Un semblant de bilan pour faire un clin d’œil à Faure Gnassingbé, un auto-satisfécit pour se mettre en exergue dans l’optique de la formation du futur gouvernement. Si ce ne sont pas ces motivations, on voit mal les raisons qui poussent le ministre de la Justice Pius Agbetomey à effectuer cette sortie-bilan de la mise en œuvre de « ses maisons de justice ». Et quel bilan en plus ? Pendant ce temps, le manque de personnel et de matériel continue de plomber le corps judiciaire.
« Régler par le biais de la médiation et de la conciliation les petites affaires de dettes, de querelles entre citoyens qui encombrent inutilement la justice », telle serait la mission dévolue aux maisons de justice, selon le promoteur, Pius Agbetomey. Ces maisons se fonderaient sur des critères de simplicité, de rapidité et de gratuité et permettraient de désengorger les tribunaux, facilitant ainsi une gestion diligente des affaires. Rien que ça. Et depuis le 3 janvier 2018, date à laquelle le ministre a convaincu le chef de l’Etat d’en faire cas dans son discours, Dapaong, Cinkassé, Agoè-Nyivé et Baguida auraient vu naître leurs maisons de justice.
Lundi 22 juin, Pius Agbetomey en a fait le bilan, avec un point de satisfaction. « Mission réussie, selon le ministre de la Justice, Pius Agbétomey. Depuis un an, 362 conciliations ont été menées ainsi et près de 800 consultations juridiques ont été assurées par ces établissements judiciaires de proximité. Il s’agit de petites affaires qui la plupart du temps peuvent se régler à l’amiable. La maison de Justice est au service de tous pour accueillir, aider et informer les personnes sur les procédures et démarches à accomplir, pour connaitre et exercer les droits consacrés par la loi. Par la coordination de tous ces services, elle permet aussi la recherche de solutions amiables des petits litiges, la médiation en matière civile et pénale ainsi que le traitement des actes d’incivilité qui constituent des infractions pénales », écrit le site du gouvernement, republicoftogo.com. Il paraît que l’objectif poursuivi est de lutter contre l’éloignement géographique et psychologique des juridictions, les barrières financières, juridiques et judiciaires.
Un petit calcul permet d’affirmer grosso modo que si les quatre maisons de justice ont pu permettre 362 conciliations, mathématiquement, il revient à une maison près de 90 conciliations annuelles, soit un peu plus de 7 affaires par mois. Et c’est ce chiffre qui ferait la fierté du ministre de la Justice. Au point qu’il penserait probablement à leur extension sur l’étendue du territoire national. Ainsi, il ne serait pas étonnant que bientôt, le pays sollicite des fonds pour contruire d’autres maisons de justice qu’il faudra équiper en matériel et bureautique, en personnel qui devront prétendre à des perdiems et tout le reste.
Une invention pour imiter les Gatsatsa au Rwanda après le génocide de 1994. Mais seulement, le Togo ne sort pas d’une guerre civile pour qu’on ait recours à cette pratique inconstitutionnelle. Mais à y voir de près, nous voyons plutôt dans ces maisons de justice des rallonges de procédures et des dépenses supplémentaires au cas où les parties se disaient insatisfaites. Une forme de justice frelatée en somme.
Des règlements à l’amiable, les chefs coutumiers s’en chargent déjà et depuis des lustres sans qu’il y ait besoin de « construire » de maisons de justice. C’est à croire qu’on cherche à leur dénier ce droit de règlement des litiges au profit d’un « projet budgétivore ».
Au lieu de renforcer l’institution judiciaire en hommes et en matériel, puis renforcer les capacités des magistrats et créer des tribunaux dans des zones à fortes densités humaines, on se contente de fabriquer des maisons de justice. Or la constitution est claire que seul l’État rend justice. Autrement dit seule la magistrature, pouvoir judiciaire peut rendre justice. On se demande comment des personnes qui ne font pas partie du corps judiciaire vont rendre justice sans aucune modification de la Constitution. Probablement que le ministre Agbetomey dispose de la baraka pour ça. Pendant qu’on cherche à booster hors des tribunaux les démarcheurs, on crée des maisons de justice avec des non magistrats. Que voudrait-on alors reprocher à ces démarcheurs qui s’érigent en « justiciers » ?
Un projet de modernisation de la justice d’une dizaine de milliards FCFA a été financé pour redorer le blason de l’appareil judiciaire. On n’a pas encore fait d’audit pour évaluer à quoi ces fonds ont servi et revoilà un ministre qui veut encore mettre à contribution le contribuable togolais. Pour un gros zéro.
D’ailleurs, quelle est l’enquête qui aurait relevé l’inefficacité des tribunaux et qui serait le ferment sur lequel la création de maisons de justice viendrait se greffer ? Car il ne suffit plus de faire un rêve « I have a dream » et de vouloir le matérialiser. Il existe des tribunaux dont les bâtiments ne sont pas la propriété de l’Etat togolais. Pius Agbetomey gagnerait à régler d’abord ce problème avant d’en entrevoir d’autres qui sont loin de relever de l’urgence. Car lutter contre la corruption au sein de l’appareil judiciaire, pourvoir le système en personnel et en matériel de travail sont plus urgents.
Abbé Faria
Source : Liberté
Source : 27Avril.com