Dans le processus d’attribution d’un marché concernant la réhabilitation de la Nationale n°1 entre Aouda et Kara, la personne responsable des marchés publics (PRMP) a cherché à débouter l’attributaire dudit marché, pour des raisons que le Comité de règlement des différends vient de rejeter dans la décision n°010-2021/ARMP/CRD du 23 avril 2021. Les raisons qui en disent long sur les limites de bien des PRMP qui, au demeurant, auraient besoin de mieux assimiler les formations que dispense l’ARMP à leur intention pour éviter pareils abus d’autorité.
Une PRMP peut-elle se prévaloir du montant élevé d’un soumissionnaire attributaire d’un marché pour remettre en question la décision ayant retenu celui-ci après évaluation ? C’est ce que la PRMP au ministère de la Planification du développement et de la Coopération a tenté de faire. C’était au cours du lancement de l’appel à manifestation d’intérêt n° 13-PPM2020/MPDC/SG/UGP-PC/SPM du 25 septembre 2020 où un cabinet devrait être sélectionner pour l’actualisation des études technico-économiques et l’élaboration du dossier d’appel d’offres pour les travaux de réhabilitation et de renforcement de la route nationale N°1 (RN1) sur le tronçon AOUDA-KARA (140 KM).
Après délibération, le Comité de règlement des différends (CRD) a déclaré le recours du groupement CIRA/AGECET BTP, victime d’abus, fondé ; constaté que la décision de l’autorité contractante de rompre les négociations avec le groupement requérant est entaché d’irrégularités ; et ordonné en conséquence l’annulation de la décision de disqualification et la reprise du processus tel que prescrit par la clause 2.30 des directives du bailleur. Et nonobstant toutes voies de recours, le CRD « dit que la présente décision est immédiatement exécutoire ». Mais que s’est-il passé ?
Les faits
Dans le cadre du Projet d’appui à la compétitivité des services logistiques pour le commerce, le ministère de la planification du développement et de la coopération a lancé, le 25 septembre 2020, l’appel à manifestations d’intérêt n° 13-PPM2020/MPDC/SG/UGP-PC/SPM relatif à la sélection d’un cabinet pour l’actualisation des études technico-économiques et l’élaboration du dossier d’appel d’offres concernant les travaux de réhabilitation et de renforcement de la route nationale n°1(RN1) sur le tronçon Aouda-Kara (140 km).
Aux date et heure limites de dépôt des manifestations fixées au 09 octobre 2020 à 16 heures précises, la Commission de passation des marchés publics dudit ministère a reçu et ouvert les manifestations d’intérêt de vingt-cinq (25) consultants dont celles des groupements CIRA SAS/AGECET BTP et SCET TUNISIE/DECO.
La méthode de sélection retenue est celle fondée sur les qualifications des candidats (QC) prévue dans les directives « sélection et emploi de consultants par les emprunteurs de la Banque mondiale » de janvier 2011 et révisées en juillet 2014.
A l’issue de l’évaluation des manifestations d’intérêt, vingt (20) consultants répondant aux critères des termes de référence de l’AMI, ont été présélectionnés dont les deux premiers sont les groupements CIRA SAS/AGECET BTP et SCET TUNISIE/DECO.
Suite à la validation des résultats d’évaluation des manifestations d’intérêt par lettre n° 2661/MEF/DNCMP/DDCI&DRMP du 27 novembre 2020 de la Direction nationale du contrôle des marchés publics, le groupement CIRA/AGECET BTP bénéficiant du meilleur classement a été invité à soumettre ses propositions technique et financière tel que prévu par la méthode de sélection sus-indiquée ;
Après des séances de négociations engagées sur les propositions soumises, la Personne responsable des marchés publics du ministère de la planification du développement et de la coopération estimant que la proposition financière du groupement CIRA/AGECET dépasse largement le budget prévisionnel du marché, a, par lettre n° 059/MPDC/CAB/PC/PRMP du 09 mars 2021, informé ledit groupement de sa décision de le disqualifier de l’attribution du marché et de poursuivre le processus de passation avec le soumissionnaire en seconde position sur la liste des cabinets présélectionnés.
Par lettre référencée CIRA SAS/0394/DD/2021 du 11 mars 2021 adressée à la Personne responsable des marchés publics de l’autorité contractante, le groupement CIRA/AGECET a contesté sa disqualification de l’attribution du marché par un recours gracieux ;
L’autorité contractante a, par lettre n° 070/PR/MPDC/CAB/PRMP du 16 mars 2021, rejeté le recours gracieux introduit par le requérant comme non fondé ;
Non satisfait, le groupement CIRA/AGECET a, par lettre référencée CIRA SAS/0424/DD/2021 du 17 mars 2021, saisi le Comité de règlement des différends pour contester sa disqualification de l’attribution du marché.
