout journaliste et tout média togolais.

Source : L’Echiquier N° 079

Source : icilome.com