Les moyens développés à l’appui du recours
Le groupement CIRA/AGECET BTP conteste sa disqualification de l’appel à manifestations d’intérêt susmentionné et soutient à l’appui de son recours :
– que l’autorité contractante tente de présenter la situation de façon biaisée en faisant croire qu’il a refusé de revoir à la baisse sa proposition financière, alors que d’un montant initial de 480 086 300 F CFA HT lors des négociations, celle-ci est passée à 272 083 784 F CFA HT, suite aux réductions faites sur quasiment tous les postes excepté certains dont ceux nommément cités pour lesquels les raisons de l’impossibilité d’accorder une réduction supplémentaire ont été clairement exposées ;
– que de plus, en considérant le gap entre sa proposition financière finale et le niveau voulu par l’autorité contractante, l’allégation suivant laquelle cette proposition est largement au-dessus du budget prévisionnel n’est aucunement justifiée ;
– que la non satisfaction totale ou partielle d’une demande particulière de l’une ou l’autre partie ne saurait se substituer au résultat final de la négociation, d’autant plus que le résultat final approuvé par les deux parties est explicite à la page 7 du PV de négociation qui mentionne un montant total HT d’honoraires évalué à 162 782 800 F CFA et des frais remboursables de 109 300 000 F CFA TTC ;
– que c’est sur la base de cet accord explicite dans le PV de négociations que l’autorité contractante lui a d’ailleurs transmis ensemble avec le projet de contrat pour observations et commentaires ;
– que par ailleurs, l’argument lié à l’insuffisance du budget disponible invoqué pour motiver sa disqualification est surprenant d’autant plus que l’autorité contractante ne l’a jamais évoqué lors des négociations ;
– qu’en effet, non seulement ce budget ne lui a pas été communiqué au cours des négociations mais aussi le PV de négociations ne mentionne nulle part que le montant issu des négociations dépasse le budget disponible ;
– qu’elle tient à faire observer qu’un PV constatant l’échec des négociations devrait être signé par les deux parties avant de passer au consultant classé 2eme sur la liste restreinte, ce qui n’a jamais été le cas ;
– qu’il ne fait guère de doute qu’en procédant comme elle l’a fait, l’autorité contractante tente de l’écarter de cette procédure de marché au mépris des règles élémentaires et des procédures de la Banque mondiale ;
– qu’au regard de ce qui précède, il demande au Comité de bien vouloir ordonner à l’autorité contractante de le rétablir dans ses droits en finalisant avec lui les négociations pour la conclusion du contrat.
Les moyens de l’autorité contractante
Dans son mémoire en réponse, l’autorité contractante soutient :
– qu’il a été mis fin aux négociations avec le groupement CIRA/AGECET BTP en raison du fait que lors des discussions par vidéoconférence le 26 janvier 2021, ledit groupement a fait comprendre qu’il ne lui était pas
possible de réviser à la baisse sa proposition financière en opérant des réductions sur lignes des travaux topographiques, géotechniques ainsi que celles relatives aux dossiers d’appel d’offres ;
– qu’en effet, les négociations se sont arrêtées sur un montant de 301 384 884 F CFA TTC qui excède largement le montant prévisionnel du marché validé par la Banque mondiale qui s’évalue à 196 750 000 F CFA
TTC ;
– que dans ce contexte, et comme le recommande la procédure avant la signature du contrat, la Banque mondiale saisie n’a pas montré sa disponibilité pour financer le gap constaté entre les deux montants mais a plutôt recommandé de passer au consultant classé 2ème sur la liste restreinte ;
– qu’au regard de ce qui précède, elle demande au Comité de bien vouloir déclarer non fondé le recours du groupement CIRA/AGECET BTP et d’ordonner la mainlevée de la mesure de suspension prononcée par décision n° 008-2021/ARMP/CRD du 26 mars 2021.
Objet du litige
Il résulte des faits, prétentions et moyens des parties que le litige porte sur la régularité de la disqualification du requérant à l’étape du processus de négociations du marché objet de l’appel à manifestations d’intérêt sus-indiqué.
Examen du litige au fond
Considérant que pour disqualifier le requérant de l’attribution du marché, l’autorité contractante s’est fondée sur le montant de sa proposition financière qui dépasse celui prévu au PPM et surtout sur l’avis du bailleur qui lui recommande d’engager les négociations avec le second consultant figurant sur la liste restreinte ;
Considérant que le requérant conteste cette décision de l’autorité contractante au motif qu’elle est prise en violation de l’accord de négociation intervenu entre eux le 27 janvier 2021;
Considérant que la passation du marché dont s’agit est régie par les directives de la Banque mondiale de janvier 2011 et révisées en juillet 2014 ; que suivant la clause 2.30 desdites directives, « si les négociations avec le consultant classé en première position n’aboutissent pas, l’emprunteur informera ledit consultant par écrit de tous les problèmes et désaccords non résolus et lui proposera une dernière opportunité de répondre par écrit…Si le désaccord perdure, l’emprunteur informera le candidat par écrit de son intention de rompre les négociations. Les négociations ne pourront alors être rompues qu’après l’avis de non objection de la banque, et le consultant classé en seconde position sera invité à négocier. » ;
Considérant que l’examen des pièces du dossier fait ressortir que le processus de négociations en cause a été mené jusqu’à son terme sans que l’autorité contractante n’ait manifesté au requérant son intention de rompre ; qu’en effet, le procès-verbal de négociations qui retrace les points objet de discussions entre les parties ne mentionne nulle part que le requérant a été informé du fait que le montant du marché négocié dépasse le budget prévisionnel inscrit au plan prévisionnel de passation des marchés ;
Que bien plus, il ressort de l’instruction du dossier que le processus de négociations a débouché sur un accord matérialisé par la signature d’un procès-verbal de négociations daté du 27 janvier 2021 par les représentants des deux parties prenantes ;
Qu’en outre, ce procès-verbal de négociations et le projet de contrat ont été soumis à la Direction nationale du contrôle des marchés publics qui y a donné son avis de non objection par lettre n° 0501/MEF/DNCMP/DAJ du 17 février 2021 ;
Considérant que dans la poursuite du processus, l’autorité contractante a transmis le dossier au bailleur pour requérir son avis de non objection ; que faisant suite à sa sollicitation, le bailleur a recommandé par courriel daté du 08 mars 2021 de passer au 2ème cabinet présélectionné en raison du dépassement du budget prévisionnel du marché ;
Qu’il découle de ce qui précède que tous les paramètres contractuels de négociation n’ont pas été mis à la disposition du groupement requérant afin de lui permettre de faire en pleine connaissance de cause une proposition financière en fonction des contraintes budgétaires de l’autorité contractante ;
Qu’il est évident que si le requérant avait été informé des ressources limitées affectées au financement du marché lors des négociations, il en aurait tenu compte dans la formulation de sa proposition financière négociée ;
Que pour preuve, suite à la correspondance que l’autorité contractante lui a adressée pour l’informer du dépassement du budget et de sa décision de le disqualifier de l’attribution du marché, celui-ci a, dans sa lettre en réponse référencée CIRA SAS/0394/DD/2021 du 11 mars 2021, marqué sa disponibilité pour arriver à un montant que le budget prévisionnel permettra de supporter et sollicité que ce budget lui soit communiqué ;
Considérant que suivant la clause 2.30 précitée des directives, l’autorité contractante aurait dû, au cours des négociations, informer le requérant des ressources limitées dont elle dispose pour le financement du marché afin d’obtenir son consentement ou son désaccord sur ce montant et le cas échéant, lui manifester par écrit son intention de rompre les négociations, avant de requérir l’avis du bailleur pour passer au cabinet suivant ;
Que par souci d’équité et de bonne foi contractuelle, l’autorité contractante doit reprendre attache avec le requérant pour parvenir à un consensus sur le montant du marché avant d’envisager, en cas de désaccord, de passer au second présélectionné tel que recommandé par le bailleur ;
Considérant qu’au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de dire qu’en disqualifiant le groupement CIRA/AGECET BTP de l’attribution du marché objet de l’appel à manifestations d’intérêt sus-indiqué, l’autorité contractante n’a pas fait une bonne application des dispositions de la clause 2.30 de la directive régissant le processus de marché dont s’agit ;
Qu’en conséquence, il convient de déclarer le recours dudit groupement fondé et d’ordonner l’annulation de la décision portant disqualification du requérant ainsi que la reprise du processus à partir des négociations conformément à l’esprit et à la lettre de la clause 2.30 précitée des directives du bailleur.
Source : Liberté
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